Migos, Gucci Mane et les rappeurs d’Atlanta sont-ils en train de tuer la trap ?

HOT TAKE – LES AVIS POLÉMIQUES

Alors que l’on observe ces derniers mois une recrudescence du nombre de featurings et de single, une des particularités de ces titres est qu’ils réunissent très souvent les mêmes artistes. Ainsi, Quavo, le membre de Migos,a participé à un nombre impressionnant de featurings depuis le début de l’année 2017. À l’image d’un Young Thug, qui multiplie lui aussi les apparition sur de nombreux titres, ou encore d’un Gucci Mane, qui a sorti pas moins de 8 projets depuis sa sortie de prison l’an dernier. Cette productivité peut-elle tuer la trap d’Atlanta ?

La qualité en question

La première question que pose cette productivité exceptionnelle de certains artiste est bien entendu celle de la qualité. Dès lors qu’un Quavo apparaît dans de nombreux featurings, on peut très facilement avoir l’impression qu’il n’est là que pour balancer son désormais célèbre « QUAVO ! » avant d’enchaîner sur un couplet sans relief particulier. Pourquoi ? Tout simplement parce que plus le nombre de featurings sorti est important, moins la temps qui leur a été consacré a été important — c’est encore plus frappant dans la cas de Quavo, qui dans le même temps prépare un album commun avec Travis Scott. Lorsque Gucci Mane lâche 8 projets en 12 mois à sa sortie de prison, on ne peut qu’être dubitatif quand à la nécessité d’un tel volume. Ces 8 projets auraient pu se limite à 2 ou 3 et ainsi travailler à la fois le fond et la forme pour un rendu qui durera dans le temps. Cette précipitation dans la création (la mixtape entre Guwop et Metro Boomin a été conçue en deux jours) fait que ce sont des projets consommable très vite, qui restent quelques jours dans une playlist, puis disparaissent. Ce manque de temps est un problème car aujourd’hui plus que jamais, la qualité d’un morceau se trouve dans ses détails, souvent très travaillés et polis pour offrir le résultat le plus frappant aux oreilles des adeptes du genre.

Pour parvenir à cette « perfection » sur chaque morceau, les artistes choisissent de plus en plus de s’entourer des mêmes producteurs et ingénieurs qui connaissent donc la vision de chaque artiste ainsi que les sonorités qu’il recherche, le tout pour proposer au final des morceaux étant en adéquation avec ce qui fait de chaque artiste un artiste à part. Au contraire, lorsque les featurings et singles se multiplient, cette symbiose disparaît bien souvent au profit de l’artiste qui est la tête d’affiche du morceau, reléguant alors les autres participants au rôle de simples figurants. Cela implique une chose qui est sensible : ces figurants n’ont généralement que peu de poids dans la direction artistique du morceau, ce qui fait que leur univers musicale est par la même occasion moins — voire pas du tout — reconnaissable, laissant au final leurs fans déçus et laissant ceux de la tête d’affiche sur leur faim, en proposant un morceau de qualité moyenne qui aurait dans la majorité des cas été meilleur et plus cohérent sans le featuring.

Des featurings qui brouillent l’image

Cette multiplication des collaborations s’accompagne évidemment de nombreuses différences dans la liste des artistes avec lesquels des rappeurs collaborent. Si on les retrouve souvent aux côtés d’autres rappeurs ou producteurs, ils préfèrent parfois se joindre pour offrir au final au public des titres au succès commercial indéniable mais à la qualité intrinsèque franchement moyenne, qui ne permet pas aux amateurs de rap de vraiment apprécier le morceau : la prise de risque est dans ce cas là minimale, le ton très souvent entendu et la musicalité pour le moins « sucrée » et vendable aussi bien à des ados de 14 ans qu’à de vieilles filles (ou vieux garçons) les 40 balais passés. On a ainsi pu observer les Migos offrir un tube pop à Katy Perry, dans lequel leur apport peut se résumer à leur namedrop inscrit après le « Katy Perry feat. »… En dehors de ce namedropping forcément salvateur tant leur simple nom déclenche l’hystérie aujourd’hui, leur présence sur « Bon Appétit » est anecdotique et si le morceau truste le haut des charts américains, c’est bien dans la catégorie « pop » et non pas dans celle dont se réclament les Migos.

