La créativité était mise à l’honneur dans le 11ème arrondissement de la capitale ce week-end, grâce à “The Paris Department.” Un événement organisé par Nike, dans 12 villes du globe, qui ont eu la chance de recevoir les mythiques designers de la marque, venus tout droit de Portland pour partager avec la jeunesse créative les processus de design chez Nike. Nous avons eu la chance d’y organiser une interview croisée entre Lou Matheron, qui réalisait le lancement de sa paire, un an pile après avoir gagné le concours Paris On Air, et Courtney Dailey, Vice-Présidente de la couleur et du design chez Nike.
Depuis quand travaillez-vous toutes les deux pour Nike ?
Courtney Dailey : Un peu plus de sept ans pour ma part.
Lou Matheron : Ça va faire un an pile pour moi, de la victoire au concours On Air jusqu’à maintenant, on doit être autour des 12 mois !
Vous connaissez bien la marque toutes les deux donc, pour différentes raisons. Selon vous, qu’est-ce qui rend Nike si unique en termes de design?
Lou : Je pense que c’est surtout parce que Nike sait créer de belles histoires pour faire vivre ses designs. C’est ce qui va toucher les gens quand ils vont vouloir acheter une paire de sneakers.
Courtney : Là où Nike diffère des autres marques est que c’est une entreprise qui laisse le département design exister par lui-même et pour lui-même. On ne rend pas de comptes au service financier, on est en auto-gestion. En tant qu’entreprise, ça prouve que Nike s’appuie sur le design pour être la référence. Nous avons l’opportunité de pitcher de nouvelles idées à nos collègues, de pousser des nouveaux concepts et de lancer des nouveautés sur le marché de façon régulière. Chez d’autres marques, ça peut être plus compliqué de faire ça. On est drivé par le design.
Vous êtes plus libres qu’ailleurs ?
Courtney : Il faut toujours qu’il y ait un équilibre. La liberté de créer est présente, mais il ne faut jamais oublier qu’il faut aussi avoir de bons résultats commerciaux. Le constat est clair : tout le monde essaie de faire mieux chaque jour, d’apprendre, d’expérimenter, d’être créatif. C’est des traits de caractère qui sont communs à tous les employés de Nike, pas seulement aux équipes de design. Ça permet de créer une culture d’entreprise où on essaie de toujours aller de l’avant et surprendre le public.
Lou, tu as gagné le Air Max Contest 2018 et tu es donc partie au siège de Nike, en Oregon, pour créer ta paire. Comment décrirais-tu le processus créatif de la marque ?
Lou : Je ne suis absolument pas designer, encore moins chez Nike, mais tout le process de création s’est super bien passé, les équipes étaient géniales avec moi, m’ont mis à l’aise… Car c’est quelque chose que je n’avais absolument jamais fait ! C’était génial de pouvoir collaborer avec des gens aussi talentueux. Je ne pense pas que les gens réalisent tout ce qu’il y a derrière une simple chaussure. En allant à Portland, en travaillant dans les bureaux de Nike, vous réalisez à quel point créer une sneaker est un gigantesque projet. C’est fascinant.
Quelles sont les étapes les plus longues dans la création d’une paire ?
Courtney : Tout dépend de la paire ! (Rires) Quand il s’agit d’une silhouette “classique”, qui existe déjà, vous essayez de nouvelles matières, de nouvelles couleurs, des combinaisons inédites. Vous envoyez un croquis, vous recevez des échantillons en rapport, vous renvoyez un autre croquis, vous recevez d’autres échantillons. Ces allers-retours sont l’étape la plus chronophage. Par contre, si on parle d’une nouvelle silhouette, qu’elle soit plus axée performance ou lifestyle, ce qui prend le plus de temps c’est de la faire marcher ! Certaines idées qu’on lance sont ambitieuses, ce sont des choses encore jamais vues, comme la VaporMax ou la 720. Ce sont des projets très techniques, qui nécessitent beaucoup d’ingénierie et où les questions principales sont : “Mais comment on peut fabriquer cette chaussure ?” et “Quelles machines peuvent la fabriquer ?” Souvent, c’est la partie innovation qui prend le plus de temps. Il s’écoule parfois 10 ans entre l’idée d’une paire et sa commercialisation. Quand on update juste un modèle déjà existant, il faut compter 2 ans de travail.
Que faut-il pour un être bon designer en 2019 ?
