Les films de Xavier Dolan ont toujours été reconnus. Une cohérence dans l’expression des sentiments humain mêlée à une atmosphère imprégnée par les années 90, la patte du jeune réalisateur canadien n’a jamais cessé de se dévoiler au fil du temps. Soutenu par une fanbase attachée, passionnée, Dolan crée autour de lui une attente presque démesurée à la vue de son âge dans le circuit. Mais c’est désormais dans ce rang que le réalisateur de Mommy est rangé : celui dont le seul nom justifie l’achat d’un ticket.
Ma vie avec John F.Donovan pourrait d’ailleurs résonner comme un cri de remerciement à ces années de soutien, tant les conditions étaient réunies pour marquer de son empreinte l’année 2019 : un budget important (25 millions contre 7 en moyenne pour ses dernières réalisations), un casting doré (Natalie Portman, Kit Harington, Kathy Bates…), une première production 100% anglaise… Pourtant, un amer goût d’inachevé subsiste une fois sorti de la salle. Explications.
Xavier Dolan by Xavier Dolan
Le film retrace la vie de de Rupert Turner (Jacob Tremblay), un garçon de 11 ans dont la correspondance écrite avec son acteur préféré John F. Donovan (Kit Harington) rythme sa vie et ses projets. Deux chronologies sont alors évoquées : la première, en 2006, lorsque la relation écrite entre les deux personnages est toujours au beau fixe; et la seconde, une dizaine d’années plus tard, lorsque Rupert (Ben Schnetzer) est interviewé par une journaliste après la mort de John. Un vrai tour de force à réaliser pour le canadien, lui qui utilise cette structure scénaristique pour la première fois. En effet, il doit ici laisser place à trois personnages principaux, en jouant sur deux lignes temporelles. Premier signe d’un appétit de grandeur trop important, la suppression au montage de toutes les scènes du personnage de Jessica Chastain (!) qui n’avait plus d’intérêt aux yeux du jeunes cinéaste. Soit. Au niveau du casting, la plus forte impression est réalisée par Jacob Tremblay, qu’on avait déjà vu étincelant dans Room, aux côtés de Brie Larson.
Preuve de son importance, il endosse le rôle du double implicite d’un jeune Xavier Dolan, partagé entre sa passion pour une célébrité et ses questionnements intérieurs liés à son homosexualité. Il surprend notamment par sa maturité et sa capacité à capter l’attention. Natalie Portman, sa mère, est efficace sans forcément briller. Kit Harington, quant à lui, réussit enfin à élargir son éventail d’émotions. D’habitude amorphe dans Game of Thrones, il étonne et parvient à retranscrire le quotidien d’une star de cinéma sans fioritures. Le montage et la bande-originale s’immiscent dans la continuité voulue par Dolan : des tubes pop fusionnés avec des scènes supposément émotives, des initiatives comme l’utilisation du flou, du slow-mo ou de transitions plutôt bien senties entre les différents arcs. Cet ensemble d’artifices comblera sans aucun doute les fans inconditionnels. Le problème est que Xavier Dolan s’efforce de rassembler les éléments de ses créations précédentes, à défaut de les adapter, puis de les moduler, pour qu’ils intègrent de la meilleure des façons à ce film destiné à toucher un public plus large.
Une recette moins bien dosée
Ce goût amer est provoqué par un manque clair de relief psychologique entre les personnages. La volonté de sublimer certaines scènes (on pense à la rencontre dans la nuit entre Rupert et sa mère accompagnée par une reprise de Stand By Me) est contrecarrée par l’absence d’épaisseur émotionnelle entre les deux personnages. Leur déchirement est surtout visible à travers des monologues ou des conflits sans suite. Là où Dolan utilisait précédemment un seul personnage dans lequel toutes les émotions étaient condensées, et qu’il pouvait retranscrire en agissant spontanément comme dans Mommy, le canadien préfère ici utiliser des artifices lui permettant de recopier ce sentiment. C’est aussi valable pour John et sa mère (Susan Sarandon), dont la scène finale dans le bain ne prend pas l’ampleur voulue, tellement leur relation ne crée aucune empathie.
Cette narration trop conventionnelle met en retrait des personnages qui sont le reflet d’un scénario ambitieux, mais qui dessert les aspirations du réalisateur. Ce manque global de subtilité est souligné par le poster dans la chambre du jeune homme composé d’une citation de John : “Know who you are”. Connais-toi avant de chercher la célébrité. La scène finale nous laisse voir Rupert à 20 ans, désormais acteur et homosexuel assumé, qui ne semble plus avoir de peur ou de question existentielle. Dolan aborde pourtant des thèmes intéressants, peu explorés, comme la difficulté de se découvrir sexuellement et humainement tout en vivant dans l’œil du public, ou même la condition d’un jeune fan aux millions de rêves plein la tête. Mais la façon dont il les met en scène amène une frustration immense : il tourne inévitablement vers une superposition d’émotions visuelles ou sonores qui paraissent fausses, une bande-son qui ne surprend pas, un montage hésitant… C’est simple, à certains moments, on a l’impression que le réalisateur se parodie lui-même.
Toutefois, il ne faut pas se tromper de débat. L’intérêt n’est pas de taper sur le jeune réalisateur. Âgé effectivement de 30 ans, il est nécessaire de garder à l’esprit que Xavier Dolan n’en est qu’aux prémices de sa carrière. Habitué à des oeuvres plus minimalistes et intimistes, il s’est cette-fois attaqué à une réalisation plus conséquente en termes de travail, mais aussi de pression. Pris dans les ficelles d’une post-production apparemment complexe, durant laquelle il coupera deux heures de films et un personnage joué par une des actrices les plus influentes au monde, Dolan s’est peut-être laissé emporté par son instinct. Ce même instinct qui lui a permis de créer des oeuvres connues et reconnues pour leur atmosphère unique, soutenu par un message imprégné d’authenticité. Dans John F. Donovan, le message est expliqué et souligné, sans l’habituel zest de subtilité qui fait le charme de son cinéma. Espérons que le canadien retrouve les ingrédients de sa recette momentanément perdue.