“Personne n’est limité” a un jour déclaré le kenyan Eliud Kipchoge, aujourd’hui détenteur du record du monde du marathon. Pourtant, il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir courir 42,195 kilomètres en 2 heures, 01 minutes et 39 secondes. Certains en sont même très, très loin. C’est notamment le cas de Cédric Ganguia, runner occasionnel et membre de Jolie Foulée. Créé en 2013 par un groupe d’amis, ce collectif est autant un média qu’un crew de “runners sans talents” selon les dires de l’un des ses fondateurs, Lionel. “Quand on a commencé, il n’y avait pas de site qui parlait de course à pieds avec un oeil décalé, avec un ton ironique” nous explique-t-il à quelques jours du Marathon de Paris.
Très actif sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram, Jolie Foulée offre avant tout une image décalée du running, sans jamais se prendre au sérieux. Loin des standards polissés et ultra healthy du running moderne, le média met en avant ce coureur peu sérieux, qui ne crachera jamais sur une clope ou sur un verre. “On était un groupe d’une dizaine de potes, à la base, on s’entraînait ensemble pour se retrouver et s’amuser. Il y a même des gars du crew qui ne courent pas, qui sont juste là pour les soirées” confie Lionel avec malice.
Discipline sportive dont l’essence est irrémédiablement individuelle, le running adopte de plus en plus une dimension sociale et collective. Jolie Foulée en est la preuve. Unis par leur auto-dérision, ainsi que par leur goût partagé pour la mode, l’effort et les soirées, les membres de ce collectif avaient décidé de frapper un grand coup pour le Marathon de Paris 2019. Une façon comme une autre de laver un vieil affront. Il y a deux ans, Cédric Ganguia avait en effet vécu un véritable calvaire dans les rues de la capitale. “Il avait vraiment pris le truc à la légère” glisse Lionel, avant de d’expliciter son propos : “C’est un gros fêtard, il avait continué les soirées, à boire, il n’avait pas contrôlé son alimentation, il s’était à peine entraîné. Évidemment, le Jour J ça a été la catastrophe. