La deuxième saison de la série créée par Donald Glover réussit à surpasser la première en qualité, grâce à onze épisodes emplis de noirceur, de créativité et de grâce.
“Robbin’ season, everybody got to eat / Saison des braquages, tout le monde doit manger.” C’est via cette phrase que le fascinant Darius donne le ton de cette saison 2 d’Atlanta dès son premier épisode. Jouant comme souvent le rôle d’un oracle, le personnage halluciné explique ainsi au spectateur que la capitale de l’état de Géorgie est en train de doucement entrer dans l’époque des cambriolages effectués dans le but de survivre au sein de la jungle urbaine. Après s’être immédiatement affirmée comme l’une des meilleures séries de ces dernières années grâce à une saison 1 époustouflante de profondeur et de poésie, Atlanta va encore plus loin dans cette deuxième saison. Plus sombre, plus pessimiste, plus violente, cette nouvelle salve d’épisodes confirme que la série imaginée par Donald et Stephen Glover fait partie des meilleures productions sérielles de notre époque.
Contrairement à la saison 1, qui brillait souvent par des moments lumineux de comédie pure, la suite des aventures d’Earn, Darius et Paper Boi prend un tournant beaucoup plus sinistre au cours de ce second volet. De la photographie de la série, qui adopte très souvent des tons bleutés et glacials, à ses nombreuses démonstrations de violence physique et morale, Atlanta colle plus que jamais au contexte politico-social de l’Amérique contemporaine. Il est en effet important de noter que contrairement à la première saison, ces onze nouveaux épisodes ont été tournés après l’élection de Donald Trump et les répercussions sociales qu’elle a entraîné. Plus que jamais au coeur du propos de Donald Glover, la condition afro-américaine est ici exposée sans filtre, mais avec toujours beaucoup de créativité. Il suffit de se remémorer la scène d’ouverture du premier épisode de cette saison pour s’en rendre compte. Le spectateur se retrouve plongé au coeur d’un braquage ultra-violent et mortel pour l’un des protagonistes, présenté comme une scène banale dans la vie d’Atlanta.
Cette thématique rejoint bien évidemment le message délivré par Donald Glover via son alias Childish Gambino et le clip du tube “This Is America”, parfait symbole de la relégation au second plan d’une violence devenue bien trop courante aux Etats-Unis. L’élection du milliardaire républicain a maintes et maintes fois été racontée, critiquée, vilipendée par l’entertainement américain depuis bientôt deux ans. Mais là où Atlanta se distingue une fois de plus du reste des productions de son époque, c’est que la figure de Donald Trump n’est jamais évoquée à un seul instant. Comme si au coeur de la moiteur géorgienne, la figure de la gouvernance du pays était absente et la population tout simplement livrée à elle même. Outre la question des armes à feu, la saison 2 d’Atlanta s’attarde évidemment sur les différentes formes de racisme dont sont victimes les protagonistes de la série, d’Earn se voyant seulement accepté dans un strip-club car recalé des lieux de sortie chics, à Paper Boi confronté à la candeur des employés blancs d’une plateforme de streaming, en passant par la peur irrationnelle de Darius face aux agissements de “Florida Man”, qui n’est ni plus ni moins que la personnification des rednecks meurtriers et suprématistes du vieux sud américain.
A l’image de la saison 1, le racisme ordinaire est traité avec une originalité certaine et un ton décalé, qui ne fait que souligner l’absurdité tragi-comique des existences des personnages que l’on suit. Il est par ailleurs important de souligner le fantastique travail d’écriture réalisé par Donald Glover et ses équipes sur cette seconde saison, ces derniers réussissant à enrichir de manière exceptionnelle les traits de chaque protagoniste, Paper Boi en tête. Earn souvent absent de l’écran, c’est bien le rappeur en train de percer qui occupe la majorité de l’espace de cette saison 2, entre sa difficulté à gérer sa célébrité naissante, le deuil de sa mère évoqué avec une poésie rarement vue jusqu’ici à la télévision et des doutes quant à la capacité de son cousin de faire exploser sa carrière. L’autre figure de proue de cette suite est évidemment l’extraordinaire Darius. Toujours aussi perdu en apparence, le personnage campé par Lakeith Stanfield illumine l’écran lors de chacune de ses apparitions et paroles marmonnées. Perçu par beaucoup de fans comme le protagoniste le plus sage et intelligent de la série, troublant par moment la barrière entre le réel et le fantasme, Darius se voit offrir le rôle principal lors du meilleur épisode de la série, Teddy Perkins.
