Si le rap français a une fois de plus été très calme cet été, ce ne fut pas le cas de son grand frère américain. Et l’un des grands animateurs de la période s’appelle Travis Scott, qui a plus que jamais sa place au sommet de l’industrie après des derniers mois couronnés de succès.
Quels artistes peuvent aujourd’hui remplir deux fois le Madison Square Garden en l’espace de 24 heures et vendre un demi million d’albums en première semaine ? Kendrick Lamar, Drake, J. Cole… et désormais Travis Scott. Longtemps considéré comme le protégé de Kanye West puis comme un artiste hip-hop important, Jacques Webster de son vrai nom est aujourd’hui une méga star, dont la notoriété a enfin trouvé un album à sa hauteur avec AstroWorld.
Il est souvent affirmé que le plus dur dans une carrière musicale est de tutoyer les sommets de succès critique et commercial au même moment. Force est de constater que c’est ce qu’a sans doute réalisé Scott cet été, glanant au passage un statut qu’il a toujours cherché, même à l’époque où il était un artiste clivant accusé de voler ordinateur et productions. Les temps ont bien changé.
Annoncé il y a plus de deux ans, AstroWorld a donc enfin vu le jour le 3 août dernier et a été l’indiscutable succès de cet été 2018, au grand dam de Nicki Minaj.
AstroWorld, le manifeste du « son Travis Scott »
Fort de son ambiance sonore cohérente en tout point, de ses productions toujours plus créatives et de ses invités triés sur le volet, AstroWorld n’est pas un album où 2 ou 3 singles viennent rehausser des creux dans une tracklist inutilement chargée. C’est un album qui a été pensé et construit pour n’être qu’un ensemble logique dont l’écoute d’une traite lui offre tout son sens. Le pari semblait osé, d’autant face à un teasing paraissant parfois exagéré de la part de son auteur. La vérité est qu’AstroWorld a répondu aux énormes attentes qu’il suscitait.
Plus qu’un rappeur ou un producteur, La Flame brille dans un statut de chef d’orchestre proche de la direction artistique où il a su réunir des artistes très différents et assembler le tout pour garantir sa cohérence et son ambiance sonore tant recherchée. Kid Cudi, Frank Ocean, Drake, The Weeknd, James Blake, Swae Lee, Gunna, Nav, 21 Savage, Quavo, Takeoff ou encore Juice WRLD, tous sont subtilement utilisés et placés dans un confort pensés par Travis, permettant de tirer le meilleur de ses hôtes et surtout de tirer vers le haut un disque qui avait sans doute besoin de ses invités pour se magnifier. À coté de ça, le rappeur de Houston fait mouche avec une pléthore de producteurs à ses services : Mike Dean, Hit-Boy, WondaGurl, Tay Keith, Tame Impala, Frank Dukes, Sonny Digital ou encore Thundercat. On note la tendance de l’album à décupler ses morceaux par des productions très changeantes, donnant parfois l’impression d’écouter deux morceaux dans un même titre. Et à ce petit jeu, AstroWorld est l’un des albums ayant le mieux maîtrisé cet art au cours des dernières années.
Seul hic, on pourrait ici encore reprocher à Travis Scott ses lacunes lyriques et le manque de personnalité de sa musique via le récit, mais une fois de plus, il réussit à faire abstraction de son plus gros défaut par d’autres qualités largement mises en avant. Au final, il paraît clair qu’AstroWorld restera dans les mémoires comme un album important des années 2010 et de la génération à qui parle le plus Travis Scott : les millennials. Symbole du renouveau sonore de la fin des années 2010 et de ses influences principales que sont Kid Cudi et Kanye West, AstroWorld est finalement la victoire de « la prise du temps » pour un artiste qui a pris soin de concevoir le disque qui symboliserait parfaitement ce qu’est son univers musical.
Un nouveau statut qui dépasse la musique
Si une fois de plus la comparaison avec Kanye West, toutes proportions gardées, tient la route, c’est que Travis a lui aussi fait le choix de ne pas limiter sa créativité à la musique. Accompagné par Jordan Brand, il a su faire de sa collaboration avec la marque au Jumpman l’une des plus prisées de l’année. Amplement saluée par la communauté sneakers, ses différentes paire de Air Jordan IV sont un nouveau symbole de son image de marque et de la capacité à transformer en or tout ce qu’il touche. Et ce n’est pas non plus le merchandising de son album, confectionné en partie par Virgil Abloh, qui viendra contredire cette idée tant il est populaire. Montrant au passage l’importance que cela peut avoir pour doper ses ventes et s’affirmer sur deux tableaux : le streetwear et la musique.
Enfin, au-delà de l’aspect purement créatif, si Travis Scott est potentiellement le grand vainqueur de l’année 2018, c’est aussi car sa vie personnelle a dopé sa notoriété et sa visibilité en ayant rejoint le clan aussi influent que médiatisé que sont les Kardiashan/Jenner. Avec une idylle ultra-médiatisée aux cotés de Kylie Jenner, la première influenceuse au monde, et la naissance de leur enfant Stormi, Travis a été exposé à des sphères médiatiques et populaires que sa musique seule n’aurait jamais pu lui ouvrir. Ainsi, l’homme et l’artiste ont totalement changé de dimension. Le jeune rappeur qui partageait sa mixtape Owl Pharaoh sur SoundCloud en 2013 est aujourd’hui soutenu par l’une des familles les plus puissantes de l’entertainment américain et le moindre de ses projets futurs — qu’il soit musical ou non — sera assurément considéré comme un évènement.
Vous l’aurez compris, si d’autres artistes ont réussi une grande année 2018, à l’image de Drake, Kanye West, Pusha T ou encore Post Malone, Travis Scott est celui qui a réussi à franchir le cap le plus élitiste et prestigieux dans le monde de la musique : devenir une superstar.