Deux clips. Voilà ce qu’il aura fallu à Drake pour faire mouche comme personne en 2018. Ce succès permet de rappeler, ou de faire découvrir à ceux qui ne le savaient pas déjà, qu’en matière de gestion d’image et de communication, Drake n’a aucun égal dans sa génération d’artistes.
Pendant de longs mois, Drake s’est éloigné du format clip. Du moins, en ne les sortant pas en grande pompe sur YouTube, à l’image du clip de “Snakin” avec 21 Savage, dévoilé en novembre 2016 en exclusivité sur Apple Music. De ce fait, Drake n’a pas clippé des singles phares de More Life ou Views tels que “Passionfruit”, “Fake Love”, “One Dance” ou encore “Controlla”. Tout reposait sur le streaming et l’intérêt de poser une image sur ses tubes paraissait tout sauf prioritaire pour le canadien. En 2018, les choses semblent avoir drastiquement changé. Et pour cause, Drake a dévoilé deux clips en l’espace de deux mois et demi, deux clips qui sont le témoignage de la gestion de son image millimétrée et de sa communication parfaite.
Tout commence le 16 février 2018 lorsque Drake « casse internet » et braque tous les projecteurs sur son clip “God’s Plan”, totalement unique jusqu’ici dans sa discographie. Le principe est simple, le canadien dépense l’intégralité du budget du clip (≈ $1 million de dollars) dans des actes de charité qui sont filmés et teintés d’une émotion palpable, puisque les personnes impliquées n’étaient évidemment pas prévenues à l’avance. Des courses gratuites pour tous les clients d’un supermarché, le financement des études d’une adolescente en larmes lorsqu’elle aperçoit Drizzy, de l’argent cash distribué à une mère et son fils – eux aussi en larmes -, des jouets pour toute une école et tout cela n’est qu’une sélection non-exhaustive des belles actions réalisées dans le clip. Une générosité indéniable tant il aurait pu dilapider le million de dollars de budget dans un clip cliquant, comme ses compères ne le font que trop souvent.
Dès lors, le principal intéressé se place dans un rôle de « seigneur » généreux, qui redistribue sa richesse, se montre bienveillant et surtout, qui n’oublie pas d’où il vient dans l’échelon social. Le clip est terriblement efficace à tous les niveaux, puisque Drake réalise un acte foncièrement bon, alors que rien ne l’y obligeait, tout en réalisant un coup de com’ parfait : un clip quasi unanimement salué et très difficile à critiquer, même pour ses haters les plus virulents. Le tour de force est d’autant plus impressionnant que les personnes ayant critiqué Drake pour avoir filmé ses bonnes actions ont toutes les difficultés du monde à le faire sans se donner le mauvais rôle de la personne blasée et qui déteste le principal intéressé, au point de même critiquer ses bonnes actions. Pourtant, dans le fond, cette critique n’a rien d’illégitime. En clair, Drake et son équipe ont réalisé un clip pour lequel ses fans vont le vénérer encore plus et pour lequel ses haters ne pourront pas le critiquer, ou du moins, pas sans eux-même en subir les critiques. La qualité de la communication est parfaite, et il n’y qu’à voir les réactions sous la vidéo pour s’en rendre compte :
“Je n’ai jamais été un grand fan de Drake, mais ça change tout. Je n’ai que du respect et mon soutien à lui apporter”
“Je ne suis habituellement pas fan de Drake, cependant, j’aime énormément le message et le morceau”
Après cet immense succès, qui est désormais le plus gros de sa carrière puisqu’en tête du Billboard Hot 100 depuis 11 semaines consécutives, le co-fondateur d’OVO ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Si “God’s Plan” était le clip parfait pour mettre en avant sa générosité et son humanisme, le suivant a un but tout aussi précis : toucher son (vaste) public féminin et s’affirmer comme le visage d’un rap féministe et progressiste.
À l’heure où l’affaire Weinstein a secoué le show-business américain et globalement le monde entier, le milieu du rap n’est malheureusement pas exempt de tout rapproche à ce niveau. Des accusations graves pèsent sur 6ix9ine, XXXTENTACION ou encore Kodak Black et des affaires extra-conjugales, légales mais loin d’être prestigieuses, ont heurté l’image d’artistes tels que JAY-Z ou Offset. Dans le même temps, Drake prend un contrepied parfait. Avec “Nice For What”, il place la femme sur un piédestal et s’y place lui aussi de ce fait dans l’esprit des gens.
Drake réalise ainsi un véritable hymne à la femme, aussi bien visuel que musical. Pour ce faire, de nombreuses femmes font une apparition dans le clip à l’image de Issa Rae, Syd, Olivia Wilde, Tiffany Haddish, Michelle Rodriguez, Yara Shahidi, Letitia Wright ou encore Zoe Saldana. Dès lors, il se place lui-même en personnage secondaire de son propre clip. Côté texte, le canadien s’adresse directement aux jeunes femmes et adolescentes de façon générale et exprime tout de leur point de vue, ce qui donne évidemment encore un peu plus d’écho au clip. On retrouve par exemple des références à la gestion d’une rupture pour une femme, dont l’envie de tout oublier le samedi soir sur la piste de danse. Simple, mais très efficace.
Le vendredi 6 avril, soit la veille de la sortie de “Nice For What”, Cardi B sort son premier album rempli de morceaux orientés pour un public féminin, à l’image de “Be Careful” qui sample d’ailleurs le même morceau de Lauryn Hill. Le lendemain, Drake sort un morceau dans ce calibre tout en réussissant à faire mieux musicalement, bien aidé par son armada de producteurs capables de découper n’importe quel sample efficacement. De plus, Murda Beatz se charge des drums pour une résultat percutant malgré une ambiance très feel god. Dès lors, on peut se demander si le timing de cette sortie est calculé ou non pour faire de l’ombre à Cardi B et/ou affirmer sa supériorité. Preuve de la qualité du timing de sa sortie, le morceau a été écouté 10 millions de fois en 24 heures sur Apple Music. Alex Tumay, célèbre ingénieur son aux États-Unis, a évoqué le timing de la sortie du single, en sous-entendant lui-aussi son potentiel aspect calculé, mais surtout son efficacité : “Drake a le timing de sortie le plus stratégique de l’histoire. C’est de l’art.”
Drake has the most strategically timed drops of all time. It’s really art.
— alex tumay (@alextumay) 7 avril 2018
Évidemment, il n’est pas question de faire un procès au canadien et son équipe. Bien que très stratégiques, ses deux clips respirent le positivisme et sont salués à juste titre pour le message qu’ils véhiculent au monde entier. Toutefois, derrière l’effervescence et l’unanimité que génèrent ses deux morceaux et leurs clips, il est important de constater à quel point la communication est primordiale dans l’industrie musicale moderne. Après avoir connu une année 2015 compliquée dans sa relation avec le public suite aux accusations portées par Meek Mill, puis de recevoir de nombreuses critiques sur ses deux projets suivants, Drake est plus que jamais dans l’optique de récupérer un trône que Kendrick Lamar a fini par conquérir. Ce dernier ayant totalement dominé et fait de 2017 son année, Drake met tous les atouts de son côté pour réaliser une prouesse identique en 2018. Et jusqu’ici, tout semble se passer comme prévu.