Véritable porte-drapeau des créations de la marque à la virgule, Tinker Hatfield symbolise encore le renouveau de Nike, plus de 30 ans après avoir imaginé une bulle d’air visible sur une sneaker.
Ironie du sort, Tinker nait en 1952 dans l’Oregon, plus précisément à Hilssboro, non loin du siège mondial de Nike. À cette époque, il ignore tout de sa destinée et la marque à la virgule n’existe pas encore. Son père, grande figure sportive de la région lui transmet la passion du sport et du dépassement de soi. Le jeune Hatfield excelle en sport, notamment en saut à la perche, et intègre grâce à cela l’université de l’Oregon.
Là-bas, il y fait la rencontre du futur co-fondateur de Nike, Bill Bowerman, qui devient, en plus de son rôle de coach, un mentor pour le jeune homme. Bowerman lui fait déjà essayer quelques paires de chaussures qu’il confectionne afin d’avoir des retours d’athlètes, avant que la carrière de sportif de Tinker s’arrête brutalement, en raison d’une grave blessure lors d’un saut, le privant d’un avenir olympique que certains lui prédisaient déjà.
Bill Bowerman lui crée alors des chaussures avec une semelle compensée, afin qu’il puisse reprendre le sport et continuer ses études. Hatfield étant inscrit dans la faculté d’architecture de l’université, c’est par surprise qu’il découvre ses talents de dessinateurs, forcé de s’y attabler pour poursuivre son parcours de futur architecte.
Parallèlement à ses études, il assiste déjà le futur fondateur de Nike dans l’élaboration des premières chaussures de piste Nike et se rend dès lors compte que ce travail ne consiste pas seulement à créer une chaussure, mais d’avantage de résoudre des problèmes propres aux athlètes et aux personnes, un crédo autour duquel il construira ensuite son travail.
Après la fin de ses études, Tinker dessine pour des marques, des expositions et des magasins. Il est ensuite invité en 1987 à participer à un concours de design, Nike recherchant des esprits innovateurs dans le but de se remettre en marche après ses récentes difficultés face à Reebok. Tinker remporte ce concours et devient donc officiellement designer pour la marque à la virgule. C’est cette même année que sortira son premier projet, qui restera comme la paire Nike la plus populaire de ces 30 dernières années.
La Air Max “One” voit le jour, dans un processus de création cette fois-ci mené par Hatfield, avec une nouvelle approche de ce que peut être une sneaker. Et si Nike utilisait déjà la technologie d’amortissement à air, c’est à Tinker que revient l’idée de la faire apparaître sur l’arrière de la semelle, tirant son inspiration du centre Georges Pompidou parisien qu’il avait visité quelques mois auparavant. Le principe d’exposer ce qui devrait rester comme confiné et caché dans le bâtiment, lui plait et lui donne l’envie de le transposer sur une sneaker. C’est ainsi que nait l’un des modèles les plus vendus de l’histoire Nike et encore aujourd’hui une référence de la sneaker.
Dans un même temps, le designer se rend compte que les gens ne portent jamais les chaussures adaptées au sport qu’ils pratiquent, et certaines personnes se déplacent systématiquement avec plusieurs paires, chose tout aussi contraignante. Dans l’optique de résoudre un problème, Hatfield imagine une paire capable d’être largement polyvalente dans les diverses pratiques du sport, ouvrant la voie à la Air Trainer, dotée d’une semelle remontant sur l’empeigne et d’un strap en scratch sur la toe box. La première Trainer se retrouve aux pieds aussi bien des basketteurs, que des coureurs ou autres adeptes du fitness. Un succès commercial qui accompagne la Air Max One lancée peu avant, marquant le début de l’âge d’or Hatfield chez Nike et une année 1987 formidable pour la marque au swoosh.
Un an plus tard, en 1988, Hatfield fait face à un nouveau défi. Michael Jordan étant sous contrat avec Nike et la Air Jordan II essuyant un échec commercial retentissant, la légende au numéro 23 songeait donc à quitter la firme de l’Oregon, une perte que Nike ne pouvait se résoudre à accepter. La mission a alors été donnée à Hatfield de créer une nouvelle Jordan III, capable de séduire le joueur et de permettre à la marque de le garder dans ses rangs. Encore un problème à résoudre pour le prodige du design.
Hatfield travaille donc en fonction des demandes de la star et la Jordan III débarque en étant la première basket à hauteur moyenne, le choix des matériaux en cuir souple permettant que la chaussure s’adapte facilement au pied. Dans un souci de sécurité, le tout est renforcé pour une pratique professionnelle du basket-ball et voit finalement l’imprimé Éléphant conquérir le coeur du joueur des Bulls. Un modèle qui marque aussi l’arrivée de l’un des logos les plus connus à travers le monde, le Jumpman, inventé par Tinker Hatfield en personne. Le début d’une longue histoire d’amitié et de collaborations entre Michael Jordan et le designer arrivé chez Nike depuis quelques mois seulement.
