Comme toujours, les avis ont été partagés entre « le meilleur Eastwood » et l’amer goût d’un certain « manque d’un petit quelque chose ». Mais survolons les critiques, et regardons d’un peu plus près ce que nous a proposé le dernier Eastwood.
La vie n’est pas un long fleuve tranquille, et surtout pas avec Eastwood en tant que réalisateur. Habitué à retracer des histoires vraies depuis quelques temps (American Sniper en 2015, Invictus en 2009 ou encore Jersey Boys en 2014), l’un des réalisateurs les plus reconnus dans le monde du cinéma ne va pas déroger à la règle avec Sully, sorti le 30 novembre 2016 en France.
Le film va raconter les évènements, survenus en 2009, d’un avion qui a dû amerrir de force sur l’Hudson, ou plus précisément les heures qui ont suivis, un calvaire psychologique pour le « héros de l’histoire » Chesley Sullenberger aka Sully, incarné par Tom Hanks. Tout l’enjeu du scénario réside en effet sur le côté héroïque, ou non, du pilote, sauvant l’entièreté des 155 passagers, mais à qui on reproche de n’avoir pas essayé de rejoindre l’aéroport pour sauver … l’avion.
Un voyage court d’une heure et demi, mais néanmoins intense.
Une histoire prenante ou un léger hors-propos ?
Certains y verraient un film plutôt minimaliste, une histoire de surface … Mais, en réalité, Todd Komarnicki (scénariste du film) nous propose ici une narration aussi intelligente qu’osée.
En effet, le film ne nous confronte pas directement à l’évènement en question, il raconte les heures et jours qui suivent via le pilote impliqué dans l’enquête menée par le NTSB (le Conseil National de la Sécurité des Transports). Hormis le « crash », nous nous retrouvons face à un pilote, ou plutôt un homme, confronté à son destin, qui a agi, et qui est rongé par ce que les gens auraient voulu qu’il fasse. La confrontation est fortement accentuée grâce à la construction du personnage : le « background » de Sully est notable avec de nombreux flashbacks, mais aussi des situations auxquelles il est confronté, ce qui rend à l’écran un personnage extrêmement touchant.
Alors, est-ce que Hanks-Eastwood est un duo gagnant ? Parlons plutôt de trio en ajoutant le co-pilote, joué par Aaron Eckhart (vu dans La Chute de Londres en 2016). Les acteurs nous transmettent bien les messages. Sans excès, le jeu en général est brillamment effectué. Un casting à la fois XXL et excellent, que demander de plus ?
Entre la culpabilité et l’héroïsme, c’est là que l’histoire se trouve. Fidèle à son œuvre, Eastwood voit l’homme derrière les projecteurs et nous délivre une œuvre profondément humaniste.
Une réalisation discrète mais efficace
Il est clair que la mise en scène reste très sobre en général. Mais Eastwood intègre pour la première fois les images de synthèse comme une place importante dans son film. Et le baptême du feu est réussi. Ces effets spéciaux essentiellement utilisés dans la scène du « crash » (ou plutôt amerrissage), donne un rendu à l’écran bluffant. Des scènes violentes, puissantes qui nous prennent aux tripes (mention spéciale à la scène d’ouverture). Stress et frissons garantis.
Autre innovation : l’utilisation de caméras IMAX, améliorant nettement la qualité de l’image à l’écran. Un pari réussi pour le réalisateur californien.
Mis à part ces scènes impressionnantes, les autres plans de ce film sont restés discrets, plutôt simples, très efficaces. Simplicité qui est très souvent prise en défaut dans des œuvres cinématographiques, mais symbole de l’intelligence d’Eastwood, qui n’a sûrement pas voulu « se couler » dans des frasques inutiles.
Ce qui est également très fort, c’est que ces images violentes du crash, présentes sous différentes formes (visions, angoisses, puis plans éparses) tout le long du film, contribuent à un autre intérêt narratif : le spectateur se voit comme un juge de la situation, et ce, au même titre que les enquêteurs, tout en prenant compte du “facteur humain” des protagonistes, présent dans des scènes autres que celle de l’amerrissage.
Ce qui a pu refroidir le spectateur quelque peu sceptique est, sans doute, la couleur de l’image : trop froide ? J’utiliserais plutôt le terme « immersives », nous permettant d’être plongé dans la « torture » psychologique des personnages.
D’ailleurs, cette immersion nous est également rendue possible grâce au gros travail du son. Dans des scènes dites « simples » (des dialogues) autant que dans des phases plus « techniques » (sons des réacteurs), le boulot est présent.
De l’immersion, beaucoup d’immersion. S’ajoute à cela une forte volonté de réalisme. En effet, l’amerrissage a été filmé à l’endroit même où l’évènement de 2009 a eu lieu, également, tout le tournage a été supervisé par Sullenberger en personne, rien que ça.
Des prouesses scénographiques justes là pour épater, c’est tout ? Non, Eastwood n’a en aucun cas voulu « fanfaronner ». Elles sont présentes pour ajouter du propos au film, mais également du fond : nous pouvons noter de multiples métaphores cinématographiques comme la référence à l’Arche de Noé (lors de l’évacuation des passagers, cf. affiche du film), Sully se présenterait comme une réponse à la catastrophe du 11 septembre (image de l’avion qui se perd en plein New-York).
Une leçon de cinéma
Une histoire extraordinaire portée par une scénographie épatante, ou tout simplement un film profondément humain ? Peut-être tout cela à la fois. Une recette bien exécutée pour un résultat réussi : une leçon de cinéma.
Essayons de répondre à la question qui nous mord les lèvres : « Clint Eastwood arrive-t-il encore à réaliser de bons films ? ». Avec Sully, il nous offre, dans tout les cas, un très beau cadeau en cette période de Noël, en toute objectivité bien entendu.