Comment la culture asiatique a pris d’assaut le hip-hop, le streetwear et la pop culture

Un temps underground en Europe et aux États-Unis, la culture asiatique est portée par élan qui la rend désormais incontournable, à la fois dans le streetwear, le hip-hop mais aussi la pop culture.

Dès le milieu du XXème siècle, l’Occident et plus particulièrement les Etats-Unis ont imposé leur culture au monde entier, se plaçant ainsi dans une position de leader incontesté. On le remarque tout d’abord à travers la musique. Berceau du rock dans les années 50, les États-Unis ont totalement bouleversé les fondamentaux de l’époque pour entrer dans une nouvelle ère de création, qui a finalement abouti avec le temps à la diversité musicale que nous connaissons aujourd’hui. Le mérite de l’invention d’un des vêtements présent dans toutes les armoires du monde revient également aux USA : le jean. Créé par la marque emblématique Levi’s, le jean est un autre symbole de la suprématie du soft power américain dans la seconde moitié du XXème siècle. Pendant ce temps, les pays de l’Est comme le Japon ou la Chine sont en pleine période de développement économique. Aujourd’hui, puissances financières de première envergure, les géants asiatiques diffusent pleinement leurs cultures, appréciées à leur juste valeur, notamment grâce aux désormais célèbres mangas, mais pas que.

Même s’il a pris son temps pour arriver, le style asiatique est désormais présent en force dans la culture urbaine moderne. En effet, certains l’ignorent encore, mais d’importantes marques de haute-couture et de streetwear telles que Kenzo, Visvim, BAPE ou encore COMME des GARÇONS sont d’origine japonaise. Elles occupent actuellement une place non négligeable sur la scène occidentale et sont très représentées, dès la Fashion Week de Paris en 1981 pour COMME des GARÇONS et de très nombreuses fois pour Kenzo. En 2017, le constat est limpide : le monde de la haute-couture ne peut plus se passer des stylistes asiatiques. Les exemples de designers asiatiques arrivés au sommet ne manquent pas. Jimmy Choo (de son vrai nom Choo Zhou Yangjie, né en Malaisie et ayant vécu en Chine) est connu dans le monde entier pour ses talons aiguille, portées par Beyoncé, Madonna ou la Princesse Diana. Le talentueux Alexander Wang a de son côté travaillé pour Marc Jacobs et il collabore actuellement pour Balenciaga. Nous ne pouvons donc plus l’ignorer, la culture asiatique est représentée dans les plus hautes sphères, mais pas seulement.

La culture asiatique suscite désormais l’intérêt des grands acteurs des tendances actuelles, comme Supreme, qui collabore régulièrement avec COMME des GARÇONS, au moins une fois par an depuis 2012, révélant ainsi que le jeune public adepte de la culture urbaine est très sensible au rapprochement de deux mondes pourtant si opposés. Concernant les coopérations de ces deux marques incontournables ces dernières années, elles sont à chaque fois, à leur façon, originales et trendy. On retrouve fréquemment le look bien reconnaissable de la marque américaine, comme le fameux logobox, associé aux lignes sombres et épurées de la marque nippone. L’alliance du streetwear et de la haute couture donne un rendu à la fois élégant et original, très apprécié par les connaisseurs et de plus en plus reconnu par le grand public. C’est la même idée qui est perpétrée quand en 2008, Supreme sort une collaboration avec Visvim et une collection dédiée au manga AKIRA en 2017, montrant un grand intérêt pour la culture japonaise. Encore une fois, en ce moment même, cette collection en référence à un fameux manga fait parler. Le design interpelle, avec des extraits du manga mis en avant sur les différentes pièces, créant un contraste peu habituel, et attirant ainsi l’attention de tous les fans de streetwear.

Extrait de la collaboration Supreme x Akira

The North Face, marque emblématique connue de tous, s’intéresse également à ce mouvement et sort en 2017 une capsule internationale constituée de plusieurs pièces avec pour chacune deux possibilités de motifs. Le premier à l’effigie des USA : des étoiles, du bleu et du blanc à l’honneur, rappel de la Star-Spangled Banner américaine (classique de leur part). Le second faisant honneur à la Corée du Sud, avec du blanc, un bleu plus sombre et des pois, encore une fois référence à la sphère représentée sur le drapeau sud-coréen. Ce geste symbolique est une énième preuve que la culture asiatique a de plus en plus sa place dans le milieu du clothing grand public, ainsi que dans le streetwear.

Précisons tout de même que l’Orient ne repose pas uniquement sur l’Occident pour se faire une place au soleil. Vera Wang, styliste d’origine chinoise, a ouvert sa première boutique de robes de mariées en 1990 et est maintenant devenue une véritable icône du milieu, faisant rêver les fiancées du monde entier. À quelques semaines de l’ouverture de son premier store à Paris, BAPE dévoile une collection célébrant le manga Dragon Ball Z, preuve qu’une marque japonaise sait mettre en valeur sa propre culture et l’imposer au monde entier. Nous retrouvons alors le fameux logo de A Bathing Ape combiné à des images du manga, pour un résultat plus que satisfaisant pour les fans des deux entités. Les différentes pièces de la capsule seront à coup sûr sold-out très rapidement, les adeptes du milieu étant de plus en plus friands de ce genre de créations.

