Comment Lana Del Rey est devenue le trait d’union parfait entre le hip-hop et la pop

Avec son dernier album Lust For Life, la chanteuse new-yorkaise a définitivement confirmé son amour pour le hip-hop, à grands coups de featuring et de productions aux sonorités urbaines.

Dès ses débuts, Lana Del Rey avait prévenu. Au cours du premier couplet de son incontournable “Blue Jeans” en 2011, Elizabeth Grant, de son vrai nom, chantait “I grew up on hip hop / J’ai été élevé au hip-hop”. Au fil de ses quatre albums, celle qui se qualifiait de “Gangsta Nancy Sinatra” lors de ses débuts a prouvé qu’elle était l’une des seules artistes actuelles à pouvoir concilier deux paysages sonores américains que tout oppose. Lana Del Rey chante d’un côté l’americana, que l’on pourrait assimiler à la culture blanche traditionnelle du pays de l’Oncle Sam, avec son imaginaire peuplé de motels rutilants, de bikers tatoués et d’une vision fantasmée de l’âge d’or d’Hollywood. D’un autre côté, la diva ne cache pas sa fascination pour la culture urbaine, via des productions très souvent orientées hip hop, des collaborations avec son grand ami A$AP Rocky et des paroles évoquant bien souvent un mode de vie basé sur le luxe, le sexe et le succès.

Native de la grosse pomme, Lana Del Rey a grandi dans un environnement qui baignait alors dans l’âge d’or du rap de la côte Est. Néanmoins, son rappeur préféré vient d’un peu plus loin dans les terres, de Détroit plus précisément. La chanteuse cite en effet régulièrement Eminem comme étant l’une de ses plus fortes inspirations artistiques, comme elle l’expliquait en 2012 : “Il a véritablement changé ma vie car il m’a fait prendre conscience que la musique pouvait être intelligente. Il parle de la réalité de son existence dans ses morceaux, il n’utilise pas simplement un mot juste pour faire une rime. J’ai compris que je pouvais parler des choses de la vie au lieu de faire de la musique débile.” 

Il n’est donc pas étonnant de la voir s’attacher les services d’Emile Haynie pour produire “Born To Die”, un premier album qui fera entrer la chanteuse dans une nouvelle dimension en 2011. Connu pour avoir collaboré avec Kanye West, A$AP Rocky, Kid Cudi, Ice Cube et donc, Eminem, Haynie est l’homme qui va façonner les sonorités hip-hop du disque de Lana Del Rey. L’album oscillera avec élégance entre des morceaux mélancoliques portés par des cordes puissantes et de nombreux titres aux sonorités sensuelles et urbaines. Le symbole le plus marquant de cette première déclaration d’amour envers le milieu du hip hop restera le clip de “National Anthem”, au cours duquel Lana Del Rey devient la Jackie Kennedy d’un JFK interprété par A$AP Rocky. Tumblr s’enflamme, les blogueurs crient au génie et la hype est définitivement installée.

L’amitié entre les deux artistes branchés ne date en effet pas d’hier. Lana et Rocky franchissent le pas en 2012 et enregistrent l’excellent “Ridin'”, qui ne bénéficiera malheureusement jamais d’une sortie officielle. Flacko rappait alors “Lana that’s my bitch / Lana c’est ma meuf” tandis que cette dernière lui répondait langoureusement “I want to be your object / Je veux être ton objet.” Ce morceau suintant la luxure sera néanmoins la seule collaboration entre les deux amis jusqu’à “Summer Bummer” (sur lequel Playboi Carti est également présent) et “Groupie Love”, deux des trois titres choisis pour assurer la promo de “Lust For Life.” Un album ambivalent, sur lequel Lana Del Rey fera la synthèse de ces inspirations, avec une première partie tendant fortement vers le hip-hop, rappelant les sonorités de “Honeymoon”, et une deuxième partie plus indie rock, à l’image de ce que Lana avait offert à ses fans sur “Ultraviolence.” Une fois de plus, culture noire et americana s’entrechoquent.

Le goût de Lana Del Rey pour ce qu’elle qualifie dans ses chansons de “Gangsta Glamour” est particulièrement intéressant à analyser. La chanteuse brille en effet de par sa capacité à reprendre les codes du hip-hop avec justesse, sans jamais tenter de s’approprier culturellement le genre, à l’image d’une Iggy Azalea. En abordant des thématiques centrales du milieu du hip-hop dans ses productions musicales, Lana Del Rey est davantage dans l’hommage que dans la copie. La chanteuse y ajoute une touche féminine et élégante, rendant le genre plus accessible sans pour autant le dénaturer, ce qui lui permet d’avoir les faveurs de nombreux artistes appartenant à cet univers. Outre sa bromance ambiguë avec A$AP Rocky, on rappellera notamment que Kanye West et Kim Kardashian avait booké Lana Del Rey pour chanter lors de leur mariage à Florence en 2014.

La new-yorkaise bénéficie en effet d’une crédibilité forte, qu’elle s’est construite à grand coups de tours de force artistique et surtout de storytelling. La construction du personnage de Lana Del Rey, sorte de diva vintage et glamour, fascinée par les bad boys et la réussite matérielle, fait écho à la façon dont la plupart des rappeurs façonnent également leur identité artistique. Entre noms de scènes, mise en scène poussée de ses apparitions et étalage exubérant de son style de vie luxueux, le milieu du hip-hop fait lui aussi la part belle à la narration. Outre les influences musicales, Lana Del Rey partage avec les artistes hip-hop cette capacité à se construire un alter ego artistique charismatique et fédérateur. Il n’y a qu’à voir comment A$AP Rocky est devenu une marque à lui tout seul pour s’en rendre compte.Même si dire que Lana Del Rey est une artiste hip-hop serait une erreur, il est impossible de nier qu’elle symbolise un superbe trait d’union entre les deux genres musicaux les plus populaires du moment. La chanteuse partage en effet de nombreuses références, codes et repères avec ce milieu unique. Loin d’être une membre à part entière de cette univers, Lana Del Rey gravite à sa frontière avec finesse et retenue.

Alors qu’une multitude de popstars font face à des accusations d’appropriation culturelle, la chanteuse est consciente de sa place dans l’industrie, comme elle l’expliquait récemment à Complex : “Je n’ai jamais senti que je n’étais pas à ma place. Peu importe de qui je m’entoure, je fais toujours mon propre truc. Je ne peux pas me rappeler de la dernière fois où je me suis dit que je n’appartenais pas à tel ou tel milieu. Je fais ça depuis tellement longtemps et je sais que toutes les personnes avec qui j’ai lié une amitié savent que tout ce qui compte pour moi est ma musique.” Comme quoi, lorsqu’un genre ne pille pas l’autre, hip-hop et pop semblent faits pour s’entendre.