Il est temps d’arrêter de sortir des albums de 25 titres

Hot take

Ces dernières années, l’explosion de la consommation de la musique via les plateformes de streaming a accouché d’un phénomène qui se révèle souvent très frustrant : les albums excessivement longs.

La méthode est simple. Plus l’album d’un artiste populaire est chargé en morceaux, plus il aura de chance de faire grimper ses écoutes en streaming et de signer un tube qui n’était pas forcément attendu, à l’image de “Mask Off” de Future qui en est un bon exemple. Dès lors, ces dernières années, les albums pensés d’abord pour leur performance en streaming se sont démultipliés à des fins évidemment financières, quitte à largement tirer vers le bas la qualité globale du projet. Dans la même lignée, on retrouve de ce fait des albums qui perdent en cohérence suite à des tentatives de singles dans des styles qui s’intègrent difficilement à la cohérence sonore globale, à l’image des morceaux caribéens depuis “One Dance” de Drake ou de la pop africaine en France, parfois caricaturée sous l’étiquette “zumba”, que l’on retrouve utilisée à toutes les sauces dans le rap francophone depuis le succès phénoménal de “Sappé comme jamais” de Maitre Gims et Niska.

Ces derniers temps, les exemples d’albums usant de ce procédé d’une tracklist à rallonge ne manquent pas : Scorpion de Drake, Rolling Papers 2 de Wiz Khalifa, Ceinture Noire de Maitre Gims, SR3MM de Rae Sremmurd, Inspi d’ailleurs de Jul, Masque Blanc de S.Pri Noir, Bendero de Moha La Squale ou encore Culture II de Migos. Mais à ce petit jeu, c’est bien Heartbreak On A Full Moon de Chris Brown et ses 57 (!!) titres dans sa version deluxe qui a poussé le concept à son extrême. Si de ces différents albums, les fans en retirent évidemment d’excellents morceaux, il est tout simplement impossible de les réécouter d’une traite aujourd’hui sans qu’un ennui profond ne vienne prendre le dessus. Ces albums sont alors pensés pour être triturés par les fans, dans le but que ces derniers en retiennent quelques morceaux qui intégreront des playlists quotidiennes, ce qui, vous le concéderez, dénature grandement ce qu’est le but d’un album. Si l’avènement du streaming a souvent détruit les différences fondamentales et historiques entre le « fourre-tout » d’une mixtape et la cohérence d’un album, il a aussi permis à des artistes et des labels de vendre des mixtapes sous l’étiquette albums, là aussi à des fins financières. Et à ce petit jeu, les perdants sont toujours les fans, parfois ensevelis sous une montagne hebdomadaire de musique qui sera (trop) vite oubliée.

Il est d’ailleurs intéressant de noter, ce qui confirme sans doute cette idée, que les albums ayant véritablement marqué leur temps et étant perçu comme des fameux « classiques », l’ont rarement été en dépassant les 20 titres, au-delà de certains doubles albums iconiques. Oui, Tupac, Biggie ou Outkast ont brillé sur de longs albums, mais ils font aujourd’hui figure d’exceptions grâce à leur talent incommensurable. Ces 25 dernières années, pour un Life After Death sorti, ce sont des dizaines albums qui auraient gagné à être condensé. Le calcul est alors simple : Pour marquer l’histoire ou simplement satisfaire son public, il faut souvent faire des choix allant dans le sens d’une tracklist intelligemment construite. Et même si cela peut atténuer le succès auprès du grand public, fidéliser son public avec des projets globalement très solides peut offrir d’autres avantages que truster les hauts des charts : continuellement être en tournée, vendre du merchandising, durer dans le temps une fois les singles oubliés… C’est un choix éthique que des artistes réalisent aujourd’hui, à l’image notamment de Vince Staples aux États-Unis. Et cela leur réussit plutôt bien.

G.O.O.D. Music a montré la voie

Avec 5 projets de 7 titres dévoilés en 5 semaines, G.O.O.D Music, par l’intermédiaire de Kanye West, a sans doute montré la voie à une alternative qui se veut aux antipodes des tendance du moment. En effet, ces différents albums ont tous été pensés pour leur intégration à une oeuvre globale, partiellement pensée par Yeezy, dans le but de les rendre cohérents. Si la qualité des projets varie et que globalement, l’expérience est loin d’être parfaite, elle a eu le mérite de montrer que les albums excessivement longs ne sont pas la seule voie à suivre pour les stars de l’industrie. Et cela ne devrait pas s’arrêter là, puisque Kanye va se rendre ce mois-ci à Chicago pour travailler sur le prochain album de Chance The Rapper, qui devrait lui aussi être constitué de 7 titres. Évidemment, sortir des albums d’à peine une vingtaine de minutes ne sera jamais la norme tant la formule peut paraître trop proche d’un EP, mais ce geste doit servir de piqûre de rappel à l’industrie : sortir des albums proche de l’heure et demie n’a jamais été une norme et ne rendra que très rarement service à la qualité intrinsèque d’une oeuvre. Et si cet élan créatif de Kanye et son entourage servira à cela, c’est sans doute la plus grande réussite à tirer de ce mois de juin ultra-productif de la part de G.O.O.D. Music.

Si, comme largement évoqué précédemment, cette tendance est bien présente, elle n’est pas la seule alternative pour les fans, fort heureusement. Aujourd’hui encore, des artistes font le choix de respecter les codes du format album, via des projets pensés pour leur cohérence globale. Cette année encore, des albums ont su montrer leur valeur dans leur globalité, à l’image par exemple de Dinos et son Imany, de Jay Rock avec Redemption ou encore avec Daytona de Pusha T, issu de la folle série de Kanye West. Malheureusement, on constate que ces projets sont aussi ceux qui ne dépassent pas la niche des fans de rap, tant ils ne sont pas pensés pour le grand public. Le revers de la médaille est donc clair et les enjeux sont connus : privilégier le « body of work » d’une oeuvre quitte à atténuer quelque peu son succès, ou se montrer plus pragmatique en cherchant le succès, quitte à détruire la cohérence de son oeuvre ou le plaisir de la réécoute d’un projet dans son entièreté, pour mieux cibler les passages en playlists et en radio.

L’alternative est ouverte aux artistes et les enjeux sont connus de tous. Libre à eux désormais de faire leur choix. Les fans ayant encore une quelconque attache au format album et aux codes en découlant auront en tout cas fait leur choix. Sans l’ombre d’un doute.


Cet article est une “Hot Take”, une prise de position visant à susciter le débat sur la question qu’il soulève. Les propos tenus n’engagent que leur auteur et non pas Views dans son ensemble.