Cette sélection des meilleurs films de l’année 2018 est à l’image de l’époque que nous traversons : brusque. Réalisateurs affirmés, artistes reconvertis dans le 7ème art, figures polémiques… La diversité est au rendez-vous. De même que les productions françaises, au nombre de trois, qui réaffirment la place centrale de notre cinéma à travers le monde. Redécouvrons ensemble les oeuvres marquantes de cette année.
10 – Isle of Dogs
Wes Anderson continue d’éblouir et de mettre en perspective son imagination débordante. Le film, tourné en stop-motion, dévoile le Japon dans un avenir proche, où une épidémie de virus canin sévit dans le pays. Après avoir été déportés sur une île, les chiens essaient tant bien que mal de survivre, avant l’arrivée inattendue du fils du Maire, venu récupérer son ancien compagnon. Avec les voix de Bryan Cranston, Edward Norton, Scarlett Johansson ou encore Bill Murray, des décors fantastiques et une direction minutieuse, Wes Anderson crée une dramaturgie amusante, intelligente et étonnamment émouvante.
9 – A Prayer Before Dawn
Une histoire de dépendance à la fois déchirante et féroce, d’une grande beauté. Si les prémisses sont relativement simplistes (un boxeur expatrié qui essaye de retrouver son honneur), son exécution est toutefois exceptionnelle. Jean-Stéphane Sauvaire réussit à créer un film personnel avec un flux naturel, qui, associé à une réalisation imprégnée d’authenticité, résulte en une des expériences les plus immersives de l’année. Responsable en grande partie de cette immersion, Joe Cole (Peaky Blinders, Skins) fait preuve d’un engagement et d’une crédibilité incroyables, qui lui permettront avec certitude d’obtenir des rôles majeurs dans les années à venir.
8 – Sorry to Bother You
Sorry To Bother You est la première réalisation du musicien et ancien auteur-compositeur de films, Boots Riley. La mise en scène, les initiatives esthétiques et le scénario, prenant parfois à défaut le spectateur, distinguent cette oeuvre des autres films sortis cette année. Les personnages sont divertissants et tous uniques en leur genre. Ils sont interprétés par un casting exceptionnel : Lakeith Stanfield (Atlanta), Tessa Thompson (Westworld), Lily James (Baby Driver), Armie Hammer (Call Me By Your Name). Le montage explosif est combiné à une écriture cynique et fantastique, destinée à faire la satire d’une nation à la dérive sur les sujets raciaux. Une oeuvre toute aussi surprenante que réussie pour un premier coup d’essai.
7 – Les Frères Sisters
Audiard réunit un casting d’exception pour la réalisation de ce western avec la présence de Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal, John C.Reilly et Riz Ahmed dans les rôles majeurs. Il est peu utile de présenter les deux premiers protagonistes, tant leur gestion des multiples émotions à l’écran est admirable au fil des années, notamment dans Her ou The Master pour Joaquin, ou à travers Demoliton ou Prisoners pour Jake. L’exercice devient plus complexe lorsqu’il s’agit d’immiscer Reilly dans un film d’auteur, lui l’habitué des comédies américaines et grand ami de Will Ferrell, mais également d’envisager un Riz Ahmed à la hauteur de ses trois autres compères au bagage expérimental beaucoup plus lourd dans ce genre de production. Mais aucune question ne se pose durant le visionnage de cette oeuvre, aucun malaise ne se crée, tout glisse naturellement. Les Frères Sisters relatent des valeurs humaines que l’on accorde à autrui, de la fraternité, du fil conducteur émotionnel qui dirige notre vie et qui survient aux moments opportuns lorsqu’il est nécessaire de faire un choix fort. Audiard le dira lui même, le genre du film peut être considéré comme un western, certes, mais cette ancienne société et ces décors servent de source d’inspiration pour le réalisateur qui signe une oeuvre en marge de sa filmographie, pour le plus grand bien des fans du septième art.
6 – First Reformed
Un examen sombre et provocateur de la vulnérabilité de l’esprit à la pensée extrémiste. Le scénariste et nouveau réalisateur Paul Schrader avait déjà fait parler son talent d’écrivain dans les oeuvres iconiques de Scorsese, Taxi Driver et Raging Bull. First Reformed parvient à se hisser à la hauteur. C’est un film intelligemment écrit qui parvient à jongler avec un certain nombre de grands thèmes – environnement, changement climatique, maladie mentale, toxicomanie, existentialisme, conspiration, martyre, religion et son intersection avec le capitalisme – avec finesse et confiance. Ethan Hawke (Trilogie des Before, Training Day) livre certainement la meilleure performance de sa carrière. Il nous laisse découvrir un personnage dont la sérénité extérieure cache un énorme tourbillon intérieur. Une oeuvre magnifiquement brutale.
5 – Climax
Provocateur cinématographique, pionnier, réalisateur illégitime, influenceur… Gaspard Noé n’est ni en manque d’éloges ou de critiques quant à sa filmographie. Avec Climax, sa volonté est toujours aussi imprégnée de dynamisme, de cruauté et parfois de prétention. Cette même prétention qui peut vous faire changer de case en un instant, de réalisateur visionnaire à celle de chef d’orchestre imbu de lui-même. Or, l’ADN du cinéma de Noé réside dans cette attitude totalement assumée. Climax est une oeuvre que personne d’autre ne pourrait réaliser. L’ensemble est uniformément crédible, donnant aux scènes de chaos total un sentiment d’horreur atroce comme rarement vu au cinéma. La bande originale (Thomas Bangalter, Daft Punk, Patrick Hernandez….), la réalisation vertigineuse et le scénario font de Climax une oeuvre sous l’emprise de LSD et d’incompréhension, mais totalement singulière et unique. Une expérience sensorielle à vivre absolument.
4 – Mektoub My Love
Le film du très controversé Abdellatif Kechiche fonctionne comme un souvenir d’été. Mélancolique, doux, joyeux, et parfois charnel. Cela faisait 4 ans que le réalisateur n’avait pas délivré de long-métrage au grand public. La Vie d’Adèle avait émerveillé certains, brusqué d’autres…. Mektoub My Love n’a cependant pas ce rôle clivant. Certes, des scènes de nudité sont dispersées tout au long des 180 minutes qui composent le film, certaines visions peuvent interpeller le spectateur (avec l’aide de longs plans fixes qui peuvent durer jusqu’à cinq minutes), il n’en reste pas moins que l’oeuvre réside comme un doux témoignage après visionnage. La caméra est placée à quelques centimètres des jeunes personnages, si proche que le spectateur a l’impression de faire partie de leur groupe. Il peut fonctionner comme une machine à remonter le temps (pour ceux qui ont vécu des escapades estivales entre amis) ou mieux, comme une machine qui vous aspire dans le présent, un appel qui est si puissant qu’on peut à peine s’en sortir sans mal. Le tour de force de Kechiche est de créer une fiction si réelle qu’elle pourrait être un documentaire sur la sociabilité, la famille, la séduction et l’amour à 20 ans. Un grand film d’un grand réalisateur.
3 – The Florida Project
Ce qui est admirable avec Sean Baker, c’est son aptitude à capter tous les ressorts de la nature humaine dans un environnement social unique.. On avait pu le remarquer avec le singulier Tangerine (2015), intégralement filmé à l’iPhone, qui relate le quotidien de deux personnes transgenres essayant tant bien que mal de se faire une place à Los Angeles. The Florida Project ne déroge pas à la règle. Nous suivons l’itinéraire de Moonee (jouée par la talentueuse Brooklynn Prince) et sa mère, Halley, aux abords d’un Motel miteux de Floride, situé à côté de Disneyland. Ce clivage entre pauvreté et rêve d’échappatoire est le ciment même du long métrage. Sean Baker arrive à traduire une réalité atroce mais vraie, tout en immisçant l’once d’espoir qui permet de relativiser face à la situation. Les plans sont un miroir du regard des enfants dans leur quotidien, ils permettent de se détacher de cette situation noire. La photographie est, comme habituellement avec le réalisateur New Yorkais, splendide. Elle est au service du jeu des acteurs, souvent choisis sur Instagram comme Bria Vinaite, alors maman de Moonee. Willem Dafoe vient quant à lui sublimer la vision du film, avec une tendresse qu’on ne lui connaissait que très peu. Les rêveurs, ce film a été imaginé par l’un d’entre vous.
2 – Roma
Vous connaissez déjà Alfonso Cuarón. Son adaptation très personnelle de l’univers de Harry Potter dans le troisième long métrage de la saga, ses plans séquences saisissants d’horreur dans Children of Men ou encore sa maîtrise de l’univers spatial dans Gravity, sa renommée n’est plus à faire. Avec Roma, le réalisateur mexicain nous prouve une nouvelle fois son immense talent et sa polyvalence. A l’aide, presque exclusivement, de plans fixes ou de panoramiques lents, Cuaron délivre un témoignage splendide de son enfance à Mexico, partagé entre conflit social et déboires familiaux. L’utilisation du noir et blanc évoque la mélancolie des souvenirs qu’il a pu rassembler à l’aide de sa nourrice (Cléo dans le film) et permet de se focaliser uniquement sur l’image qui nous est proposée à l’écran. Cette hommage à la femme, courageuse, remplie d’amour et d’affection, qui doit faire face à la lâcheté de l’homme, sublime le film de manière à ce que l’aspect autobiographique de l’oeuvre ne soit pas l’essence même du récit. Avec certainement la meilleure photographie de sa filmographie, dont il a été lui même directeur durant le tournage, Roma représente un chef-d’oeuvre de maîtrise, d’investissement et de minutie. Comme si son parcours de réalisateur de fiction n’avait servi qu’à accumuler les connaissances et l’adresse nécessaires à créer l’oeuvre de toute une vie.
1 – The House That Jack Built
Une nouvelle oeuvre de Lars Von Trier implique forcément de nouvelles polémiques. On a pu s’en apercevoir lors du Festival de Cannes (duquel il est banni depuis des années suite à des discours jugés trop extrêmes) lorsque des centaines de spectateurs sont sortis de la salle avant même la fin de la projection. Hué et raillé par une majorité de critiques cinéma, la sortie du film était donc appréhendée difficilement.
Seulement, lorsqu’on a la vision du réalisateur danois; il est difficile de faire l’unanimité. Ses ambitions se veulent déstructurantes, dérangeantes. The House That Jack Built ne déroge pas à la règle. Le film suit l’itinéraire d’un sérial-killer (Jack), interprété par l’étonnant mais talentueux Matt Dillon, lors de ses différents meurtres, survolé par ses confessions en voix-off. Le synopsis pourrait définir un thriller somme toute basique, mais il en est évidemment autrement. Les questions soulevées après visionnage ne concernent pas un abus de scènes de violences ou une présence trop forte de discours extrémistes.
Non, tout le génie de Von Trier réside dans la dualité de ses oeuvres. Dans ce cas, il use de la violence afin de démontrer l’importance de l’Art dans nos vies, de la morale collective qui est trop souvent consensuelle, de la naiveté d’autrui et d’autres sujets moraux ou sociaux qu’il prend plaisir à mettre en scène. Il interpelle le spectateur, s’amuse de ses ressentis et bouscule sa perception de la vie, et la scène durant laquelle Jack tue une mère et ses enfants en leur laissant le temps de s’échapper dans un champ en est la parfaite représentation. Reconnaissons la visée magistrale, mêlée de pessimisme et de critique acerbe de la société, du réalisateur de Melancholia, qui donne vie, longévité et réflexions à ses oeuvres intemporelles comme peu d’artistes savent le faire.
Mentions honorables : Thunder Road, Hereditary, Mutafukaz, High Life, Hostiles, First Man, Leave No Trace, Eight Grade, Le Monde est à Toi, Upgrade, Under The Silver Lake, We The Animals…
Faute de diffusion en France : Burning, The Shoplifters