Beaucoup de personnes considèrent Elton John comme une icône, un précurseur dans le genre pop-rock. Des tubes devenus incontournables et surtout intemporels. “Rocket Man“, “I’m Still Standing“, ou encore “Your Song”. Une légende qui a travaillé avec les plus grands. Difficile alors de retracer son entière histoire en omettant un seul détail. Et difficile aussi de parler d’Elton John sans reprendre un angle déjà charcuté par des médias des années avant nous. Et pourtant, peu de gens connaissent la facette de cet Elton John passionné d’un style à dix mille lieu du sien: le rap. De Tupac, en passant par Tech N9ne, Eminem, Khalid ou encore de sa fascination pour la scène d’Atlanta, tour d’horizon des rappeurs avec qui Elton John a collaboré.
La genèse : l’alliance Tupac, Eminem, Elton John
Impossible de vous dire à quel moment Sir Elton John s’est réellement intéressé au hip-hop. Mais ce qui est sur, c’est qu’il a vu naitre ce mouvement. Le rap, à ses débuts, puisait son inspiration d’autres courants. Le disco par exemple ou bien le rock. Pour ce style, le premier groupe à avoir mêlé les genres se nomme Run-DMC avec leur mythique “Walk this Way” en featuring avec Aerosmith ou encore “King of rock”. D’ailleurs si on se penche sur le sujet, vous observerez que le “rap rock” est considéré comme un style musical…
À cette même époque, Elton John sort “Indian Sunset”. Une chanson engagée qui parle de la situation difficile des natives américains colonisés par les anglais dès la naissance de cette nouvelle nation. Mis à l’écart, cette communauté s’est déshumanisée. La chanson a été co-écrite par Bernie Taupin et fait échos à une musique de Tupac enregistrée vingt ans après, en 1992, “Ghetto Gospel”.
Le rappeur, dans ce titre, évoque la ségrégation et le repli de sa communauté sur elle même. « Nous sommes dans une nouvelle forme d’esclavage ». Très violent dans ses paroles et dans l’instrumentale la musique prend la forme la plus brut du hip-hop à cette époque.
En 2004, Sir Elton John surprend en apparaissant sur la réédition du titre post-hum. Il y interprète un passage de “Indian Sunset”. En toute douceur, l’empreinte “ghetto” laissé par Tupac s’efface pour celle, plus pop, du chanteur, tout en y gardant le sens politique. Une connexion qui s’est faite grâce à Luis Resto (qui a co-écrit “Lose Yourself”) et Eminem.
Mais comment se sont-ils rencontrés ? Entre Eminem et Elton John, c’est une histoire d’amitié révélée au grand jour sur la scène des Grammys Awards en 2001. Pour comprendre il faut re-contextualiser. Le 16 janvier 2000 sort The Marshall Mathers LP. Ce troisième album studio est un carton. Mais de nombreuses controverses planent autour du projet, notamment sur le fait que le rappeur serait homophobe. Sal Cinquemani est auteur sur le site “Slant”, spécialisé dans la critique en tout genre. L’article qu’il écrit à propos de l’album est cinglant. « The only thing worse than Eminem’s homophobia is the immaturity with which he displays it ». Le journaliste laisse derrière lui une note salée : 1,5/5.
Même si les critiques positives l’emportent sur le négatif, Eminem décide de réagir. Le soir de la cérémonie des Grammys Awards en 2001, le rappeur interprète en live “Stan”. Ce qui, au départ, était un feat avec Dido, se transformera ce soir là en une rencontre au sommet avec… Sir Elton John. Assis derrière son piano, il est immédiatement ovationné par la foule. Seize ans après, cette scène est perçue comme la performance la plus importante dans l’histoire du hip-hop.
Admiratif du rappeur depuis ses débuts, le chanteur est désormais brandit comme rempart lorsque l’on en vient à critiquer l’homophobie d’Eminem. Interviews, lives… Elton John se livre ainsi sur leur intime relation : « Quand David (son compagnon ndlr) et moi avons célébré notre partenariat civil, il nous a envoyé un cadeau: deux cockrings avec des diamants sur des coussins de velours! C’est ça que vous appelez un homophobe ? ». Une relation qui s’est accentuée lorsque le chanteur a aidé Eminem à se sortir de ses maux qui le rongeait : la drogue et l’alcool.
À Atlanta, capitale de la Trap, il est bon de prendre un peu plus de hauteur sur les influences qui entourent les artistes au quotidien pour trouver l’inspiration, et Young Thug en est la preuve. En 2016 il dévoile le titre “John” en featuring avec Wyclef Jean, un membre des Fugees. En soit, rien ne relie la musique à Sir Elton John si ce n’est le titre. Mais cela met en lumière une fascination pour le chanteur… et vis versa. Tous les deux fans du travail de chacun. Et c’est l’anglais qui brise la glace en décembre 2015 dans une interview accordée à Noisey : “I actually asked [Universal Music CEO] David Joseph about it. I heard a track on Beats 1 and I loved it so much”
Quelque mois avant la sortie du hit “John”, on apprenait que les deux artistes travaillaient en étroite collaboration pour un Remix de “Rocket Man“. Et c’est, selon The Fader, Lyor Cohen, le co-fondateur du label du rappeur, qui aurait arrangé le coup via un simple Facetime. John a immédiatement envoyé l’instrumentale après cette conversation. Un an après, toujours rien mais la patience est une vertu qu’il faut savoir cultiver et mettre à profit.
Autre collaboration avec un grand nom du rap… La comparaison pourrait très vite être trouvée sur le fait que Kanye est au rap ce qu’Elton est à la pop : deux légendes qui ne cessent de cultiver l’imaginaire collectif, le but ultime à atteindre lorsque l’on est un jeune rookie qui déboule dans le milieu.