Lou : Je ne suis pas designer donc je vais m’abstenir sur cette question ! (Rires)
Courtney : Laissez-moi vous parler des “4C.” D’abord, vous avez besoin d’être curieux. Si vous êtes spécialisés dans la matière, vous devez tout savoir sur la matière, mais vous devez aussi vous intéresser aux couleurs, à la technologie… Il faut comprendre le monde dans sa globalité, car les choses que l’on assimile chaque jour ont un impact sur ce que l’on crée. Deuxièmement, c’est aussi très important d’être collaboratif. Personne n’a jamais fait une sneaker tout seul. C’est des projets qui impliquent énormément de personnes, avec des backgrounds et des sensibilités différentes. Ça va des inventeurs des machines de manufacture au service de sécurité qui s’assure qu’aucun élément de la paire ne pourra étouffer un bébé. Ensuite, il y a la communication. Vous devez sans cesse faire part de vos idées, les rendre attractives aux yeux d’autrui, afin d’obtenir leur soutien inconditionnel. Enfin, la créativité est bien évidemment primordiale. Vous devez sans cesse réfléchir à comment contourner tel ou tel problème. Une idée commune veut que les designers soient des artistes déconnectés du genre “mon idée est géniale, je vais faire un truc génial, je suis génial.” En réalité, le travail d’un designer consiste à apporter une réponse concrète à un problème concret.
Lou, tu es photographe. Penses-tu, comme Courtney, qu’on puisse être inspiré par tout ce qui nous entoure pour concevoir un design ? Ta ré-interpréation footwear des travaux du Grand Paris va dans ce sens.
Lou : L’inspiration vient de l’environnement, de ce qu’on voit dans la rue, des gens avec qui on traîne… La créativité peut se développer en gardant les yeux et l’esprit ouverts. Au début, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire pour ce concours. Je me baladais dans les rues et ça m’a frappé. Les travaux perpétuels pour permettre à la capitale de s’étendre. On ne sait jamais quand ça va nous tomber dessus. C’est important de toujours avoir un regard frais, neuf, de chercher les détails dans l’ordinaire. Il y a toujours plus à voir que ce que l’on pense.
Qu’as-tu ressenti quand tu as vu ton design prendre vie ?
Lou : C’était un peu comme un rêve devenu réalité car je n’y croyais pas mes yeux. Cet après-midi, je suis allée dans un magasin juste à côté pour la voir en vente sur les étagères. Je criais intérieurement ! Je ne réalise pas encore tout à fait, mais plus je la verrai portée par des gens, plus ça deviendra clair dans ma tête.
Courtney, vous avez un titre très cool “Vice President of Color”…
Courtney : Merci !
Comment parvenez-vous à trouver le point d’équilibre entre les différentes teintes d’une paire ou encore entre des couleurs et des textures ?
Courtney : Quand vous avez une narration bien définie, avec un vrai point de vue, ça réduit la marge d’erreur créative. Cette narration, c’est le fondement de chaque décision que vous prendrez pour cette paire. Elle aidera aussi les gens à comprendre ce que vous êtes en train d’essayer de faire. Ce qui est dur avec la couleur, c’est que c’est quelque chose d’extrêmement subjectif. Par exemple, disons que je fais une paire verte. Je peux adorer le vert et vous pouvez le détester. À l’inverse, si je dis “je fais une paire en hommage à une forêt”, la paire ne peut que être verte, que ça plaise ou non. Elle reste fidèle à la narration.
Pourquoi est-il important d’organiser des événements comme ce “Paris Department” ?
Courtney : Pour de nombreuses raisons ! Dans beaucoup d’endroits du globe, le design est un secteur de niche, peu de gens se lancent dedans. Par manque de formations adaptées, par manque d’argent, parce que ce n’est pas considéré comme un métier “sérieux” par leur entourage… C’est important d’offrir une tribune aux personnes qui ont de belles idées mais qui ne peuvent pas les exprimer en temps normal.
Lou : Ce genre d’event permet aux gens de s’exprimer librement. Le workshop de l’an dernier a été un véritable déclic pour moi, pour ma vie. Je ne m’étais jamais que je pouvais designer une sneaker, tout simplement parce que ce n’était pas mon métier. Ça m’a fait réaliser que j’étais intéressée et douée dans d’autres domaines. C’est cool de rêver plus grand, de viser plus haut. À l’inverse, c’est facile de rester au chaud dans sa zone de confort. Ces événements sont là pour donner envie aux gens de se dépasser.