Quel sens donner alors à la présence de membres prédominants de la scène hip-hop sur l’un des hits commerciaux les plus important de l’année ? Dans le clip durant lequel on observe principalement Katy Perry se faire cuisiner à toutes les sauces avant d’être cuite et servie sur un plateau, le changement complet d’environnement qui intervient à la fin et qui révèle les Migos installés dans le carré VIP d’une boite de nuit est pour le moins troublant. Mais a du sens : quand un morceau n’a aucune homogénéité, il est normal que son clip n’en ai pas non plus (même s’il est plus suprenant de le voir dérégler les compteurs de vues.) Ce décalage illustre parfaitement le non-sens que ces collaborations à tout va peuvent provoquer. Si cela permet aux artistes de confirmer leur statuts de star, ils perdent de leur statut d’artistes rap, et visent une réussite commerciale totale plus que l’accès à un statut de légende du rap. En effet, collaborant avec des artistes de tous les horizons musicaux possibles et imaginables, les rappeurs participent aujourd’hui à l’intégration du hip-hop dans la musique pop en général, laissant de côté les aspérités qui font du rap un univers certes extrêmement populaire mais dont les bases musicales sont encore loin de celles de la pop (l’inverse n’est pas forcément vrai) alors qu’ils pourraient plutôt capitaliser uniquement sur les principes qui font du rap l’un des genre majeur du XXIème siècle.

Le succès commercial comme unique objectif ?

Si leur album CULTURE a été un succès incroyable et un excellent album de rap, la façon dont les membres de Migos gèrent leur carrière pose question dans la mesure où Quavo est partout, Offset est lui aussi bien présent, et Takeoff tente de lancer à son tour une carrière solo. Après des années de galères commerciales où leurs différents projets n’ont pas connu le succès mainstream d’un album tel que CULTURE, on peut se demander si les Migos n’essaient pas de trop surfer sur la vague de popularité qui est la leur depuis le hit Bad And Boujee et de trop essayer de capitaliser sur ce succès pour exister dans le temps long. À l’image des featurings qu’ils enchaînent à un rythme décathlonien, ils illustrent parfaitement les mutations de la musique et réduisent le hip-hop à un consommable comme un autre. Fin des albums et des projets construits pour en arriver à une multitude de singles sans cohérence ? C’est en tous cas ce vers quoi la montée en puissance du streaming pourrait nous diriger, et apparemment, les Migos et autres Young Thug comptent bien aider ce mouvement à prendre de l’ampleur. La démarche de ces rappeurs est en tous cas une démarche qui intègre définitivement le hip-hop dans la pop, tant au niveau des sonorités que de l’esprit commercial. Si l’objectif de la plupart des rappeurs a presque toujours été de rencontrer un important succès commercial, cela passait plus généralement par des albums, des concerts et bien entendu quelques featurings vendus à prix d’or.

La banalisation du featuring, au delà de la perte de saveur qu’elle engendre alors que si les conditions avaient été réunies nous aurions pu être impatients de découvrir le prochain titre collaboratif de ces artistes, est à l’image de la nouvelle génération d’artistes. Adossée à la facilitation de la diffusion musicale et à la communication instantanée, la voracité commerciale et quantitative de certains artistes est mauvaise dans le sens où, si elle offre aux consommateurs plus de quantité, elle ne permet pas une amélioration de la qualité (c’est souvent même bien le contraire qui se produit) et elle impacte l’aura des artistes.

Cette productivité des rappeurs d’Atlanta que sont les Migos, Gucci Mane ou encore Young Thug n’est pas le signe de la mort de la trap pour autant. Une des forces de ce genre est d’ailleurs le vivier presque infini sur lequel il peut s’appuyer pour sans cesse se renouveler. Cependant, ce tournant musical est tel qu’il peut donner l’impression de tuer la trap d’Atlanta telle qu’on la connaît, et s’il ne signifie pas sa mort propre puisque le genre sera assurément renouveler, il indique quand même le passage de ces artistes dans un autre style et marque la fin de nombreuses années durant lesquelles la trap n’a que très peu évoluée, à l’image de Gucci. Si les raisons qui font que ces rappeurs ne font plus avancer la trap sont différentes, que ce soit l’orientation artistique ou la productivité, on peut s’attendre à ce que la trap soit prochainement renouvelée par de nouvelles têtes dans les prochaines années.

[democracy id=”6″]


Cet article est une “Hot Take”, une prise de position polémique visant à susciter le débat sur la question qu’il soulève. Les propos tenus dans cet article sont volontairement exagérés et n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient en aucun cas être tenus pour ceux de Views.