À partir de ce moment, Hatfield dessinera chaque année un nouveau modèle de Air Jordan. Chacun a un sens particulier, en fonction de l’évolution de la carrière de MJ, de ses envies, de ses demandes techniques et surtout de l’histoire qu’Hatfield veut transmettre à travers la basket. Les matériaux seront ensuite réinventés, à l’image de la Jordan 11 qui marquera la première retrait de l’athlète, celle-ci étant clairement orientée vers un usage lifestyle.
La Jordan devient alors en 1995 l’emblème des premiers sneakerheads et l’engouement incroyable autour de chaque sortie dépasse toutes les attentes de Nike. À travers leurs années de collaboration les deux compères voyagent énormément ensemble et lient une vraie amitié, ce qui permettra à Hatfield de retranscrire à la perfection la personnalité de Michael Jordan à travers ses modèles.
Difficile de parler de toutes les paires conçues par Tinker, aussi nombreuses soient elles, en raison de leurs origines toutes aussi singulières les unes que les autres. Mais impossible d’ignorer la création de la Air Huarache en 1991, qui connait pourtant un succès mitigé lors de sa sortie, il y a bientôt 27 ans. Heureusement, et sans réelle surprise, les diverses rééditions sorties lors des dernières années ont su conquérir le public et créer un phénomène Huarache que même son créateur a encore du mal à comprendre. La sock Dart est aussi l’une de ses inventions, avec son profil très élancé et son statut de sneaker chaussette, lancée 13 ans avant une certaine Balenciaga Speed Trainer.
Mais l’un des projets majeurs d’Hatfield prend ses sources aux débuts de sa carrière pour venir trouver un écho aujourd’hui. En 1989 sort le film Retour vers le futur 2, l’équipe du film contacte Tinker afin que celui-ci crée une sneaker futuriste, qui prendrait la forme d’une basket de 2015. Plusieurs idées émergent de la tête de l’illustre créateur, avec des chaussures défiant la gravité notamment, mais un concept retient son attention : une sneaker auto-laçante. Une chaussure presque vivante qui vous connaitrait et instantanément s’adapterait à votre pied. Un éclair de génie qui verra naître les légendaires Nike Air Mag qui ont fait rêver tant de générations depuis qu’un certain Marty McFly les a enfilées.
Une légende qui restait cependant fictive : le modèle de cinéma était en effet actionné par des câbles qu’un assistant tirait. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais Hatfield ne lâcha pas l’affaire, et en sa qualité de vice-président des programmes spéciaux de Nike, le designer a souhaité rendre ce fantasme réel. L’aventure commence alors en 2006 et après des années de tests, de frustrations et d’avancées technologiques, c’est en 2015 que le modèle 100% fonctionnel voit le jour.
Le 21 octobre 2015, date où les personnages du film arrivent dans le futur, le premier modèle est remis à l’acteur Michael J. Fox, interprète de Marty Mc Fly. En suit une vidéo de son essai, qui fait alors évidemment le tour du monde. Le milieu de la sneaker est en extase devant de telles prouesses technologiques, et Hatfield ne comptant pas en rester là, développe en parallèle un modèle accessible à tous.
La HyperAdapt 1.0 est donc disponible le 1er décembre 2017, avec sa technologie révolutionnaire, son look futuriste et ses lumières bleues. Loin de passer inaperçue, le prix est jugé encore trop haut par certains, affiché à $720 à sa sortie, le modèle n’est finalement pas accessible à toutes les bourses. Hatfield espère cependant pouvoir démocratiser sa technologie et ainsi aider certaines personnes, notamment en situation de handicap et de ce fait ne pouvant pas lacer leurs chaussures. Il compte d’ailleurs révéler très prochainement une version 2.0 moins onéreuse, dans un style plus adapté au basket-ball, qui assurera un bon en avant dans le monde de ce sport.
Monument de la sneaker et plus largement du design, résumer l’œuvre de Tinker Hatfield en un seul article bien entendu réducteur, le génie ayant aussi travaillé sur d’innombrables modèles de sneakers ainsi que sur divers projets en architecture. On distingue cependant derrière chacune de ses créations certains buts communs, avec tout d’abord le goût du risque, une envie de dépasser les limites propres à son passé de sportif qu’il s’applique à transmettre dans ses sneakers.
Une volonté de vouloir résoudre les problèmes des gens, que ce soit un athlète en quête de performance ou une personne souffrant de handicap, qui se traduit aussi par des créations servant un objectif plus grand que l’esthétique pur et dur. Un goût aussi pour les histoires, qui le rapproche d’un conteur, à l’image de la Jordan XX où les 20 dernières années de Michael Jordan viennent se raconter sur l’empeigne à travers des symboles. Tinker Hatfield est bien plus qu’un simple designer de sneakers légendaire, c’est la quintessence de l’esprit d’un sneakerhead et du mode de vie d’un créatif passionné.