Hot take
Depuis le jour de la saint Valentin 2006 et la sortie de son projet Room For Improvement, la carrière de Drake n’a jamais cessé de grimper, jusqu’à tutoyer les sommets 10 ans plus tard avec la sortie de Views en avril 2016. Pourtant, tout n’est pas rose pour Drake depuis quelques mois, et 2017 semble marquer la fin de sa domination sans partage de l’industrie musicale.
En 2016 avec son album Views, Drake avait battu tous les records de vente et prouvé une fois pour toute qu’il était le rappeur le plus bankable. Il n’a malheureusement pour lui pas réussi à reproduire la performance avec More Life, qui n’a pas connu le même succès dans les charts, mais qui surtout a été dominé par DAMN. de Kendrick Lamar. En première semaine, la playlist de Drake a écoulé 505 000 exemplaires là où le 4ème album de K.Dot a trouvé pour sa part plus de 610 000 acquéreurs. Les semaines suivantes ont confirmées la tendance, alors que Kendrick vendait 238 000 et 170 000 exemplaires en deuxième et troisième semaine, Drake se contentait de 226 000 et 136 000 exemplaires. Drake n’a donc pas réussi à répéter sa prouesse du million de ventes en première semaine, mais, bien pire que cela, il s’est incliné face à son concurrent direct Kendrick Lamar, avec qui il connait une rivalité qui peine à clairement s’assumer. On peut aussi noter que Future et ses deux albums différents consécutivement numéro 1 du Billboard et son tube planétaire “Mask Off” ont plus brillé que le Canadien ces derniers mois.
Mais l’échec (évidemment relatif) rencontré par More Life ne s’arrête pas à une simple affaire de vente en première semaine, puisque c’est aussi pour son fond et sa forme que ce disque a essuyé les critiques et n’a pas réussi à changer le paysage musical comme l’ont fait ses précédents albums. Avec cette playlist, toute l’ambition était de créer un prototype musical long, varié et censé mettre en avant sa domination des genres entre rap, RnB et pop. Construit de façon à être la playlist de toutes les occasions qui ambiancerait nos vies, avec un éclectisme forcément de mise, le sentiment restant après l’écoute étant que chaque titre peut être ressorti de son contexte, comme un enchainement de 22 singles. Drake se place au dessus de la mêlée grâce à ses egotrip censés nous rappeler sa domination de l’industrie. Malheureusement, le manque évident de cohérence et de single planétaire à l’image de ceux présents dans ses derniers projets heurtent incontestablement la constante volonté d’intemporalité de la musique du Canadien. Évidemment, “Fake Love”, “Passionfruit” et “Portland” sont très populaires sur les plateformes de streaming, mais ils ne possèdent pas cette étiquette de singles symboles d’une époque à l’image de ce que “Mask Off”, “XO Tour Llif3” ou encore “Magnolia” seront pour l’année 2017, ou de ce que “One Dance” et “Controlla” ont pu être pour 2016.
Mi-août, le monde du hip-hop apprenait une information qui, pour beaucoup, a du sembler anodine. Analysée de plus près, elle symbolise la tendance de l’année 2017 pour Drake : en effet, pour la première fois depuis 2009, Drizzy était éjecté du Billboard Hot 100. Réunissant les 100 morceaux les plus populaires du moment, le Billboard Hot 100 est un excellent indicateur des tendances musicales du moment. À la suite de la chute successive de “Passionfruit” et de “Signs” hors du classement, ce dernier se compose depuis sans le fondateur de OVO. Drake était rentré au Billboard Hot 100 en 2009 avec “Best I I Ever Had” et s’y était installé pendant 430 semaines, symbolisant la domination commerciale du Canadien dans l’industrie musicale. Désormais, cela signifie que Drake ne figure plus parmi les 100 singles les plus populaires du moment. C’est un échec cuisant pour un artiste qui a fait de son poids commercial l’argument phare de la postérité de sa carrière. Là où des artistes tels que J.Cole, Kendrick Lamar, Joey Bada$$ ou encore Logic peuvent aisément s’en passer au vu de leur style peu concerné par les tubes en rotation à la radio, Drake ne peut quant à lui pas se permettre de perdre de sa superbe dans ce domaine.
