INTERVIEW : Jok’air “J’ai hâte que le public puisse entendre la suite”

Le rappeur-crooner Jok’air s’est confié à Views à l’occasion de la sortie de son EP Big Daddy Jok. L’occasion pour lui de nous en dire plus sur cet EP, dont le succès ne fait guère de doute tant les premiers extraits ont reçu un accueil favorable.

Salut à toi, est-ce que tu peux te présenter?

Moi c’est Jok’air, aka Big Daddy Jok, artiste Davidson Présente, La Dictature…

Ton EP Big Daddy Jok sort le 24 février. Comment tu appréhendes ça pour l’instant?

Ça se passe nickel ! Ca se passe super bien j’ai de très bons retours sur les extraits du projet que j’ai balancés qui sont C’est la guerre, Abdomen et La mélodie des quartiers pauvres et j’ai hâte que le public puisse entendre la suite.

C’est le premier projet de ta carrière en solo. Est-ce que ce lancement était prévu de longue date ou est-ce qu’il s’est plutôt fait en réaction à la séparation de la MZ?

Non, c’était prévu depuis longtemps. Je devais même initialement démarrer ça juste après la sortie de l’album La dictature, mais ça avait pris plus de temps que prévu et je pense que c’est le bon moment pour moi de se lancer aujourd’hui.

C’est quoi les enjeux du lancement d’une carrière solo par rapport à ce que tu pouvais faire avant avec ton groupe? Qu’est-ce que ça a modifié dans ton processus créatif?

Le plus important, c’est que je dois travailler plus. Je suis plus libre, mais ça implique de travailler plus ! Après, non, ça change pas énormément. Déjà avec le groupe, on travaillait un peu à part, chacun ramenait ses sons et en général celui que t’entendais au refrain, c’était son morceau.

Jok’air (Alan Benoit pour Views)

Aujourd’hui, tu es facilement identifiable par ta façon de chanter, voire de murmurer tes textes. Comment est-ce que toi, tu définirais ton style?

Je sais pas encore, c’est trop tôt pour le dire je pense.  Même s’il y a des marqueurs qui permettent de me reconnaître. Mais mettre un nom sur mon style, c’est difficile, même pour moi.

Toi qui es un peu touche-à-tout, c’est quoi tes influences dans les différents registres?

Encore une fois c’est difficile à dire parce qu’il y a un peu de tout. C’est surtout du rap du début des années 2000, celui du Sud des États-Unis notamment avec les Slim Thug et tout…

Le nom de ton projet et ton surnom c’est Big Daddy. C’est quoi un vrai Big Daddy?

Un Big Daddy, c’est un crooner ! C’est un mec qui assume ses dires et qui respecte tout ce qu’il y a autour de lui.

Les lyrics des rappeurs qui évoquent tout ce qui tourne autour du sexe ont beaucoup évolué: c’est moins trash et moins dégradant qu’avant mais c’est beaucoup plus explicite et le public l’accepte mieux. On voit ça chez toi, avec des morceaux comme Lune de fiel,  mais aussi chez d’autres rappeurs qui ont du succès en ce moment comme Hamza. Comment est-ce que tu analyses ce changement?

Ouais, c’est très vrai, et je pense faire partie des gens qui ont amené ce changement avec Lune de fiel entre autres, et c’est simplement parce que la chose est bien faite. Je pense que tu peux pas aujourd’hui tenir des propos tout en étant dégueulasse en les sortant. Il y a un certain caractère à tenir, et à partir du moment où ton attitude est en accord avec tes propos ça passe mieux. De la même façon, tu vas pas prendre de la même façon une personne qui te demande de te taire et une autre qui te dis “ferme ta gueule”. Ça fait toute la différence. Ca dépend du contexte aussi, la prod était vraiment belle… C’est un tout.

Tu viens de sortir le clip de  La mélodie des quartiers pauvres. C’est un morceau très fort, dans lequel tu dis “Il n’y a pas plus noir que la mélodie des quartiers pauvres”. Pourtant, tu n’as pas l’air défaitiste du tout, au contraire…

Le message que je veux faire passer, c’est que ce n’est pas une fatalité ! On vient des ces quartiers, on est issus de familles pauvres, mais c’est pas une fatalité. C’est limite plus une invitation aux jeunes à se bouger qu’autre chose. Même pas forcément dans la musique ou dans le sport, il y a plein de trucs qu’on peut faire. Il y a trop de portes qui nous sont fermées, ce qui fait que beaucoup, dans les quartiers, se braquent. Le fait que j’essaie de faire ça n’est pas vraiment nouveau, mais vu que j’étais dans un groupe ça se remarquait pas forcément, ça se noyait un peu dans le flot de tout ce qu’on disait, mais c’est quelque chose qui m’a toujours tenu à cœur.

Tu es un artiste qui aime beaucoup les collaborations, que ce soit sur tes projets ou sur ceux des autres. Comment est-ce que t’expliques ce goût du featuring que d’autres n’ont pas forcément?

