Le hip-hop sera encore absent du Super Bowl et c’est une aberration

Même si aucune annonce officielle n’a été faite pour le moment, de nombreux médias américains ont révélé que Maroon 5 avait été choisi par la NFL pour animer la mi-temps du prochain Super Bowl. Un affront de plus envers le monde du hip-hop.

Nouvelle année, nouvelle déception. Comme souvent pleins d’espoir, les amateurs de rap et de football américain attendaient de pied ferme l’annonce d’un artiste hip-hop pour assurer le show de la mi-temps du Super Bowl. L’espoir était d’autant plus fort cette saison, le cinquante-troisième Super Bowl de l’histoire se déroulant en effet au sein du flambant neuf Mercedez-Benz Stadium d’Atlanta. La capitale du hip-hop moderne semblait être l’endroit parfait pour enfin choisir une icône du rap US en tant que tête d’affiche du halftime show. Mais comme à l’accoutumée, la plus grande scène du monde accueillera un artiste pop, radio-friendly et au discours assurément inoffensif.

Le choix de la NFL s’est donc porté sur Maroon 5, le groupe mené par le sympathique Adam Levine et auteur de l’un des plus gros tubes de l’année avec “Girls Like You.” Un hit sur lequel figure notamment Cardi B, qui rejoint la longue liste d’artistes issus de la musique urbaine avec lesquels Maroon 5 collabore depuis de nombreuses années. Wiz Khalifa sur “Payphone”, SZA sur “What Lovers Do”, A$AP Rocky sur “Whiskey”, Future sur “Cold” ou encore Kendrick Lamar sur “Don’t Wanna Know” ont tous collaboré avec le groupe d’Adam Levine. Une rumeur se répandant rapidement sur les réseaux sociaux annoncent par ailleurs que Travis Scott et Cardi B pourraient rejoindre le groupe californien sur la scène du Mercedes-Benz Stadium. Une initiative louable si elle se confirme, mais malheureusement symptomatique d’une époque où le hip-hop est plus que jamais persona non grata au Super Bowl.

Ironiquement, le rap US était bien plus représenté lors du show de mi-temps au tournant du millénaire qu’au cours des dernières années. En 1997, Boyz II Men et Queen Latifah assurent un show de grande qualité, tandis qu’en 2003, Janet Jackson, P. Diddy, Nelly, Kid Rock et Justin Timberlake créent une polémique nationale avec le “Nipple Gate”, le sein nu de Janet Jackson exposé en mondovision. Un couac qui amène désormais les chaînes de télévision à diffuser le halftime show avec un décalage d’une dizaine de secondes par rapport au direct. Bien que la grande majorité de l’opinion public n’ait retenu que cet incident légendaire, il ne faut pas oublier que le show concocté par ces artistes faisait la part belle aux danses suggestives et à la présence de danseuses très dénudées, qui choquent alors une large frange de l’Amérique puritaine. Suite à ce fiasco total, la NFL fera par la suite confiance à des légendes (comprenez des artistes âgés) du rock pour assurer les concerts les plus suivis au monde, et ce durant de nombreuses années : Paul McCartney en 2005, Prince en 2006, Tom Petty en 2007, Bruce Springsteen en 2008 ou encore The Who en 2009.

Usher, Nicki Minaj ou encore Missy Elliot feront respectivement des apparitions au cours des années 2010, mais jamais en tant qu’headliner. Le constat est aujourd’hui terrible. Le hip-hop n’a jamais été aussi dominant dans les charts américains et n’a jamais été autant populaire à travers le globe. Et pourtant, on lui refuse encore et toujours l’accès exclusif à la plus grande scène au monde. Cette décision contradictoire avec la réalité de l’industrie musicale est donc un nouveau coup dur pour tous les fans fatigués de subir des spectacles insipides, à base de pop édulcorée, comme celui de Justin Timberlake l’an dernier. Un chiffre suffit à comprendre le décalage qui existe entre le choix de la NFL et la tendance actuelle : Cela fait désormais 34 semaines consécutives qu’un morceau hip-hop est en tête du Billboard Hot 100. À lui seul, Drake a passé 28 semaines en tête des charts en 2018. Difficile de trouver un genre musical plus universel.

Il y a quelques mois, Bruno Mars, grand habitué des halftime shows, suppliait la NFL de programmer des légendes de la scène rap d’Atlanta lors du Super Bowl 53. Dans une série de tweets, la popstar apostrophait la NFL pour lui proposer des grands noms de la scène d’Atlanta : “@NFL vous avez l’opportunité de célébrer le succès d’incroyables artistes hip-hop d’Atlanta l’an prochain. Outkast, T.I, Gucci Mane, Lil Jon, Jeezy, Jermaine Dupree, juste pour en nommer certains. Ca serait la plus grosse fête de l’histoire de la télévision.” La requête du chanteur hawaïen est visiblement tombée dans l’oreille d’un sourd. Conservatrice au possible, la National Football League semble toujours stigmatiser le hip-hop et ses représentants, malgré l’immense démocratisation du genre et de son importance dans la culture contemporaine.

Cette décision est d’autant plus dommageable que hip-hop et football américain sont intimement liés. Il suffit de se rappeler du choix musical des Philadelphia Eagles, champion en titre, pour pénétrer sur la pelouse du Super Bowl. Devenu au fil des semaines l’hymne officieux des Eagles et de leurs fans, “Dreams & Nightmares” de Meek Milll s’était imposé comme un choix incontournable au moment de décider quelle musique accompagnerait l’entrée des joueurs de Philadelphie sur le terrain du US Bank Stadium. Tous les joueurs de NFL écoutent du rap et les plus grandes stars de la ligue fréquentent les grands noms du genre, à l’instar de l’amitié entre Drake et le médiatique receveur des NY Giants Odell Beckham Jr. La NFL préfère néanmoins détourner le regard, ne pas écouter les requêtes de fans perpétuellement déçus et ne pas suivre les aspirations des joueurs qui la font vivre.

La controverse Kaepernick, qui dure depuis plusieurs années déjà, est un bon indicateur de l’état d’esprit des dirigeants de la National Football League. Peu enclin, le mot est faible, à offrir une tribune politique ou sociale, la NFL semble plus que jamais portée sur le conservatisme. Pour un show majoritairement suivi par des non-fans de football américain, le choix évident était d’opter pour un représentant du rap tant le genre triomphe dans les charts et dans la musique qui aura marqué le XXIème siècle. Le nombre de prétendants ne manquaient pas. Encore plus dans la “Black Mecca” qu’est Atlanta. Les dirigeants de la NFL auront néanmoins fait le choix d’offrir au monde un spectacle qui sera le pur produit de l’Amérique blanche, quasiment comme chaque année. Cette déconnexion avec la réalité culturelle et sociale de notre époque est aussi lamentable que consternante.

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