L’impact de la culture asiatique dans la mode ne représente toutefois qu’une partie de l’organisation culturelle mondiale de notre époque. Cette ère nouvelle ne se manifeste pas seulement à travers le clothing, c’est un mouvement qui s’exprime aussi musicalement, l’une des formes d’art les plus partagées au monde. La scène hip-hop en est témoin avec l’apparition du Japonais Kohh et son titre “Paris”, de l’Indonésien Rich Chigga et son hit loufoque “Dat $tick” ou encore du Sud-Coréen Keith Ape qui a notamment livré le banger “It G Ma” en collaboration avec d’autres rappeurs asiatiques. Très souvent, on retrouve des sonorités agressives et particulières, associées à un rap en langue de l’Est, peu connues du monde du hip-hop occidental, bien que cela ne concerne pas Rich Chigga puisqu’il rap en anglais. En résulte un mélange explosif lorsqu’on associe ce type de sonorités avec des rappeurs américains, à l’image de la collaboration entre Keith Ape et Ski Mask The Slump Gog sur “Achoo!”. Ce nouveau courant offre l’avantage d’être gagnant-gagnant. Les artistes asiatiques gagnent en popularité et en renommée en collaborant avec des grands noms de la scène hip-hop. Les américains, eux, gagnent en exposition mondiale, ils se diversifient et leur public en raffole, il est toujours en attente de plus de nouveautés et dans une époque où la quantité est monstrueuse, c’est la qualité et l’originalité qui prime.

Le rap français, mondialement reconnu comme l’une des scènes les plus bouillonnantes, est également impacté par ce phénomène. De plus en plus d’artistes font référence à l’Asie dans leurs morceaux, chacun à sa manière. Joke, toujours légèrement en avance sur son temps, avait sorti en 2012 son EP Kyoto, en référence à l’ancienne capitale du Japon. Il avait récidivé en 2013 avec l’EP Tokyo. Cette culture l’inspire depuis longtemps et c’est avec son morceau Harajuku sorti en 2013 qu’il nous montre tout le potentiel d’une telle fusion de cultures. Ici, c’est la production qui nous fait voyager, grâce à un style asiatique parfaitement reconnaissable, et le rap technique de l’artiste vient parfaitement l’épouser. Joke ne manque pas non plus l’occasion de distiller des punchlines référencées à la culture asiatique à travers nombre de ses morceaux.

D’autres comme Django ou Tengo John vont même plus loin en basant une grande partie de leurs textes sur des références à la culture asiatique et notamment aux mangas. Cet attrait se retrouve également dans leur manière de réaliser des clips, assez peu commune pour la culture française. Par exemple, dans “Oiseau” pour Django ou dans “Trois Sabres Part III” pour Tengo John, la mise en avant d’un sabre est remarquée, rendant ainsi un hommage tout particulier à l’Asie, plus particulièrement aux guerriers Samouraïs. Enfin, des représentants du rap français encore plus connus mettent à l’honneur cette fusion en cours comme le $-Crew avec “Fugazi” ou encore Sneazzy avec “Zannen“. Les rappeurs hexagonaux ont bien compris l’expansion de ce phénomène et en ont vite assimilé les codes.

L’écart entre ces deux mondes s’est considérablement réduit au cours des dernières décennies, pour finalement ne créer qu’un seul mouvement que la culture urbaine est en actuellement train d’embrasser. L’adaptation du manga Death Note par Netflix, comptabilisant plus de 110 millions d’abonnés à travers le monde, et une preuve que ce mouvement ne s’arrête pas à la culture urbaine, mais qu’il est de plus en plus au grand public.

L’émergence des références asiatiques s’explique également par de simples données démographiques. L’Asie représente en effet 60% de la population mondiale et quasiment un asiatique sur deux est âgé de moins de 20 ans. Il est de plus en plus courant pour les jeunes fortunés de continent d’aller étudier en Europe et aux Etats-Unis, un processus qui permet évidemment d’accélérer le partage des cultures de leur pays d’origine. Il suffit de flâner sur le campus d’une grande université de New York ou de Los Angeles pour s’en rendre compte. Les étudiants asiatiques, souvent ultra-connectés et très sensibles au tendances, évoluent dans les environnements où la hype naît. Il est donc logique de constater l’influence nouvelle de l’Asie dans les tendances occidentales.

Ne pouvons-nous pas nous attendre, dans les années à suivre, à la continuité de la large démocratisation de ce style, au point de ne même plus le considérer comme original et de finalement s’en lasser ? Cette side-culture, encore réservée à un certain public connaisseurs, est donc de plus en plus populaire pour cette même raison. On peut craindre que la démocratisation rapide que connaît actuellement ce mouvement puisse au final lui causer du tord auprès d’une partie du public. C’est un phénomène qui se produit souvent lorsqu’une culture considérée comme underground accède au mainstream. Il ne serait donc pas étonnant que cette nouvelle culture subisse le même sort dans quelques années, son statut de “grand public” pouvant pousser certains fans et consommateurs à se réorienter vers des cultures plus nichés. L’avenir en décidera.