Pendant plusieurs années, Drake donnait l’impression de n’avoir aucun raté commercial à son palmarès, et chacun de ses singles, ou des singles auxquels il participait s’offraient une aura toute particulière — en plus d’une réussite certaine. Récemment, il a notamment connu un gros échec avec “To The Max”, morceau qui devait servir de single au nouvel album de DJ Khaled. Au final, ce track n’a même pas connu le Billboard Hot 100 et a rapidement été complètement retiré des plateformes de streaming, soit un aveu clair de l’échec du morceau. Le tout, pendant que le tout récent “Signs” n’a que très légèrement goûté aux charts et est rapidement tombé dans l’oubli de beaucoup de ses fans. Au-delà même des scores réalisés sur les plateformes de streaming, c’est bien l’impact global de sa musique sur la culture qui semble s’essouffler ces derniers mois.
Résultat, Drake semble de moins en moins intouchable aux yeux du grand public et les critiques sur sa carrière, sa musique et son apport à la culture n’ont jamais été aussi présentes. Bien qu’il reste une gigantesque star, les personnes le qualifiant de porte étendard artistique de sa génération sont de plus en plus rares, là où Kendrick se voit déjà comparé à la plupart de ses glorieux ainés. L’écart de trajectoire entre les deux hommes ces derniers mois est d’autant plus criant. À force d’avoir tiré sur la corde du commercial, cette dernière a rompu et les auditeurs qui ont un temps admiré Take Care n’ont aujourd’hui que guère d’affection pour la R&B édulcoré proposé par Drizzy ces dernières années. En clair, une cassure bien présente entre Drake et les fans de rap semblent s’être formée et au vu des choix artistiques qu’il a pu effectuer ces dernières années. Le retour en arrière semble difficile et le virage qui s’amorce sera particulièrement compliqué à négocier pour le Canadien.
À force de vouloir mélanger rap, R&B, pop et de vouloir plaire à tout le monde, Drizzy semble plaire à de moins en moins de monde et surtout ne domine plus aucun des 3 genres musicaux. Les fans de rap lui reprochent évidemment de ne plus faire ses fameux bangers tout en ayant jamais vraiment digérés les accusations de ghost-writing, là où les fans de pop ne l’accepteront jamais comme l’égal de Taylor Swift ou Adèle pendant que l’univers de la musique afro lui reproche de s’approprier des codes qui ne sont pas les siens. En clair, Drake est dans une situation artistique tendue et compte pourtant continuer dans cette voie, alors qu’un possible featuring avec le français MHD est évoqué avec insistances ces derniers jours. Pour s’approprier à nouveau un style qui n’est pas le sien ? Si Drake a toujours assumé puiser ses inspirations dans la musique du monde, cela à pour conséquence aujourd’hui que beaucup ne sachent plus comment le situer musicalement. Ainsi, si l’évocation du nom de Drake aurait automatiquement fait penser au rap et au RnB il y a quelques années, son effet aujourd’hui amènerait plutôt à penser à la zumba de Wizkid comme aux hommages pas toujours réussis à la grime anglaise.
Alors qu’il a récemment annoncé la sortie d’un nouvel album pour 2018, Drake joue déjà gros et prépare son retour avec toute la pression sur ses épaules. Si le natif de Toronto n’a rien perdu de sa superbe mais que ses orientations ont souvent pu déboussoler son public, il n’en demeure pas moins l’un des artistes les plus influents du monde de la musique et dispose de l’une des fan-bases les plus importantes. Aujourd’hui, son plus grand défi sera sans doute de réussir à retrouver une identité facilement reconnaissable tout en renouant avec une position de numéro 1 des charts qui soit indiscutable. Pour Drake, la régression n’est pas une option, et il le sait mieux que tous.
Cet article est une “Hot Take”, une prise de position polémique visant à susciter le débat sur la question qu’il soulève. Les propos tenus dans cet article sont volontairement exagérés et n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient en aucun cas être tenus pour ceux de Views.