Pourquoi la sélection des Freshman de XXL est plus que jamais obsolète

Quelques jours après la révélation des Freshman 2018 du magazine XXL, les critiques sont nombreuses et la légitimité de cette sélection est toujours plus remise en question. Comme un air de déjà vu.

Chaque année depuis 2007, le mois de juin est l’occasion de découvrir les talents émergents du hip-hop qui ont précautionneusement été sélectionnés par le magazine XXL. Les “Freshman“, un terme synonyme du statut d’un étudiant en première année universitaire dans le système américain, sont donc selon XXL l’avenir du rap à court ou moyen terme. Cette année, les heureux élus se nomment Ski Mask The Slump God, Lil Pump, Smokepurpp, J.I.D, Stefflon Don, BlocBoy JB, YBN Nahmir, Wifisfuneral ou encore Trippie Redd. Et comme pour chaque édition, nombreux ont été les oubliés restés aux portes de cette prestigieuse liste. Outre les artistes laissés de côté par XXL, le mode de sélection du média interroge encore et toujours. Un artiste comme Lil Pump qui a littéralement fait un carton commercial auprès du public mainstream avec son tube “Gucci Gang” peut-il encore être considéré comme un “Freshman” ? Difficile à dire tant le mode de sélection des XXL Freshman demeure toujours aussi flou, onze années après sa création .

Véritable institution dans la presse musicale spécialisée, XXL Magazine voit le jour en 1997 sous la forme d’un bi-mensuel. Touché de plein fouet par la crise de la presse papier au cours des années 2000, XXL voit ses ventes chuter comme de nombreux autres titres à travers le globe. Néanmoins, le magazine parvient à continuer de susciter un engouement certain auprès des amateurs de hip-hop en inaugurant en 2007 la XXL Freshman Class. Conçue comme un plateforme d’exposition pour permettre à de jeunes artistes prometteurs d’être découverts par le grand public, cette sélection est à l’époque considérée comme un véritable tremplin pour les pépites du hip-hop. Il faut le rappeler, le monde digital vit alors au rythme des Skyblog, MSN et autre Limewire, Internet étant encore très éloigné de ce qu’il représente actuellement. Le fait de sélectionner dix rappeurs plus ou moins méconnus du grand public se justifiait alors par le fait que le net n’était pas encore le formidable vecteur de partage de contenus qu’il est maintenant. L’information passait encore par le papier et XXL l’avait alors bien compris.

Les années défilant et la toile s’étendant, le média américain s’est quelque peu adapté en proposant des freestyle vidéo de la part de ses Freshman, ainsi qu’une foule de contenus viraux destinés à être partagés sur les réseaux sociaux. Néanmoins, malgré ses ajouts pour coller à son époque, la sélection des Freshman paraît de plus en plus anachronique. N’importe qui peut désormais publier sa musique en ligne, la partager avec le plus grand nombre et très rapidement gagner en notoriété. N’importe qui peut désormais dénicher un nouveau talent du rap. Le journaliste musical n’est plus le seul à disposer d’une tribune pour transmettre son avis sur tel ou tel artiste, n’importe quel individu muni d’un compte Twitter peut lui aussi donner le sien. Chaque mois permet d’assister à l’émergence de nouveaux noms du rap, dont le succès peut devenir quasiment instantané grâce à un tube ou à un clip massivement partagé. La découverte musicale n’est plus une denrée rare, bien au contraire, elle n’a jamais été aussi facile d’accès. 

En 2018, la Freshman Class de XXL apparaît donc comme un outil de plus en plus dépassé. Attention, il n’est pas ici question de remettre en cause la légitimité passée d’une liste ayant notamment mis à l’honneur des artistes tel que Kendrick Lamar, J. Cole, Future, Mac Miller, Meek Mill, Wiz Khalifa, Big Sean ou ScHoolboy Q lors de ses précédentes éditions. Le talent des éditeurs de XXL pour identifier les grands noms de demain a beau ne pas être infaillible, il a déjà fait ses preuves de façon solide. Néanmoins, faire partie d’une Freshman Class n’est pas toujours une garantie de rencontrer le succès à l’avenir, loin s’en faut. Les artistes ayant réussi à intégrer une sélection de XXL avant de tomber progressivement dans les méandres sont en effet légion. Du fait de son hyper-médiatisation, la XXL Freshman Class peut servir de tremplin pour préparer un succès futur, tout comme elle peut servir de purgatoire pour les nommés n’ayant jamais réussi à confirmer. Si le succès n’est pas au rendez-vous dans les mois suivant sa présence au sein d’une sélection du média, la possibilité d’être à jamais considéré comme un flop dans l’esprit du public est plus que probable. C’est un fait, la présence au sein d’une Freshman List vieillit très mal pour les artistes n’ayant pas passé le cap par la suite.

