Nike est-il en train de tuer ses modèles phares ?

C’est le débat qui agite les réseaux sociaux depuis maintenant plusieurs mois. Particulièrement complexe, le sujet mérite quelques éclaircissements, en particulier dans la définition des modèles que l’on aime baptiser “phare” ou encore “emblématique”.

Commercialement très adroits, les dirigeants et responsables marketing de Nike se plaisent en effet à jouer avec les sentiments des consommateurs, faisant et refaisant de chaque modèle populaire et bien vendu, un incontournable dans l’esprit des amateurs de basket.

En 2017, ce sont évidemment la Air Max 97 et la Air VaporMax qui ont recueilli le plus grand nombre de suffrages dans le milieu des amateurs de sneakers, loin d’être tous intéressés par les enjeux et répercussions qu’engendre la sortie d’une dizaine de general release un mois après le modèle vendu en série limitée… En ce qui concerne ces deux paires, desquelles ressortent souvent des avis très controversés, il semble important de rappeler que Nike n’a jamais caché son envie d’en faire de véritables best-seller, plutôt que de réelles pièces de collection.Sortie il y a 20 ans déjà, la paire de Christian Tesser ne se découvre pas une nouvelle fonction avec la quinzaine de coloris à venir d’ici la fin de l’année. Médiatisée à outrance par les consommateurs depuis à peine deux ans, beaucoup de fanatiques ignorent que cette dernière a par le passé connu de nombreuses versions, pas toujours très appétissantes, à l’image d’une Hyperfuse Volt de 2012. Il est dès lors compréhensible que de nombreux amateurs non-initiés se révoltent, souhaitant profiter de l’exclusivité de leur Silver Bullet sortie l’hiver dernier, sans que celle-ci ne soit banalisée par l’apparition soudaine de dizaines de modèles similaires dans le même quartier.

Celle qui tire son design du mountain bike favori de son créateur n’en est pourtant pas à sa première, ni à sa dernière réédition. Les vrais adeptes du modèle auront ainsi depuis 2, 5, voire 10 ans largement eu l’occasion de profiter d’une certaine exclusivité de cette version argentée, acquérant sans trop de problèmes les dernières version de 2007 ou 2009 entre autres. Pour ceux qui n’auraient découvert la 97 qu’en début d’année, Nike a pensé à son public au moins autant qu’à ses rentrées d’argent, proposant une gamme large et variée de celles-ci. Versions originales sobres, version Premium colorées et versions Ultra modernes, tout le monde devrait y trouver son compte, y compris les puristes, qui continueront de profiter discrètement de leurs anciennes paires et cela sans de bruyantes et insensées indignations.Créée 20 ans plus tard, l’histoire de la VaporMax diverse quelque peu de sa compatriote et rivale de la précédente génération. Représentant pour beaucoup à elle seule la ligne d’innovations de Nike des trois dernières années, les attentes se sont vite tournées vers une gamme conçue pour l’exceptionnel, le limité. Or, malgré une esthétique fraîche et impressionnante, peut-être même pour l’heure la plus réussie de 2017, celle-ci n’a depuis sa sortie, jamais été promise à un destin différent du succès global, populaire et commercial.

Facile à dire, l’analyse qui consiste à rappeler que la technologie Vapor n’est au final qu’une maigre évolution de l’air, sur laquelle ont été déposées vingt ans plus tard des bases de Flyknit, n’est pourtant pas totalement erronée. Cette théorie, loin de mettre tout le monde d’accord, pourrait en effet expliquer le choix de Nike de n’en faire qu’une vulgaire general release, quelques jours à peine après sa première apparition à Paris, près du centre Pompidou. Un coloris nommé OG, un autre disponible uniquement dans les boutiques NikeLab et enfin une collaboration avec leur éternel partner in crime CDG, voilà qui résonne, cinq mois après les 30 ans de l’Air, comme une stratégie marketing parfaitement orchestrée.

Immédiatement proposée en version ID, puis grise, puis violette, puis rose, puis… bref vous avez compris. Jamais la VaporMax n’a été destinée à être collectionnée, ni à imprégner les esprits pour les vingt prochaines années. Elle est là, a séduit, séduit et séduira encore quelques temps, une période prolongée par l’annonce de quelques collaborations, se voulant chacune plus marquante, dans le but quasi certain de redonner chaque mois un peu d’oxygène à une paire magnifique, mais tristement vouée à l’oubli.Modèles phares de 2017, VaporMax et 97 ne peuvent toutefois véritablement être considérées comme “emblématiques” de Nike. Elles sont l’objet d’une tendance, nouvelle pour la VaporMax, ravivée le temps de quelques mois pour la paire de 1997. Contrairement à la Air Max 1 ou la Air Force 1, elles ne sont et ne seront jamais des baskets intemporelles, indémodables. Incontournable classique ayant la faveur des puristes pour la première et basique infiniment renouvelable pour la seconde, elles ne seront jamais dépassées, et ce malgré leurs innombrables productions, rééditions et collaborations récentes. Conscient de ce phénomène depuis de longues années, Nike a su trouver le dosage parfait pour les maintenir en vie.

Ayant délibérément choisi au cours des derniers mois de concentrer ses séries limitées autour de la Air Max 1 et d’une gamme avant-gardiste, Air Mag, Hyperadapt et VaporFly Elite en tête, les modèles phares populaires ont ainsi hérité d’un tout autre rôle. A défaut d’être vues comme les héritières des précédents emblèmes sneakers de Nike, les VaporMax et Air Max 97 continueront d’enchaîner les déclinaisons de couleurs dans un but purement lucratif. Rien de nouveau donc, preuve que Nike ne les a certainement pas tuées. Elles feront leur temps, celui de la mode, avant d’être remplacées, sans même que personne n’ait le temps de s’en apercevoir.