Si l’industrie musicale avait pour habitude de parler d’un morceau “calibré radio” pour évoquer un tube en puissance, cette expression semble de plus en plus désuète, et tout particulièrement ces derniers mois.
En 2017 plus que jamais, les « hustlers » du gangsta rap semblent avoir été remplacés par de jeunes adultes torturés psychologiquement par les femmes, la drogue et leur condition — bien souvent — d’afro-américain qui chantent et rappent leur souffrance et leur mode de vie le plus souvent décadent. Le plus notable est sans doute que le public semble en être tout particulièrement demandeur, comme si une génération toujours plus en décalage avec la précédente se retrouvait parfaitement à travers la musique toujours plus clivante de ces rappeurs et leurs tubes pour le moins improbables.
Les fans vivant dans le microcosme du rap n’ont pas pu passer à côté de ces fameux « tubes improbables » ces derniers mois, et ce malgré qu’ils n’aient en rien été construits pour devenir des hits planétaires. Cela s’explique par une industrie en pleine mutation, mais surtout par la prise de pouvoir des auditeurs. Et cette prise de pouvoir montre que les morceaux autrefois martelés en radio et à la télévision n’ont que très peu de points communs avec les improbables “XO Tour Llif3,” de Lil Uzi Vert, “Mask Off” de Future ou encore “1-800-273-8255” de Logic qui sont d’excellents exemples de tubes phares qui se sont démarqués par leur différence et leur succès spontané.
Lors de notre rencontre avec NF, ce dernier nous expliquait que “le fait de montrer qu’un artiste est vulnérable autorise son public à accepter qu’il peut l’être aussi.” Et c’est sans doute l’une des raisons du succès d’un morceau aux paroles aussi grisantes que “XO Tour Llif3” de Lil Uzi Vert, bien que son incroyable musicalité ne soit évidemment pas à négliger. Imaginez un peu, 10 ans en arrière, un artiste phare du hip-hop réussir à faire danser ses fans sur un morceau où il montre ses plus grandes faiblesses allant même jusqu’à évoquer le suicide, la dépression et son coeur brisé par sa dernière relation. Cette idée aussi improbable que compliquée est devenue plus que jamais concrète avec la nouvelle génération du rap US. Des esprits torturés, des thèmes douloureux, un mal-être assumé et surtout chanté et voilà que la jeunesse n’a eu de cesse que de bouger la tête sur un Future chantant ses addictions dans “Mask Off” ou sur un Logic expliquant qu’il souhaite mettre fin à ses jours dans “1-800-273-8255”, dont le titre est une référence à la hotline de prévention et d’aide face au suicide.
Les standards d’un tube de rap ont été modifiés par des artistes dont la créativité a brisé les codes. Il ne suffit plus d’inviter la chanteuse R&B à la mode pour réaliser une formidable ascension sur le Billboard Hot 100. Désormais le public semble avide d’un rap mélangeant sonorités entêtantes et lyrics brutes qui prouverait ainsi la sincérité touchante et la mise à nu artistique de leurs rappeurs favoris.
À l’ère du streaming, le public a crée ses tubes
Intercalé entre les morceaux “POA” et “High Demand” à la septième piste d’un album annoncé 3 jours avant sa sortie, “Mask Off” n’a jamais été programmé pour être le morceau le plus populaire de la carrière de Future. Ce tube est le fruit d’un sample de “Prison song” de Carlton Williams où Future transforme le récit de la condition des prisonniers en une mise en musique de son mode de vie décadent et où Southside et Metro Boomin font de cette instrumentale un mélange de basses assourdissantes et d’une flûte envoûtante. La recette est improbable et pourtant le résultat a totalement conquis les fans qui ont poussé le titre jusque dans les hautes sphères du Billboard Hot 100.
Il en va de même pour “1-800-273-8255,” “Magnolia” de Playboi Carti ou encore “The Race” de Tay-K qui n’ont absolument pas reçu le traitement d’un single ou qui étaient prédestinés à cartonner. C’est aussi ce qui fait la force du streaming et des playlists où des morceaux peuvent s’offrir une visibilité et un succès qui dépassent largement leur potentiel supposé et ainsi briser un plafond de verre qu’auparavant seule la radio pouvait leur permettre.
À l’heure où tout devient viral en quelques clics, où une histoire de meurtre entourant un morceau peut le rendre populaire (à l’image “The Race”) et où des vidéos d’une performance en concert peuvent propulser un morceau dans les charts un an après sa sortie (“I Fall Appart” de Post Malone), l’auditeur a enfin le pouvoir et les résultats en sont particulièrement bluffants, mois après mois.
Au jeu de la chaise musicale de l’industrie, les nouvelles forces en présence sont désormais les plateformes de streaming, les réseaux sociaux et les auditeurs eux-mêmes qui ont pris l’ascendant sur les médias plus traditionnels. Cela n’améliorera pas forcément la culture hip-hop et cela ne garantit pas le succès de morceaux plus légitimes ou d’une qualité supérieure, mais cela prouve que si un morceau arrive en tête des charts, pour la grande majorité des cas, ce n’est plus par la force d’un matraquage de quelques entités mais bien par l’effervescence première des fans. Et c’est forcément une bonne nouvelle.