Le féminisme latino-américain face aux violences machistes

Le 8 octobre dernier, le meurtre de Lucía Pérez a fortement indigné l’Amérique Latine et intensifié les mouvements féministes. Cette argentine de 16 ans a été enlevée à la sortie de son lycée, droguée puis empalée par trois hommes à Mar del Plata dans la province de Buenos Aires en Argentine. Le samedi 15 octobre, les parents de l’adolescente ont occupé la tête d’une marche de 1000 personnes en son hommage. Le mercredi 19, le mouvement avait pris une telle ampleur que des centaines de milliers de personnes se sont réunies sur la Plaza de Mayo sous le slogan “Nous voulons vivre”. D’autres manifestations ont également eu lieu au Chili, au Mexique, en Uruguay ou encore en Espagne.

Cet événement témoigne de «l’épidémie d’insécurité», de la culture sexiste et traditionaliste du continent, et provoque la recrudescence du mouvement «Ni una menos» – «Pas une de moins». Seulement présent depuis 2015, celui-ci manifeste pour les droits des femmes et sensibilise l’opinion publique aux féminicides et agressions sexuelles ayant augmenté de 78% entre 2008 et 2015. Le mouvement se définit en tant que «cri collectif contre la violence machiste» et est soutenu par de nombreux sportifs et sportives, dirigeant(e)s politiques, ONG ou syndicats internationaux. Les manifestants luttent notamment pour la mise en œuvre du Plan d’Action National pour la prévention, l’assistance et l’éradication de la violence envers les femmes promulguée en 2009 par la loi 26.485 de protection intégrale des femmes.

Le meurtre de Lucía Pérez n’est malheureusement que l’un des nombreux féminicides régulièrement commis dans une Amérique Latine très patriarcale et réactionnaire. En effet, plus de 300 femmes par an décèdent de violences machistes en Argentine, représentant un meurtre toutes les 30 heures. Elles sont au nombre de 2000 au Mexique chaque année, et 66 000 dans le monde entre 2004 et 2009. En Uruguay, la moitié des femmes assassinées le sont par leur mari ou ex-mari. En moyenne, 68 plaintes pour violences domestiques y sont déposées chaque jour. 87% des boliviennes disent souffrir de quelconque maltraitance. Sur les 25 pays aux plus hauts taux de féminicides, 14 sont latino-américains. La situation étant critique et sans signe d’amélioration, de nombreux citoyens se mobilisent.

«Ni una menos» fait partie des nombreux mouvements féministes hispanophones, le plus extrémiste et controversé étant le groupe anarchiste bolivarien «Mujeres Creando» – «Femmes qui créent» fondé en 1992. Il milite contre les inégalités sociales, la pauvreté, le patriarcat, les violences policières et l’extorsion des institutions financières boliviennes. Artistes de rues malgré elles et activistes, elles se battent pour réduire le nombre de féminicides, le droit à l’avortement, la communauté LGBT, et plus généralement en faveur d’une égalité absolue. Elles accusent même le gouvernement d’Evo Morales de ne pas prendre de mesures concrètes, et lui imputent la responsabilité de la pauvreté et du chômage en Bolivie, tout en lui reprochant de manipuler les femmes pour en faire de dociles partisanes du néolibéralisme.

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« Ni la Terre ni les femmes sont des territoires de conquête » – Mujeres Creando

Si les mouvements féministes se multiplient, que font les gouvernements pour réellement changer cette situation dramatique ? En 2006, la loi Maria da Penha a été adoptée au Brésil, renforçant la rigueur des sanctions. Cette dernière résulte de la double tentative d’assassinat de Maria da Penha Maia Fernandes, désormais symbole de la lutte contre les violences machistes. Cette avancée juridique marque une évolution significative pour le pays, et a été suivie dans sa forme par la Colombie en 2013. La chambre des représentants a effectivement adopté le projet de loi Rosa Elvira Cely qui spécifie le féminicide et inculpe les coupables de 20 à 50 ans de prison sans remise de peine. De plus, il prévoit de mettre en place des stratégies de prévention et de sensibilisation sociale. En Uruguay, les collectifs féministes dénoncent la vulnérabilité juridique ainsi que l’atténuation des faits par la législation au sujet des violences sexuelles. Néanmoins, le gouvernement uruguayen prépare une loi similaire à celle adoptée en Colombie il y a 3 ans. En novembre 2015, le président Vázquez avait déjà exprimé sa volonté de conférer le caractère d’infraction pénale aux féminicides, définissant ceux-ci comme étant des crimes envers la femme motivés par des raisons de genre.

Même s’il est évident que ces cas ne sont pas réservés à l’Amérique Latine, celle-ci est particulièrement sujette au machisme et féminicides. Les mesures prises par le gouvernement restent malheureusement assez infructueuses et récentes. Malgré la mobilisation mondiale qu’a engendré le meurtre de Lucía Pérez, l’avocate et militante Sabrina Cartabia se montre assez pessimiste. Elle admet néanmoins qu’auparavant, il fallait 6 ans pour qu’une femme dénonce des maltraitances contre un an aujourd’hui. En France, le terme de féminicide est entré dans le dictionnaire en 2014 mais pas dans la législation. Père de deux femmes assassinées à Salta (Argentine), Jean-François Bouvier milite pour que cette notion intègre le code pénal français comme elle l’a été dans d’autres pays.  Les mouvements féministes s’amplifient heureusement, couplés à une émancipation libertaire et égalitaire des pays latino-américains. Bien que la situation semble stagner voire empirer, on peut espérer que la saturation du peuple quant aux féminicides ainsi que les nombreuses manifestations mondiales forment un effet de groupe pionner d’une mutation de la société.

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