Pour sa première collection à la tête de Louis Vuitton Homme, Virgil Abloh a triomphé grâce à un défilé porté par l’universalité et l’onirisme.
En choisissant de poser ses malles dans les sublimes jardins du Palais-Royal, en plein coeur du premier arrondissement parisien, Virgil Abloh a pris possession d’un lieu chargé d’histoire. Construit au XVIIème siècle pour être un haut-lieu du pouvoir monarchique, le Palais-Royal fut également l’une des places fortes de la culture de la capitale. Richelieu y construit son théâtre, repris à sa mort par Molière. La Comédie Française y fit ses gammes, tandis que Lully y créa un opéra. Et l’histoire de la mode retiendra qu’en ce jeudi 21 juin, Virgil Abloh y débuta son aventure chez Louis Vuitton. Fraîchement nommé directeur artistique de la maison de haute-couture française, le designer, qui n’a jamais fait d’études de mode a présenté sa première collection Homme pour la mythique griffe, sous un soleil tout aussi éblouissant que le show qu’il avait préparé pour l’occasion.
Avec son gigantesque catwalk arc-en-ciel, cerné par la majestueuse allée d’arbres de la cour du Palais-Royal, Virgil Abloh annonce d’emblée la couleur. Ce premier défilé sera placé sous le signe de la rencontre entre le moderne et le classique, sorte de synthèse de l’union qui s’est créée entre le streetwear et la haute-couture ces dernières années, avec en point d’orgue, la nomination du fondateur d’Off-White à la tête des collections Homme de Louis Vuitton. Le si désiré premier rang fourmille de têtes familières, du couple West-Kardashian aux jeunes parents Scott-Jenner, en passant par A$AP Rocky, Rihanna, Naomi Campbell, le plasticien Takashi Murakami ou encore la star de la NBA Russell Westbrook. Louis Vuitton n’a plus le même public qu’il y a 10 ans et cela se ressent tout particulièrement lors de cette Fashion Week.
Le rajeunissement de l’image de la marque au monogramme, opéré durant plusieurs années par Kim Jones, semble plus que jamais d’actualité sous la direction Abloh. Néanmoins, la vision du natif de Chicago n’est pas simplement intergénérationnelle, elle est universelle. Plein de symbolisme, le défilé Louis Vuitton a brillé de par sa volonté de redéfinir les codes en vogue dans la haute-couture, sur et en dehors des podiums. Première décision à la fois judicieuse et innovante ? Glisser des cartes du globe sur les sièges du public, des mappemondes sur lesquelles sont inscrits les lieux de naissance des mannequins du défilé, tout comme ceux de leurs parents. En plus d’humaniser le mannequin, trop souvent considéré comme un simple porte-manteau vivant, Virgil Abloh met ici en avant la diversité des origines de ces modèles ainsi que leurs racines familiales. Sans oublier de faire écho à l’ADN historique de la maison française, qui a bâti son imaginaire de marque sur le voyage autour du globe.
Toujours dans une volonté d’ouverture vers l’extérieur, ce défilé intitulé “We Are The World” aura également pu compter sur la présence de plus 1000 étudiants inscrits dans des écoles de mode, personnellement invités par Virgil Abloh et interpellés sur le compte Instagram du fondateur d’Off-White par ces mots : “You can do it too… / Vous pouvez le faire aussi…” Ce message d’encouragement adressé à la jeune génération et cet élan de démocratisation de la haute-couture est bien évidemment à saluer sur le fond, tout comme le choix artistique de vêtir d’un t-shirt de couleur les étudiants présents et de les placer sur la parcelle du catwalk correspondant à leur coloris. Avec ces apports salvateurs, basiques en apparence, Virgil Abloh a d’ores et déjà posé son empreinte moderne sur le classicisme de Louis Vuitton.
