Gaël Faye : romancier, mais rappeur avant tout

Il se définit lui-même comme un “musicien qui écrit, et non comme un écrivain qui chante”. A l’occasion de la sortie récente de son superbe EP “Rythmes & Botanique” Views vous dresse le portrait de Gaël Faye, un prodige des mots.

Entre ses carrières de romancier, de rappeur et d’auteur-compositeur, Gaël Faye est un homme occupé. L’auteur franco-rwandais s’est retrouvé propulsé sur le devant de la scène lors de la dernière rentrée littéraire grâce à son premier roman “Petit Pays”, un ouvrage poétique et engagé sur la jeunesse d’un enfant d’origine rwandaise au Burundi, au moment des massacres entre les ethnies Tutsis et Hutus.

“Petit Pays” se retrouve sélectionné pour une quinzaine de prix littéraire, dont le prestigieux Prix Goncourt. Mais ce que beaucoup ignorent encore à ce moment là, c’est que l’auteur de “Petit Pays” vient de la musique, et plus particulièrement du rap. Le succès critique et public de la prose de Gaël Faye lui permet de remporter le Prix Goncourt des lycéens et de préparer sereinement la sortie de son nouvel EP “Rythmes & Botanique”, paru le 14 avril dernier. En cinq titres riches et profonds, Gaël Faye s’affirme comme l’une des toutes meilleures plumes du rap français.

Même si son minois juvénile le cache bien, Gaël Faye est né en 1982 au Burundi, d’une mère rwandaise et d’un père français. Son roman “Petit Pays” est donc inspiré par son enfance, même si l’auteur renie toute ambition autobiographique. Gaël est contraint de quitter sa terre natale au milieu des années 90 à cause des génocides et de la guerre civile.

Les Yvelines deviennent son nouveau cadre de vie. Le jeune franco-rwandais se lance alors dans le rap, et participe à des projets avec Lunatic ou encore Arsenik. Frustré de ne pas pouvoir enregistrer d’album solo, Gaël met les voiles vers la City de Londres, où il travaillera deux ans dans la finance. Un crochet à mille lieux de ses aspirations artistiques, mais qui ne l’empêche toutefois pas d’affiner sa plume et ses productions une fois les journées de travail terminées.

La carrière dans le business mise de côté, Gaël fonde Milk Coffee and Sugar avec le rappeur Suga. Le duo sera remarqué au Printemps de Bourges 2011 et fera même quelques premières parties de la tournée d’Oxmo Puccino. Les textes des deux hommes sont engagés et sublimés par des instru mélangeant les sonorités traditionnelles de la musique africaine aux beats des grosses productions américaines.

En 2013, Gaël se lance définitivement en solo et sort “Pili Pili sur un croissant au beurre”. Porté par un flow parfait, des textes forts et une production acoustique léchée, le premier LP de Gaël Faye est un coup de maître. Encore une fois et comme toujours dans l’oeuvre de l’artiste, les thématiques de l’intégration et du vivre ensemble sont au coeur des textes. La nostalgie occupe également une place de choix dans ses morceaux.En effet, Gaël Faye chante la douceur du passé comme personne.

Gaël part ensuite s’installer au Rwanda et démarre l’écriture de son roman “Petit Pays”. Un retour au source salutaire pour un auteur souhaitant se réinventer. Cet exil sera salutaire pour le rappeur, qui revient donc avec un premier roman et un EP, “Rythmes & Botaniques”. La prose de Gaël Faye de plus en plus est travaillée et son flow terriblement entêtant. Moins acoustique et plus électronique dans sa production, “Rythmes & Botaniques” se veut être un projet plus ambitieux. Pari réussi pour le jeune prodige.

On retiendra deux titres qui nous ont particulièrement marqué. Le puissant “Irruption” tout d’abord, un morceau qui fait référence à “Césaire et Prévert”. Ce diagnostic cruel et amer des absurdités de la société française, musicalement construit en crescendo, est tout simplement ébouriffant. En plus du passé, Gaël Faye sait également chanter le présent.

“Paris Métèque” ensuite, véritable hymne en honneur de la pluralité ethnique de la Ville Lumière. Si l’on ne devait retenir qu’une ligne de ce superbe hommage à Paris, ce serait la suivante, malheureusement plus que jamais d’actualité, “On n’écrit pas de poème pour une ville qui en est un”.

Vous l’aurez compris, Gaël Faye est un homme de mots. L’oeuvre du franco-rwandais vient rappeler la puissance évocatrice des textes, que ces derniers soient couchés dans un roman ou un morceau. Cet artiste marqué par la saudade, cette mélancolie mi-douce mi-amère, vivra toujours à l’extérieur et à l’intérieur de deux univers conciliables : la France et l’Afrique. Rien d’étonnant pour un homme qui écrivait les lignes suivantes dans “Petit Pays” : “Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j’ai compris que je l’étais de mon enfance.”