Cela fait cinq ans déjà que l’Académie des Oscars s’est donnée pour mission de diversifier ses rangs, c’est à dire faire davantage ressembler son électorat masculin, blanc et vieillissant à ce que les États-Unis représentent “vraiment.” Hier, les nominations pour le cru 2018-2019 des Oscars ont été dévoilées et la mission semble accomplie : une polarisation des votes qui touche une multitude de catégories de personnes. Les Oscars deviennent-ils alors le miroir d’une société changeante ou une cérémonie qui récompense véritablement les meilleures oeuvres du 7ème art ?
Les films populaires grands gagnants…
Black Panther, BlacKkKlansman, Bohemian Rhapsody, The Favourite, Green Book, Roma, A Star is Born et Vice. Cette liste des huit meilleurs films de l’année selon l’Académie comporte un caractère singulier : elle compte trois films au succès mondial retentissant. Un fait plutôt rare si l’on s’intéresse de près aux nominations des éditions précédentes, où seuls Titanic et Le Seigneur des Anneaux endossent le rôle de grosses productions assumées au triomphe fracassant. D’abord, Black Panther est le premier film de super-héros à intégrer ce palmarès. Son retentissement fut tel qu’il a intégré le top 10 des plus gros succès au box-office de tous les temps.
Ensuite, A Star is Born, porté par la talentueuse Lady Gaga sous l’oeil expérimenté de Bradley Cooper, a connu une reconnaissance unanime. Tout comme Bohemian Rhapsody qui a su conquérir les coeurs d’une grande majorité de spectateurs. L’impact culturel de la production de Marvel sur la population afro-américaine, la fanbase de Lady Gaga (qui a pu se délecter d’une bande-originale inédite) et le culte lié à Freddy Mercury ont chacun propulsé les oeuvres en question sur le devant de la scène. Il n’est pas question ici de juger la qualité de ses oeuvres, mais simplement de réaliser qu’il était certainement impossible il y a quelques années en arrière de voir un film de Comics atteindre le supposé graal du domaine cinématographique.
… mais à quel prix ?
Même si les avis peuvent se confronter sur le sujet tant il est clivant, aucun de ces trois films ne propose une véritable révolution audiovisuelle. Ils semblent fonctionner avec une démarche formatée, utilisée couramment par Hollywood. Néanmoins, si l’un des trois obtient la statuette, il est certain que le film sera encore présent dans les esprits d’ici quelques années. Pourrait-on dire la même chose de The Favourite ou Roma ? Même si les réalisateurs en question, Lanthimos et Cuaron, ont certainement une vision du cinéma plus riche et moins confrontée à des attentes de producteurs, leurs films n’auront pas la même visibilité. Qui a des souvenirs nets d’Argo ou de Spotlight ? En étant lauréats de la plus importante des récompenses en 2013 et 2016, on pouvait s’attendre à ce qu’ils soient imprégnés dans l’inconscient collectif. Ce n’est évidemment pas le cas. Et c’est peut être le souhait de l’Académie : récompenser les oeuvres marquantes de l’année au détriment des meilleures du point de vue technique.
Mais alors, pourquoi avoir supprimé l’idée d’un Oscar du “Meilleur film populaire” l’année dernière ?
Aussi, deux ans après la campagne des #OscarsSoWhite, Spike Lee vient d’être nominé pour la première fois de sa carrière dans la catégorie du meilleur film. Ici encore, le débat peut avoir lieu : est-ce vraiment son long-métrage le plus propice à être couronné ? Ou bien le crédit de Lee a-t-il augmenté depuis les réformes liées à une meilleure diversité de l’électorat des Oscars ? La bande-originale de First Man, surclassant tous les nominés de cette catégorie, est également à noter dans les absences incompréhensibles tout comme l’oeuvre de Barry Jenkins, If Beale Street Could Talk, dans les meilleurs films.
Le reflet d’une mouvance sociale
Plus de diversité raciale et plus de femmes dans le collège des membres. Tel était le voeu de l’Académie. À la vue des nominations, l’effort est visible et semble toucher des cibles rejetées il y a de ça quelques années. Mais le sursaut le plus net fut l’internationalisation de ses rangs. Et cela se reflète de façon frappante. Les dix nominations accordées respectivement à Roma (désormais film en langue étrangère le plus nominé aux Oscars de l’histoire) et The Favourite en sont les parfaits exemples. Lanthimos et Cuarón sont rejoints dans la course du meilleur réalisateur par Pawel Pawlikowski, pour Cold War. Cela fait presque 40 ans que deux réalisateurs de films en langue étrangère ne s’étaient pas disputés le titre de meilleur réalisateur. Et même si on peut regretter l’absence de l’incroyable Burning de Lee Chang-dong dans cette liste, il est clair que les électeurs de l’Académie ont devant eux un éventail de films bien plus vaste et plus international qu’il y a une décennie.
L’Académie est désormais composée d’électeurs qui peuvent se questionner sur la nomination de Black Panther, d’autres qui pensent qu’un film populaire a le droit de figurer en haut de liste ou certains qui voient en Vice ou BlacKkKlansman le moyen d’éteindre la flamme patriotique américaine. Des personnes qui se divisent, qui ont des avis divergents. Il est difficile d’imaginer un symbole plus représentatif de ce moment de colère. Et presque aussi compliqué d’imaginer lequel des huit finalistes se déguisera assez efficacement en un choix consensuel dans une société sans consensus.
Si des efforts concernant la mixité électorale ont été réalisés par l’Académie, il semble qu’il faille accorder un peu plus d’importance à la cohérence des nominations. Certains films aseptisés marquent effectivement leur époque et la société dans laquelle les spectateurs évoluent, mais ce n’est pas toujours gage de qualité. Bien que la Cérémonie des Oscars retienne l’attention d’une très grande majorité, elle n’est pas toujours le reflet de ce qui se fait de meilleur dans le cinéma. Et heureusement. Nos films favoris vivront toujours à travers le partage et le bouche à oreille. Pas par une liste concoctée par 8000 personnes.