Le retour à la musique de Childish Gambino était tout particulièrement attendu, il a enfin eu lieu cette nuit.
Childish Gambino avait quitté son public sur Awaken, My Love!, une brillante démonstration de son éclectisme musical puisqu’il s’y était totalement affranchi de son étiquette de rappeur, en présentant un album oscillant entre soul, funk et R&B. Ce contrepied avait surpris, et pouvait laisser entendre que Gambino ne ferait plus de rap à proprement parler à l’avenir. Il n’en est rien. Avec “This Is America”, Donald Glover prend une fois de plus ses fans à contrepied avec un morceau résolument rap, porté par un flow agressif et une production anxiogène, qui peut rappeler les choix instrumentaux de Tyler, The Creator notamment. Si en 2016 Childish Gambino sortait avec “Redbone” l’un des meilleurs morceaux de R&B de l’année, il dévoile aujourd’hui un titre aux antipodes tant il bouillonne de rage, sans tomber dans l’interprétation forcée. Le morceau se démarque d’autant plus que de nombreux artistes sont présents, via des adlibs, avec notamment 21 Savage, Young Thug, Quavo, Chance the Rapper, BlocBoy JB, Slim Jxmmi, Big Sean, Smokepurpp ou encore Offset. Dans le même temps, SZA fait son apparition, assise sur le capot d’une voiture, en fin de clip.
Au-delà de ses sonorités ou de ses discrets invités, avec “This Is America”, le contrepied a lieu au sein même du morceau : il démarre de façon joyeuse et dansante avec le chant d’une chorale, avant que Gambino n’abatte froidement un homme d’une balle dans la tête et que la production démarre brutalement. Comme si de rien n’était, l’artiste reprend sa danse très festive et est cette fois-ci accompagné d’un groupe d’écoliers afro-américains. La caméra ne cesse alors pas de se focaliser sur sa danse, et absolument pas sur l’homme venant d’être abattu. Un choix qui peut symboliser une idée simple : peu importe les drames vécus et les crimes commis en Amérique, les gens reprennent très vite le court de leur vie en laissant ça derrière eux, bien aidés par un amas de divertissements et par des médias montrant parfois que ce qui les arrange. L’absence de réaction qu’engendre ce premier meurtre montre aussi la banalisation de la violence dans un pays où la possession et la vente d’armes sont toujours des débats qui déchirent le pays.
Le deuxième contrepied se déroule dès le second plan du clip où l’artiste débarque joyeusement dans une pièce où s’exerce une chorale, avant de tout aussi froidement abattre le groupe armé d’un AK-47. Cette scène fait vraisemblablement référence à la Fusillade de l’église de Charleston en 2015, où le terroriste et suprémaciste blanc Dylann Roof avait abattu 9 personnes. Là aussi, Gambino reprend son chemin comme si de rien n’était, mettant en scène une violence massive et ultra-banalisée. Le message de l’artiste sur la gestion de la violence en Amérique et la difficile relation du pays avec les armes est en tout cas très concret, sans pour autant tomber dans de grossiers lieux communs. À contrario, la fin du clip prend le point de vue inverse. Childish Gambino passe en effet de bourreau à victime puisqu’il fuit, coursé par une dizaine de personnes et étant totalement apeuré.
Réalisé par Hiro Murai, qui est à l’origine de plusieurs épisodes d’Atlanta, ce clip de “This Is America” est indéniablement l’exemple d’un clip rendant un morceau meilleur. Bien que prenant musicalement, aussi bien par ses altérations d’instrumentales que pour l’interprétation de Gambino, l’oeuvre n’en reste pas moins portée par sa violence visuelle et ses longs plans calfeutrés dans un hangar, entourée par une bonne humeur qui n’est qu’apparente. Si depuis 2016, la présence musicale de Childish Gambino s’est faite bien rare, ce retour touchant et puissant justifie indéniablement l’attente. Ne vous-y trompez pas, Donald Glover n’est pas revenu pour simplement vendre un disque ou faire la promotion de l’une de ses activités artistiques annexes. Ce retour paraît aujourd’hui plus motivé que jamais par l’envie de donner de la voix à des idéaux et à une conscience politique et sociale qui, rarement auparavant, n’ont semblé aussi bouillonnantes dans la musique de Childish Gambino.
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