Déjà considéré par de nombreux critiques comme l’un des plus grands moments de télévision de la décennie, le sixième épisode de cette saison 2 est une démonstration de force de tout ce qu’Atlanta a à offrir d’unique et de majestueux. Un Donald Glover méconnaissable, grimé d’une whiteface afin d’interpréter une sorte de Michael Jackson reclus et inquiétant, un Lakeith Stanfield éblouissant de détresse, une succession de moments allant du malaise à la terreur totale, un propos de fond dénonçant la violence des pères noirs et la pression inconsidérée qu’ils imposent à leurs enfants pour qu’il réussisse en société… Tous les éléments narratifs et contextuels de Teddy Perkins sont brillants. Réalisé par Hiro Murai, ce “bottle episode” (exercice de style mettant en scène deux ou trois personnages dans un lieu clos durant tout un épisode) est un chef d’oeuvre comme il est rare d’en voir sur le petit écran, qui continuera de hanter pour très longtemps quiconque osera mettre les pieds dans le manoir du personnage le plus intrigant de l’année.
Outre Teddy Perkins, les épisodes les plus marquants de cette seconde saison sont sans conteste Woods et North Of The Border. Grands de par leur mise en scène, leur double lecture et leur enjeu dramatique, ces deux épisodes sont également portés par les superbes interprétations des comédiens présents. A l’inverse de la saison 1, qui relatait avec plus ou moins de précision temporelle l’ascension de Paper Boi, cette seconde vague d’épisodes ne s’embarrasse pas d’une telle contrainte narrative. Pas réellement connectés entre eux, chaque épisode existe par lui même et par la trame scénaristique qu’il met en scène. Le registre absurde de Barbershop, la critique sociale de Champagne Papi ou encore la nostalgie douce-amère de FUBU permettent à la série d’encore une fois jouer sur des registres divers et variés, sans toutefois raconter une véritable histoire construite sur le long terme.
Néanmoins, ce parti-pris artistique est souvent contrebalancé par des éléments récurrents tout au long de la saison, à l’instar du pistolet en or massif dont doit se débarrasser Earn lors de l’ultime épisode. Les plus pointilleux auront noté qu’il s’agit là de la même arme que l’on aperçoit lors du premier épisode de cette saison 2. La boucle est donc bouclée. Le génie des auteurs d’Atlanta se révèle en effet dans cette capacité à distiller de nombreux détails et références au fil des épisodes, que l’on découvre souvent lors d’un nouveau visionnage. Ces derniers apparaissent sans grande importance de prime abord, mais impossible de nier leur apport d’une véritable cohérence à l’univers de la série dans son ensemble.
Avec ces 11 nouveaux épisodes, Atlanta a repoussé pour de bon les limites de la créativité à la télévision. En allant encore plus loin dans sa critique des dérives de la société américaine, sans épargner un seul instant les erreurs de sa propre communauté, Donald Glover signe un manifeste visuel d’une beauté rare et pourvu d’une densité intellectuelle impressionnante. Plongée dans les ténèbres, cette “Robbin’ Season” se montre plus ancrée dans le réel que jamais lors de ses moments de fantaisie les plus absurdes, qui fonctionnent comme un miroir réfléchissant des dysfonctionnements de l’Amérique moderne. Un coup de maître.