Ces explosions de couleurs laissent ensuite place au monochrome, au fur et à mesure que les premiers mannequins s’élancent dans la cour du Palais-Royal. Là encore, la symbolique est primordiale : toutes les pièces blanches sont présentées en premier et sont portées par des mannequins à la peau noire. La logomania est présente partout ? Le défilé de Louis Vuitton commence par une succession de pièces monochromes. Dès ces premières créations, la patte Abloh se fait sentir. Les coupes sont larges, repensées, le designer mettant l’emphase sur la construction architecturale du vêtement, sur son volume et sa matière. Sa nomination il y a quelques mois avait par ailleurs entraîné de nombreuses critiques, et Virgil Abloh avait confessé ses difficultés à s’approprier l’univers de Louis Vuitton à ses débuts : “Il doit y avoir une connexion entre l’esthétique des vêtements d’une marque et l’héritage de la marque. Vuitton est un malletier, pas un atelier. Saint Laurent et Cristobal Balenciaga créait des silhouettes qui traduisaient leurs noms, mais la silhouette phare de Louis Vuitton est une malle, ce qui ne se traduit pas en prêt-à-porter.” Force est de constater que l’ancien D.A. de Kanye West a trouvé la parade avec son “Accessomorphosis.”
Sous ce nom légèrement barbare, imaginé par Virgil Abloh pour l’occasion, se cache en réalité de nombreuses sacoches, petites malles et autres poches présentes dans cette première collection. Voilà le trait d’union signé Abloh pour concilier l’histoire de Vuitton avec celle qu’il a commencé à écrire sur son arc-en-ciel parisien. Sur le catwalk, les pièces monochromes laissent place à un feu d’artifice de couleurs, turquoises, rouges, déteintes ou réfléchissantes, ainsi qu’à une variété de motifs rendant hommage au magicien d’Oz. Des personnalités bien connues comme Kid Cudi, Playboi Carti, A$AP Nast et Blondey McCoy participent au défilé, renforçant encore plus le lien indéniable entre la culture urbaine et la haute-couture. La bande-son est de son côté assurée par l’excellent groupe de jazz-hip-hop BadBadNotGood, qui conclue le show d’Abloh en interprétant une bouleversante version orchestrale du “Ghost Town” de Kanye West, dans les bras duquel tombera le nouveau D.A. de Louis Vuitton à la fin du défilé.
Trois jours seulement après le défilé de sa marque Off-White, Virgil Abloh a donc relevé le plus grand défi de sa carrière. Unanimement saluée pour son élégance et sa capacité à revisiter les classique de Louis Vuitton, la première collection du chicagoan est une réussite intégrale. Mais plus que les pièces en elles-mêmes, c’est le message envoyé au monde par Virgil Abloh ce jeudi 21 juin qui restera gravé dans les mémoires. Un message universaliste et touchant, proposé par un homme à qui on refusait l’entrée des shows de la Fashion Week parisienne en 2009 et qui se retrouve moins de dix ans plus tard à la tête de la plus grande enseigne de haute-couture du monde. Après avoir essuyé les critiques et le scepticisme de nombreux observateurs durant de longs mois, Virgil Abloh a prouvé qu’il n’avait en rien usurpé sa place chez Louis Vuitton.
Il déclarait récemment que selon lui, il suffisait de changer 3% d’une pièce pour se l’approprier, prenant en exemple ses nouveaux sacs Louis Vuitton. Désormais transparents et pourvus d’une chaîne, tout en gardant leur design iconique, ses accessoires de voyage sont le témoignage parfait de l’apport d’Abloh chez Vuitton, qui revisite l’ancien sans jamais le dégrader par une modernité incertaine qui fausserait l’héritage d’une maison historique. La cour du Palais-Royal ne sera pas le témoin d’une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes. Le designer américain a prouvé au monde entier qu’il comprenait plus que quiconque les codes de la haute-couture moderne, profondément influencée par le streetwear et quémandeuse d’une communication inventive et soignée. Une réussite sur toute la ligne, qui ne donne qu’une seule envie : en voir plus.