Sur “Drip Harder”, Lil Baby et Gunna montrent pourquoi ils sont le renouveau d’Atlanta

Ce vendredi 5 octobre 2018, le renouveau du rap d’Atlanta était mis à l’honneur. Et il tient toutes ses promesses.

En septembre 2017, les deux jeunes talents du sud des États-Unis que sont Lil Baby et Gunna prirent la décision de sortir un projet commun du fait de leur proximité humaine et musicale. Toutefois, tout ne s’est déroulé comme prévu dans le processus créatif puisqu’entre temps, les deux rappeurs sont devenus de véritables stars et leur statut respectif a beaucoup changé. Gunna a sorti Drip Season 3, qui s’est offert Metro Boomin à la production exécutive, pendant que Lil Baby a dévoilé Harder Than Ever, fort de l’immense hit “Yes Indeed”, les obligeant à énormément voyager, notamment en tournée, rendant plus difficile de trouver le temps pour travailler ensemble sur cet ambitieux projet.

Pourtant, portés par la motivation que représentait cette mixtape commune prestigieuse, les deux hommes ont pu finaliser ce projet, bien aidé par un homme : Turbo. Ce compositeur, connu pour son travail remarquable avec Gunna, a endossé le rôle de producteur exécutif de Drip Harder tant il maîtrise et façonne le son du duo depuis plusieurs années. Fort de ses productions guitaresques, et plus globalement de son utilisation d’instruments acoustiques, ainsi que de ses percutions très trap, Turbo a ici notamment fait parler son talent sur les morceaux “Drip Too Hard”, “Belly”, “Close Friends”, “Never Recover” ainsi que sur l’excellent “Sold Out Dates” qui n’a bizarrement pas été retenu sur le projet.

Pour parfaire le projet du point de vue de ses productions, les deux rappeurs et le producteur exécutif ont notamment eu l’intelligence de convier spécifiquement trois producteurs : Wheezy, Quay Global et Tay Keith. Le premier car il a énormément travaillé avec Gunna par le passé, ainsi que sur l’incontournable Barter 6 de Young Thug, lui permettant de créer ce son à l’ambiance insaisissable tant appréciée. Le second est lui très proche de Lil Baby, le connaissant depuis ses toutes premières mixtapes et lui ayant offert de très nombreux morceaux dont “My Dawg”, “Leaked” ou encore “Life Goes On”. Le dernier, l’incontournable Tay Keith, a ici été invité sur un seul morceau, mais clairement l’un des highlights du projet : “Never Recover” avec Drake. Un choix logique tant le duo Drake/Tay Keith est l’un des plus prolifiques en 2018 puisqu’il est à l’origine des hits “Look Alive”, “Yes Indeed” ou encore “Non Stop”. En clair, Drip Too Hard s’offre très exactement les producteurs dont il avait besoin pour s’affirmer comme un manifeste du nouveau son d’Atlanta que représentent Lil Baby et Gunna.

Mais si ce projet tient toutes ses promesses, ce n’est pas seulement une question de producteurs, mais bien d’interprètes dont l’ascension est irrésistible ces derniers mois. Sans doute pas encore assez mûrs artistiquement pour sortir un très grand album en solo, Gunna et Lil Baby sont toutefois dans la situation idéale pour sortir ce projet commun qui leur permet de briller sans exposer certains défauts, plus liés à un déficit d’expérience que de talent. Les deux artistes réussissent ici à parfaitement se compléter, aussi bien sur le fond que la forme, et c’est Turbo qui résume sans doute le mieux cette alchimie : “Gunna débarque toujours avec cette approche très mélodique et vous donnera cette sensation d’écoute unique—cette mélodie et cette cadence. Et Baby va toujours vous offrir une histoire. Il va à chaque fois dire quelque chose d’hors du commun et qui va vous marquer. Je pense que c’est pour cela que les fans le reçoivent de cette façon. C’est tellement une nouvelle vague et un nouveau son” a-t-il expliqué à Complex. Et en ce sens, la comparaison avec la duo Young Thug/Future tient d’autant plus la route tant le premier est capable des mélodies et des gimmicks les plus folles pendant que l’autre est capable de briller par le street knowledge et l’aspect très brut de sa musique.

 

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Si grâce à la minutie de ses producteurs, Drip Harder est un projet cohérent musicalement, il brille plus que tout par la force de ses certains morceaux qui s’annoncent déjà comme de futurs hits. Tout d’abord, impossible ne pas citer de nouveau “Never Recover”, co-produit par Turbo et Tay Keith, où Drake débute le titre par un couplet enragé où son rap s’apparente à celui d’un baron de la mafia. “Now I see a million, I don’t get excited“, “I bring up money, they change up the topic” ou encore l’egotrip très hypebeast : “Cannot be seen in that shit from the other day / Virgil just chef’d me a whole different colorway“. Avec ce couplet, qui est peut-être le plus marquant de l’album, le canadien réaffirme son alchimie géniale avec Tay Keith et se montre en très grande forme. Dans cette lignée de potentiels singles issus du projet, on retrouve aussi le romantique et tragique “Close Friends” où Lil Baby, ici en solo, chante ses regrets à propos d’une relation qui ne sera plus jamais ce qu’elle a un temps été. “Married to the game, I can’t make you my fiancée” explique-t-il notamment sur fond de « je t’aime moi non plus ».

Enfin, difficile de ne pas citer le génial “Drip Too Hard”, avant dernier morceau du projet qui est sorti en single le mois dernier. Ce titre représente le mieux leur alchimie sur un morceau très chanté, totalement entêtant et où l’opulence du luxe qu’évoque le duo s’associe à leur vécu très proche de la rue. Une ligne évoque Chanel et les montres Patek pendant que la seconde respire la violence de la street, le tout sur une boucle de guitare signée Turbo qui est parfaitement adaptée à l’ambiance du titre. Dès la première écoute, il était clair que ce titre était spécial et qu’avec lui, Lil Baby et Gunna tenaient un nouveau hit. Cela n’a pas manqué.

Évidemment, pour tous ces bons points distribués, il faut toutefois noter que le projet n’est pas encore exempt de quelques défauts. D’une part certains titres dont “Seals Pills” et “Underdog” se montrent en-deçà du reste du projet, dans le même temps, il est important de noter que lyricalement, le duo a encore de gros progrès à faire pour espérer égaler l’énorme qualité de leurs productions et de leurs interprétations. Et si ce ne sont évidemment pas des rappeurs orientés vers la profondeur lyricale, cela n’empêche que ce sera à terme un critère de progrès pour sortir de grands albums en solo, sous peine de risquer de tourner en rond sur ce format toujours délicat. Mais il n’est pour l’heure pas question de juger trop sévèrement Lil Baby et Gunna sur un critère où ils ont justement progressé depuis un an et qui n’est clairement pas le cœur de leur musique. Il sera toutefois intéressant de voir comment se déroule leur évolution à ce niveau, notamment pour Lil Baby qui montre de belles promesses lyricales par séquence.

Globalement, il n’y pratiquement que du positif à tirer de ce projet commun s’il est jugé pour ce qu’il est : deux des plus gros potentiels d’Atlanta qui prouvent pourquoi ils sont considérés comme le présent et l’avenir de la trap d’Atlanta. Avec le fun, l’opulence, l’extravagance et parfois le manque de substance que cela entraine. Les projets communs n’étant de plus jamais un exercice facile, à l’image du mitigé Huncho Jack ou du très vite oublié Super Slimey, il est assez impressionnant que Lil Baby et Gunna aient réussi à sortir un projet qui est, et restera, l’un des temps forts de l’année 2018 en matière de trap.