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Photo : @alvnklein

Nav, rappeur sans âme

Après une année 2017 très chargée qui a vu sa notoriété se décupler, Nav a enfin sorti ce qu’il considère comme son premier album : Reckless.

À première vue, le projet possède deux gros points forts, qui se confirment une fois l’album écouté : seulement 12 titres et des featurings excitants, aussi bien pour le talent des artistes présents que pour leur complémentarité avec l’artiste signé chez XO. Ce pressentiment se confirme tant les différents featurings apportent une grosse plus value au projet, et à ce petit jeu, c’est Travis Scott dans “Champion”, soit l’un des moments forts de Reckless, qui brille le plus. S’accaparant totalement le morceau, La Flame livre l’un de ses meilleurs featurings ces derniers mois. Lil Uzi Vert livre quant à lui une solide performance sur le titre “Wanted You”, mais le morceau étant sorti en novembre dernier, le public connait bien ce titre déjà certifié single d’or. Quavo et l’étoile montante Gunna apportent de leur coté une présence au micro à un projet en ayant bien besoin.

Dans le continuité de NAV et Perfect Timing, les mélodies et les productions sont clairement la force du projet, tant cet aspect paraît très maîtrisé en comparaison du reste de la palette artistique du rappeur de l’Ontario. Cette impression se justifie en partie par sa double casquette de rappeur/producteur. Dès lors, Nav réussit à concevoir des sonorités entêtantes et souvent très chantées, lui ayant permis de s’offrir déjà quelques gros hits à l’image de “Some Way” ou encore “Myself”. Ce qui justifie dès lors son explosion si rapide, poussée par des prestigieuses collaborations et par une signature dans le label XO de The Weeknd, qui est une branche d’Universal Music.

Vous l’aurez compris, avec deux solides singles que sont “Wanted You” et “Freshman List”, des collaborations prestigieuses et des soutiens de poids dans l’industrie, Nav et son nouvel album sont programmés pour trouver leur public et fonctionner dans les playlists tant convoitées des plateformes de streaming. Toutefois, difficile de ne pas reconnaître de nombreux défauts à ce projet, gâchant parfois le plaisir d’écoute et rendant surtout impossible de trouver de l’intérêt dans la réécoute de cet album dans son intégralité, et encore moins de s’attacher à l’homme derrière l’artiste. Avec des propos, la plupart du temps, terriblement génériques, répétitifs et toujours très premier degré, Nav donne l’impression de rapper sans substance, de façon très robotique et donc de ne montrer aucune singularité ou signe de personnalité, au-delà des mérites de son succès, et ce malgré l’efficacité de ses sonorités.

Les différents morceaux de Nav sur ce premier album semblent une fois de plus reprendre les thèmes inlassablement répétés du self-made man clamant sa réussite. Nav est aujourd’hui populaire et riche, mais il n’a confiance en personne si ce n’est XO et l’entourage de ses débuts, il noie alors son spleen dans la drogue et les femmes, alors que ces dernières le négligeaient avant son succès. Avec cette phrase, vous disposez du résumé de l’immense majorité de ses propos. Et cela devient un problème lorsque l’on a que ça à raconter, sans pour autant avoir la capacité de le contrebalancer par une multitude de flows ou une voix charismatique. Dans l’intro du projet, il déclare notamment : “Now all of a sudden they say they miss me / If I lost it, they prolly be first to ditch me” “Tout d’un coup ils me disent que je leur manque / Si je perds (ma popularité ndlr), ils seront probablement les premiers à me laisser tomber” ou encore dans le morceau “Never Change”, il affirme très sérieusement : “When they ask me if I’m good, I say “ya” but I’m not” “Quand ils me demandent si je vais bien, je répond ‘oui’ mais c’est pas le cas” ce qui, vous le constaterez, peut vous remémorer les statuts Facebook d’adolescents les plus obscures que vous avez eu l’occasion de lire. Et c’est bien ça le problème de la musique Nav, même sans y chercher une substance très relevée, il est impossible de faire abstraction de la banalité et de l’absence de créativité de ses textes. D’autant plus lorsqu’ils sont toujours prononcés de façon froide, sans surprise, sans humour, sans gimmick, et avec très peu de recul sur le personnage qu’il tente de nous vendre.

Si le projet du canadien est de faire comprendre à ses fans qu’avant il n’était rien et qu’aujourd’hui il possède richesse, popularité et groupies, l’objectif est atteint puisqu’il le répète depuis 3 projets maintenant. Le fait est qu’avec une voix assez clivante et une personnalité si terne, il sera difficile pour Nav de réussir un jour à sortir un projet qui fera l’unanimité auprès des fans et de la critique s’il n’évolue pas. Reckless en est le parfait exemple puisqu’en plus de n’avoir rien de plus à proposer que sur ses mixtapes, alors qu’il l’a promu comme un album, le projet ne nous apprend rien sur Nav, ne dégage ni personnalité, ni propos intéressants sur ce qui le démarque des autres. Force est de constater que Nav semble parfois ne rien être de plus qu’un générateur d’egotrip stéréotypés sur des nappes synthétiques emplies d’auto-tune.

À l’heure du streaming et de la quantité incessante de musique voyant le jour, le succès est avant tout un concours de popularité, de charisme et de personnalité. Et à ce petit jeu, Nav ne réussit pas à tirer son épingle du jeu. Évidemment, il n’est pas le seul à parfois donner l’impression d’écrire des punchlines qui ont vocation à devenir des captions Instagram, à l’image de Drake par exemple. À une différence près, ce dernier a donné matière à ses fans pour découvrir sa personnalité, en se livrant, en se montrant humain et jouant sur un véritable charisme. Le fait est qu’en dehors de quelques morceaux entêtants, des featurings de qualité, il y a bien peu à retenir de ce premier album de Nav. Si Reckless avait pour ambition de devenir une B.O assez banale pour des soirées étudiantes, l’objectif est atteint. S’il devait être le projet qui offrirait un nouvelle légitimité artistique à Nav, la marche semble encore beaucoup trop haute.