Tout commence en 2007 lorsque Kanye West sample le titre “Someone Save my Life Tonight” ainsi que “The Ruler’s Back” de Jay-Z pour “Good Morning”, l’intro de son troisième album studio Graduation. Mais outre le sample, l’écriture de ce tube s’est faite à six mains. Alors il y a bien évidemment le rappeur, mais aussi… Bernie Taupin, souvenez-vous, ce même Bernie qui a co-écrit “Indian Sunset”, et Sir Elton John. Ce premier pavé dans la marre signe une collaboration underground où le chanteur opérera dans l’ombre du rappeur. Car il y a un hic. Même si John avoue aimer travailler avec West, ce dernier n’arrive pas à incorporer une touche hip-hop dans ses albums. « I just don’t know how to do it. I do love electronica (…) It’s just a matter of when and where and, should I do it, the mood that I’m in … » avoue-t-il dans une interview accordée à Rolling Stone en 2014. Alors à défaut de se creuser la tête pour savoir comment faire, il préfère apporter son aide aux autres.
En 2010, Sir Elton John pose une nouvelle fois la pierre à l’édifice pour le projet My Beautiful Dark Twisted Fantasy sur le morceau devenu désormais culte “All Of The Light”. Cette fois ci, la rencontre se fait dans un endroit propice à la détente et donc à la créativité, à Hawaii et plus précisément à Honolulu. Les deux artistes s’y retrouvent en studio pour enregistrer le titre. Elton John commence à jouer du piano et à chanter, la magie opère. « he (Kanye ndlr) was just on fire. It was amazing to watch. You knew you were in the presence of greatness. I knew once I heard four or five tracks from that in the studio, I knew it was going to be a motherfucker of a record ». Dans une interview accordée à Teen Music, Elton reviendra sur cette collaboration « I grew to love R&B and Motown and all black music, gospel music. I never dismiss any form of music (…) I listen to everything. I’m on the new Kanye West record, for example. It’s a genius record ».
Les improbables : Tech n9ne et Khalid
Le 9 mars 2017, le centre ville de Vancouver, au Canada, a rendez-vous, un peu par hasard, avec Sir Elton John. Rien ni personne ne pouvait imaginer que la pop star pousserait la porte du disquaire “Beat Street Records”. Et encore moins d’y deviner sa requête. Entouré de ses gardes du corps, le musicien fait le tour du magasin à la recherche d’un disque en particulier. Ou plutôt d’un artiste : Tech N9ne, un rappeur underground de Kansas City connu pour sa musique hardcore et qui a enregistré avec Wiz Khalifa et Kendrick Lamar pour ne citer qu’eux.
Le chanteur repartira sans son disque car le marchand ne l’avait pas en stock. Il se rangea sur d’autres artistes et trouva son bonheur ailleurs en achetant pour deux cent dollars des vinyles de Morris Day, Little Feat, Scritti Polliti et Linda Ronstadt… « I came in from the back and there was Elton John standing there with his two bodyguards, digging through records (…) He asked my boss if we had any Tech N9ne, like, the gangster rapper and I was not expecting that » raconta le manager du magasin à CBC.
Après avoir secoué la planète rap suite à cette requête improbable, le rappeur a tout de suite répondu via son manager et n’a pas laissé passer l’occasion en appelant à une future collaboration. Seul le temps nous dira si les deux artistes se rencontreront pour enregistrer un titre ensemble.Il y en a un aux Etats-Unis pour qui tout réussi. Il n’a seulement que dix neuf ans et a cassé les Charts en seulement une année avec son album American Teen. Nous parlons bien évidemment de Khalid, dont le succès n’a pas échappé au chanteur anglais Sir Elton John. C’est le petit dernier de notre liste déjà bien remplie. Mais il faut dire que l’artiste garde toujours une place vacante à ses côtés pour accueillir celui qui mérite son approbation. Plus pop et R&B que rap (c’est dans l’ère du temps), Khalid se démarque de par sa voix grave et joviale remplie d’amour et de bonne humeur.
C’est surement cela qui a séduit Elton. Une tranche était consacrée à l’artiste lors d’une interview sur la radio d’Apple Music “Beats 1”. Vers la fin de cette entrevue, c’est la surprise, John se met à parler de la nouvelle génération avec qui il aimerait bien collaborer… Tout le monde retient son souffle. Qui va-t-il « introniser » ? « There’s someone from El Paso I’m a big fan of (…) He’s (Khalid) going to be a big star » avant de surenchérir « I’d like to do something with Bruno Mars, I mean, but he’s not a new artist (…) New artist wise, Khalid. I love Khalid. I’m playing in El Paso where he’s from on Wednesday ».
Ni une ni deux, la rencontre est organisée dans la ville natale du jeune homme à El Paso où le chanteur s’y produisait quelques jours après son interview et deux jours avant de souffler ses soixante dixième bougies. Lors du concert, il joua “Don’t Let The Sun Go Down On me” qu’il dédia à Khalid… Un beau présent que le jeune homme ne risque pas d’oublier. Preuve en est, Khalid a publié en juin dernier sur Twitter une reprise du fameux “Rocket Man”, une dédicace pleine de sens…
I’m a rocket man. @eltonofficial pic.twitter.com/jasGzDJl9J
— Khalid (@thegreatkhalid) 18 juin 2017
Vous l’aurez désormais compris, Sir Elton John pousse les frontières de sa musique et ne se prive de rien. Ce sont ces rencontres incongrues entre deux genres qui font la beauté de la musique. Et même si ce dernier a déjà collaboré avec les plus grands, le public n’est pas en reste, et les artistes non plus. La nouvelle génération est fin prête à travailler avec la star mondiale de la pop.