“Polaroid” ou comment Lord Esperanza cultive sa différence avec son dernier projet

Le 27 octobre dernier, le jeune rappeur parisien de 21 ans Lord Esperanza a dévoilé son nouveau projet intitulé Polaroid. Seize morceaux qui permettent de pleinement de découvrir l’univers et la polyvalence de l’auto-proclamé Enfant du siècle.

Pour pleinement comprendre Polaroid, il faut comprendre le parcours d’un artiste qui puise ses inspirations dans 21 ans d’existence, mais surtout dans des siècles d’art, allant de la peinture à la sculpture et bien sûr de la musique à la littérature.

Né à Paris, Lord Esperanza acquiert grâce à ses parents une sensibilité artistique dès son plus jeune âge. Après avoir joué du piano pendant des années, il découvre le rap quand son père écoute MC Solaar et sa soeur Doc Gyneco. Le jeune garçon s’ouvre très tôt à de nombreuses formes d’art, que ce soit la peinture, de Delacroix à Dali, la littérature avec Ferdinand Céline ou encore la musique avec Amy Winehouse. Grâce à ses amis, sa famille et les voyages qu’il effectue durant son enfance, Esperanza développe une grande curiosité, qui très vite “s’est transformé en un besoin d’assouvissement, d’émulation“, nous explique-t-il. Ainsi, âgé d’à peine 11 ans, le futur Enfant du siècle écrit une nouvelle de science fiction d’une quarantaine de pages, inspirée par sa lecture de 1984 de Georges Orwell, qu’il admet avoir du relire quelques années plus tard pour en comprendre pleinement le sens.

Lorsqu’il évoque ses influences, Lord l’affirme sans détour “nous sommes tous des éponges” sous-entendant ainsi le besoin de chaque artiste de trouver ses influences. S’il se dit fasciné par de nombreux artistes, allant de Michael Jackson à Jacques Brel en passant par Kanye West et Andy Warhol, il nous explique “certains m’ont touché, d’autres transcendé mais tous ne m’ont pas inspiré, car il m’est impossible faire la même chose.

“C‘est un projet plus long, plus abouti, dont la cohérence réside dans l’incohérence mais j’ai besoin de plus de maturité musicale avant de sortir mon premier album.”

Ouvert à toutes les formes d’art, le jeune homme avait nommé son EP Drapeau Noir à la suite d’une représentation de Roméo et Juliette à la Comédie Française, lorsque l’un des personnages déclara “et nos ébats seront gravés sur les drapeaux noirs de la mort“. Cette fois-ci, il n’est pas question de référence littéraire mais bien photographique. En effet, Polaroid est un “symbole de spontanéité, un instant présent, car même si le projet est travaillé de longue date, il a laissé place à l’instantanéité” à l’image de ces petits appareils photo qui permettent l’obtention immédiate de clichés argentiques. Lord Esperanza explique alors : “Je ne considère pas Polaroid comme mon premier album,” avant d’ajouter “c’est un projet plus long, plus abouti, dont la cohérence réside dans l’incohérence mais j’ai besoin de plus de maturité musicale avant de sortir mon premier album.”

Une chose est sûre, Polaroid trouve sa force dans sa pluralité. Le projet se charge de continuer ce qu’avait joliment démarré Drapeau Noir : prouver l’éclectisme et les talents multiples de son auteur. Le francilien affiche ses ambitions et déclare vouloir “toucher un maximum de gens et tenter de faire passer l’auditeur dans plusieurs formes d’émotions, que ce soit la colère, la tristesse ou la joie.” Et c’est très réussi. Cette capacité de changer du tout au tout transforme le projet en une véritable expérience pour l’auditeur. Qualifiant sa musique de “contrecourant tumultueux” tout en recherchant l’intemporalité “bien que ce ne soit pas une fin en soi” c’est avant tout transmettre un bout de lui-même aux autres que cherche à accomplir Esperanza.

L’idée que la musique de Lord Esperanza soit “différentes diagonales qui s’épousent” prend tout sens lors de l’enchainement d’un track à un autre. À l’image par exemple de “Tutoyer le ciel” où Lord transmet sa rage de vaincre et sa volonté de conquérir le monde, tout y amenant un jugement pertinent sur la superficialité de sa génération, qu’il enchaine ensuite sur un morceau beaucoup plus mélancolique qui s’offre quelques passages chantés très efficaces avec le titre éponyme au projet “Polaroid”. Passer du chaud au froid, voilà le sentiment que procure la musique de Lord Esperanza. Ce projet qu’il qualifie de “long EP ou mixtape cohérente” est finalement une superbe carte de visite de ce qu’est capable de proposer le rappeur, bien qu’il explique qu’il rencontrera peut-être à l’avenir le besoin de “se recentrer car le public a toujours besoin de catégoriser les artistes” avant d’ajouter “réussir à parfaitement maitriser un genre à l’avenir serait un honneur“.

Pour moi Roméo Elvis peut exploser à l’internationale et devenir une énorme star d’ici 10 ans et faire une carrière à la Stromae.

