Alors que la marque new yorkaise vient de sortir sa nouvelle collection Fall/Winter 2018, sa position est plus que jamais en train d’évoluer.
Cette nouvelle collection, qui sortira au compte-goutte tous les jeudis jusqu’au mois de décembre, est comme très souvent avec Supreme de qualité. On y retrouve de nombreux classiques, tant dans les imprimés que dans les motifs utilisés, ou dans des pièces plus iconiques comme les sweatshirts box logo ou l’habituel photo tee, qui arbore cette saison une photo de Madonna. Il y a également de nombreuses pièces très réussies, à l’images des manteaux et des vestes, des accessoires et des choix osés mais réussis au niveau des couleurs et des imprimés. Cependant, l’engouement autour de cette nouvelle collection semble avoir changé de nature et le public streetwear de la première heure semble peu à peu se détourner de la marque de Lafayette Street. Bien que Supreme revête toujours l’identité d’une griffe de skateboard, elle reçoit déjà beaucoup moins d’engouement de la part de ce public de skaters qui se détourne a aujourd’hui vers d’autres marques plus confidentielles et donc moins prisées, à l’image de Dime, Bianca Chandon, Call Me 917, Bronze56K et consorts. Si ce public qui était il y a encore 10 ans le coeur de cible de Supreme se détourne aujourd’hui de la marque, c’est parce que l’évolution de celle-ci et son développement incroyable font naître plusieurs contradictions qui conduisent toute une frange de sa clientèle historique à se lasser, puis se détourner d’elle.
Ainsi, l’un des principaux problèmes de Supreme (bien qu’il ne soit pas subit mais souhaité) est que la marque a perdu son côté confidentiel qui faisait que les personnes qui portaient la marque auparavant avait le sentiment d’appartenir à un club assez fermé qui était au courant de ce qui a pendant une dizaine d’années été le secret le mieux gardé de Downtown New York. Elle est aujourd’hui l’une des marques les plus populaires. “Je ne pense pas que la hype puisse causer la perte de la marque,” nous explique Hugo Belhouari, administrateur de la communauté Supreme Paris France (SPF). “Elle a causé la perte de certains puristes de la marque, le dégoût chez certains membres de la communauté mais aujourd’hui Supreme ne vise plus forcément la même clientèle qu’il y a quelques années. Avant, les items rapidement en rupture de stock étaient les items “skate”, alors qu’aujourd’hui tant qu’il y’a écrit Supreme sur l’item, ça va se vendre et ils le savent. Donc je ne pense pas que la hype va tuer la marque. Au contraire, chaque année, leur clientèle augmente : ils ont même prévu d’ouvrir de plus en plus de boutiques. La hype leur est bénéfique.”
Si la frange la plus ancienne du public s’est aujourd’hui détournée de la marque, c’est notamment parce que Supreme n’est plus la petite griffe de skate indépendante qui a ouvert en 1994 avec à peine dix mille euros de trésorerie : c’est aujourd’hui une entreprise possédée pour moitié par un fond d’investissement privé, The Carlyle Group, et qui est valorisée à environ un milliard de dollars. Cette prise de participation du fond américain fait suite au développement de Supreme ces dernières années. Avec la multiplication de ses boutiques, le développement d’Instagram et la démocratisation du streetwear dont le skatewear est l’une des branches les plus importantes, Supreme a pu profiter d’un contexte particulièrement favorable pour devenir un mastodonte de la mode tout en jouant également le jeu pour en profiter au mieux. Ainsi, la marque jongle aujourd’hui avec deux identités : new yorkaise, évidemment, comme le montre la double page de publicité achetée au New York Post pour annoncer sa collection Fall/Winter 2018, mais aussi mondiale, puisque la marque compte aujourd’hui 11 boutiques à travers le monde et que plusieurs devraient encore ouvrir (les villes les plus citées à cet effet par les rumeurs sont Berlin et Milan pour l’Europe, et San Francisco pour l’Amérique du Nord).
La croissance de Supreme a un prix : l’arrivée d’un nouveau public, certes extrêmement consommateur, mais qui est très éloigné du profil type du client qui entrait au début des années 2000 dans la boutique du 274 Lafayette Street. Hugo Belhouari nous explique cette évolution à Paris : “Sur SPF, l’explosion a réellement commencé vers la saison Spring/Summer 2017, soit 1 an après l’ouverture du shop Supreme à Paris. Nous avions 10 000 membres sur Facebook et 15 000 sur notre compte Instagram puis, d’un coup, ça s’est affolé : nous sommes passé à 30 000 sur Instagram et 20, 25 000 sur Facebook. C’est à cet instant que nous avons compris que Supreme et son influence était en train d’exploser. Alors qu’on était 150 à 200 personnes maximum chaque semaine à faire les drops à Paris, on s’est tout à coup retrouvés à être 400, 500… Et aujourd’hui, on est environ 1000 chaque semaine, voire 1500 pour les plus gros drops (box logos, The North Face,… etc.) Ça a bien changé en 2 ans.”
Ainsi, si la marque a semble-t-il perdu de son cachet, c’est notamment car le public d’early adopters a déserté au profit d’une nouvelle génération qui, biberonnée aux réseaux sociaux, a très vite remarqué que Supreme était une marque “cool”, destinée à des gens apparemment “cools” eux aussi. La marque s’est ainsi démocratisée et a perdu par ce biais ce qui a longtemps fait sa force : sa communauté et la fidélité de celle-ci. Au fur et à mesure que cette communauté s’est développée, elle s’est aussi délitée et on a donc perdu le côté presque familial qui entourait l’imaginaire de la marque et de ses adeptes. Mais comme nous le confirme Hugo Belhouari, ce n’est pas ça qui risque de couler la marque : “Les gens continuent de suivre et d’acheter du Supreme car la marque est devenue incontournable dans le milieu du streetwear et même de la mode. D’ailleurs, on voit de plus en plus de personnes ajouter un accessoire Supreme à leurs outfits qui ne sont pas forcément des outfits streetwear. Cela démontre bien l’impact que la collaboration avec Louis Vuitton a eu : Supreme est aujourd’hui une marque hype, ce qu’elle n’était pas forcément avant cette collaboration. Il y a 2 ans, quand Supreme est arrivé en France, nous n’étions qu’une poignée de passionnés à porter la marque, aujourd’hui tu marches dans Paris tu croises forcément quelqu’un avec une sacoche ou une casquette Supreme.” Ce faisant, Supreme a également perdu un certain cachet qui l’entourait puisque pendant longtemps, porter la marque a été un marqueur de connaissance de la street-culture qui s’est peu a peu évanoui pour se fondre dans la masse de la mode actuelle, dans laquelle le streetwear est une part qui grandit chaque jour un peu plus.
À défaut de causer sa perte, cette évolution devrait au contraire permettre à Supreme de continuer de se développer de façon impressionnante, à l’image de la rapidité avec laquelle ses produits continuent de s’écouler. Malgré le fait que Supreme pratique des prix assez important pour du skatewear, elle est en passe de ne plus devenir qu’une marque faisant figure de porte d’entrée dans le monde du streetwear et de la mode pour toute une nouvelle génération. Un géant de la mode qui peut compter sur une communauté énorme bien que disparate qui n’a plus grand chose à voir avec ce qu’il était à ses débuts, malgré le fait que ses produits n’aient que très peu évolués et qu’une grande partie de ceux-ci ne soit pas accessible au grand public, soit à cause de leur design, soit à cause de leur prix.