C’est tout simplement histoire de partager la passion de la musique. Je me suis vite rendu compte lors de mes premières collaborations que j’en apprenais beaucoup et que ça me faisait progresser. Il y en a beaucoup dans ce milieu qui pensent tout d’un point de vue stratégique et qui calculent leurs feats par rapport à ce que ça peut leur rapporter, en terme de buzz ou de visibilité. Pour moi, c’est plus d’un point de vue de respect: si un gars prend la peine de me contacter et de me demander de partager un morceau avec moi, c’est qu’il me respecte. Et à partir du moment où tu me respectes, je suis obligé de te rendre la pareille. Après je ne peux pas accepter toutes les demandes non plus, mais si l’univers de l’artiste me parle et que j’apprécie ce qu’il fait, il y a pas de raison de refuser.

Il t’arrive aussi de collaborer avec des artistes qui sortent totalement du milieu du rap, ce qui est assez rare. Pourquoi est-ce qu’il y a encore aujourd’hui aussi peu de collaborations de rappeurs avec des artistes de registres différents?

Je pense pas que ce blocage vienne des rappeurs. Les gens ont peur, non pas de nous, mais de notre image et de ce que leur public pense de nous. On l’a vu par exemple avec le featuring entre Christine & The Queens et Booba: ce sont ses fans à elle qui ont vraiment mal accueilli le morceau et qui se sont fermés, et ce qui m’a plu c’est qu’elle a assumé complètement le truc alors que beaucoup n’auraient même pas fait un son avec Booba. Elle l’a fait, elle s’est faite descendre par les plus cons de ses fans, mais elle a quand même assumé le truc. Personnellement c’est un truc que j’ai déjà fait et que j’aurai beaucoup de plaisir à refaire. J’aime faire de la musique, et tant qu’elle est belle, ça me pose aucun problème de collaborer, avec n’importe quel artiste de n’importe quel genre musical.

Jok’air (Alan Benoit pour Views)

Est-ce que tu comptes faire quelques scènes pour accompagner la sortie de l’EP? C’est quelque chose qui te tient à cœur?

Ouais carrément, demain je vais à Liège, et ensuite j’enchaîne une tournée, où les gens présents pourront me voir faire les morceaux du projet sur scène. C’est terrible les concerts, c’est ce que je préfère. Je m’entraîne tous les jours pour ça. C’est pas une consécration mais c’est presque l’aboutissement: reproduire ses morceaux en live et voir le public les chanter avec toi c’est ce qu’il y a de plus fort dans la musique. C’est le meilleur retour qu’un artiste puisse avoir.

Il y a actuellement un contexte assez tendu, avec la colère qui monte dans les quartiers suite aux différentes affaires de violences policières, et beaucoup de rappeurs ont pris l’initiative de se faire porte-paroles des populations des quartiers qu’on n’écoute pas forcément d’habitude. Tu penses que c’est une des missions du rappeur que de prendre position, ou au contraire il se doit de rester neutre?

Non, c’est la mission de tous les gens qui ont une force de parole, pas que du rappeur. D’ailleurs, c’est un truc qui me dérange: on demande souvent des comptes au rappeur comme s’il était responsable de quoi que ce soit, alors que n’importe quelle personnalité qui a l’opportunité de s’exprimer pour ceux qui ne le peuvent pas se doit de le faire. Les gens ont une image du rap dans laquelle les rappeurs se doivent de défendre les quartiers. Mais déjà, tous les rappeurs n’en sont pas forcément issus et, à l’inverse, il existe une multitude d’artistes d’autres registres qui en sortent et à qui on ne demande rien. Et puis même le rappeur est là initialement pour faire de la musique, rien d’autre. Le rap militant est venu plus tard, même s’il a été super important dans l’histoire de notre musique, comme ça a été le cas pour le reggae, pour le mouvement hippie…

C’est pas parce que le rap est un peu le style de musique revendicatif en ce moment que ça doit venir que des rappeurs. Et c’est pas non plus parce que ces choses se passent dans les endroits d’où sont issus majoritairement les rappeurs qu’on doit leur demander systématiquement ce qu’ils en pensent; quand il se passe un truc avec les agriculteurs on demande pas aux chanteurs de variété issus des campagnes de les défendre. Le plus dingue, c’est quand des politiques demandent aux rappeurs de prendre la parole. Le rappeur, lui, il a rien demandé, et puis c’est pas lui qui a été élu; lui de base juste il va en studio et il fait ses sons, il a rien promis à la population. Surtout que souvent quand on lui demande de s’exprimer souvent c’est des questions piège. Du coup je kiffe toujours quand un rappeur, comme on a pu le voir avec Sofiane, décide par lui même de prendre position et de défendre les quartiers, mais c’est malsain quand on lui demande de le faire.

Le mot de la fin?

Je prépare déjà une nouvelle mixtape qui sortira avant cet été, mais d’ici là rendez-vous le 24 pour la sortie de Big Daddy Jok qui est selon moi mon meilleur projet jusque là, voire le meilleur de l’histoire du rap français. (Rires)

Jok’air (Alan Benoit pour Views)
Vous pouvez écouter l’EP “Big Daddy Jok” ci-dessous :

Propos recueillis par Zeev Constable — Photographies par Alan Benoit pour Views (vous pouvez le retrouver sur Instagram en cliquant ici)