Ce nouveau projet ne manque pas de temps fort. Il y a d’abord le banger “Oh Lord”, dont la puissance et l’aspect triomphaliste sont un tour de force dont le principal intéressé se dit fier, tout particulièrement de sa production confectionnée par Sam H, Ibo et Majeur-Mineur : “La production est avant-gardiste, sur quelques détails techniques qui ne se sont pas forcément appliqués en France. C’est le genre de production sur laquelle de nombreux rappeurs américains auraient pu poser. En cela, Sam H, Ibo et Majeur-Mineur ont fait un travail remarquable“. Côté temps fort, on ne pourra pas non plus passer à coté de l’élégant “Infiniment Vôtre” en compagnie du talentueux Bruxellois Roméo Elvis dont Esperanza ne tarit pas d’éloges “Pour moi Roméo Elvis peut exploser à l’international et devenir une énorme star d’ici 10 ans et faire une carrière à la Stromae.” Au sujet de ce featuring d’envergure dont Lord est fier, il explique que cela s’est fait naturellement “Roméo est venu vers moi en m’envoyant un mail après le morceau “Kill Cam” et de fils en aiguilles, il m’a invité à faire la première partie de son concert à la Maroquinerie cette année. Et c’est ce soir-là que je lui ai proposé de faire un morceau ensemble.” Et les fans qui ont apprécié la collaboration peuvent se réjouir puisque L.O.R.D nous l’a confirmé “Il y a une réelle une possibilité que l’on refasse un featuring à l’avenir.” Rebondissant sur cette collaboration avec Roméo Elvis, Esperanza se dit “Fier de la nouvelle génération du rap francophone” en expliquant “il y a moins d’ego entre les rappeurs et plus de featurings“. Avant d’affirmer “Cela prendra un peu de temps car la France a encore du retard sur les États-Unis, mais à l’avenir les projets communs se démocratiseront aussi en France.

Les fans de Lord Esperanza le savent, son nom s’accompagne très régulièrement de Majeur-Mineur, son producteur de longue date, son ami, son conseiller et pratiquement son directeur artistique. Ce dernier avait entièrement produit Drapeau Noir. À la production ou la co-production sur 13 des 16 titres de ce nouveau projet, la présence de son ami producteur est indispensable, bien qu’il évoque son absence sur 3 morceaux en le justifiant par “Un besoin toujours plus grand de polyvalence et d’éclectisme, à l’image du morceau ‘Maria’ dont près d’une dizaine de musiciens venant d’Europe et d’Afrique ont été nécessaires à sa conception.” Pour autant, ne vous-y trompez pas, Majeur-Mineur n’est jamais bien loin “J’ai besoin de sa patte artistique et de sa vision. C’est un homme de l’ombre qui est indispensable et beaucoup de choses ne se feraient pas sans lui.

Après avoir livré ce projet, Lord Esperanza ne compte pas en rester là et les premiers retours le poussent à aller toujours plus loin et à se dépasser “Je vois parfois des mamans accompagner leurs enfants à mes concerts et elles m’expliquent avoir adorer un morceau en particulier et c’est un vraiment honneur.” Car si Lord Esperanza dégage évidemment une assurance et une ambition contagieuse, notamment à travers l’egotrip très présent dans sa musique, il place l’humain et tout particulièrement sa relation avec son public au centre de sa carrière et de son amour pour la musique. Pour preuve, sa plus grande fierté jusqu’ici est l’oeuvre d’autrui puisqu’à la fin d’un concert à Paris, un fan lui expliqua s’être lancé dans l’écriture d’un film grâce à sa musique. C’est ainsi que sa volonté de toucher les autres en prend tout son sens.

Je suis fier des choses qu’on a accompli tous ensemble car on a tous bossé pour ça. Ça donne de l’espoir car une fois de plus ça prouve que le travail paie toujours.

Au-delà de la qualité intrinsèque du projet, Polaroid est aussi la célébration de l’année écoulée qui aura vu la musique d’Esperanza prendre une toute autre ampleur. Là où de nombreux rappeurs mettent des morceaux en entier à résumer le chemin parcouru, il l’aura parfaitement fait dans “Noir Pt. II” en rappant “Demande à Nelick quand on performait devant 7 personnes” symbole parfait de son ascension fulgurante en l’espace d’un an mais aussi de sa capacité à parler de lui et de sa carrière avec sincérité. Ce que Lord Esperanza tire de ces douze derniers mois ? “J’ai beaucoup appris et j’ai encore beaucoup à apprendre. J’ai du me remettre en question mais avant tout, je suis fier de mon équipe. Car derrière Lord Esperanza, il y a 30 personnes entre producteurs, manageur, ingénieurs son, attachés presse ou encore réalisateurs.” Avant de conclure par “Je suis fier des choses qu’on a accompli tous ensemble car on a tous bossé pour ça. Ça donne de l’espoir car une fois de plus ça prouve que le travail paie toujours.” Et au vu de la qualité de Polaroid, écrit et interprété à seulement 21 ans, difficile d’en dire autrement.

Vous pouvez retrouver Lord Esperanza sur Facebook, Twitter et Instagram.

Texte et propos recueillis par Corentin Saguez

Photos par Léo Devaux pour Views