Doué pour identifier une frange des talents de demain, XXL est parfois passé à côté de très grands noms du rap actuel. Le magazine était par exemple passé à côté de Drake et Nicki Minaj en 2009, avant de leur proposer de faire partie de la sélection de 2010. Une invitation poliment déclinée par deux artistes qui ne comprenaient pas comment ils pouvaient encore être considérés comme des Freshman cette année là. Ces deux là sont en tout cas loin d’être des cas isolés. A$AP Rocky, Young Thug, Tory Lanez, PartyNextDoor ou encore Post Malone ont tous fait part de leur refus de figurer dans ces sélections à un moment de leur carrière. Quid des groupes désormais considéré comme extrêmement influents à l’image de Migos ou bien Odd Future du temps de son existence ? Purement et simplement snobés par le jury du magazine. Cette année, c’est le talentueux Lil Skies qui a refusé sa nomination, ne se considérant déjà plus comme un up-and-comer, mais bien comme un artiste établi pour de bon. Il y a quelques mois, c’était au tour de Nav de s’attaquer de façon frontale à la sélection de XXL : “Nous ne devrions pas chercher la validation d’un magazine qui décidera de si on est chaud dans ce qu’on fait ou pas, surtout quand ce média n’a pas été crédible depuis 10 ans.” 

Outre la question de sa légitimité ou non dans la liste en fonction de son statut dans le rap, une autre question doit se poser pour quiconque décide de s’intéresser à l’impact de la XXL Freshman List. Peut-on sérieusement considérer qu’une inclusion dans cette sélection peut faire décoller une carrière en 2018 ? La réponse est probablement négative. Ajoutez à ce constat le fait que la parution de chaque nouvelle Freshman List est l’occasion pour de nombreux auditeurs d’avancer que “le vrai rap est mort” à la vue des artistes qui y figurent, et il devient ainsi difficile de comprendre en quoi faire partie de la sélection de XXL peut faire du bien à une jeune carrière musicale. Comme expliqué en détail plus haut, internet a redistribué les cartes de la communication et du partage de contenus. A l’origine créée pour la presse papier, la Freshman Class de XXL semble donc plus que jamais obsolète de nos jours.

Néanmoins, un minimum de recherche permet de découvrir que les problématiques inhérentes à la XXL Freshman List ne datent pas d’hier. Dès 2009, de nombreux articles ont en effet émergé chaque année, pour remettre en cause les nommés, le mode de sélection, la légitimité ou même le bien-fondé de cette opération. Le débat revient donc sur la table tous les ans, sans qu’aucune réponse adéquate ne soit apportée de la part du média à l’origine de la sélection des Freshman. Les problèmes de cohérence de cette liste dans l’industrie musicale actuelle sont désormais plus souvent discutés que la liste en elle même et les artistes qu’elle contient.

Joe Anthony Myrick, rédacteur sur le blog Doxygen Media, résume parfaitement le statut actuel de la sélection annuelle du magazine américain : “Même si la XXL Freshman List a assez de légitimité pour avoir sa place dans la culture, elle n’arrive pas à avoir le pouvoir suffisant pour façonner la culture.” Considéré un moment incontournable de l’année dans le rap US, la Freshman Class de XXL n’a pourtant jamais semblé aussi anachronique par rapport aux standards de l’industrie musicale moderne. Elle devra sans aucun doute évoluer dans un futur proche, sous peine de définitivement perdre une crédibilité pourtant acquise grâce à de très belles découvertes et autres prédictions réussies. Son avenir en dépend.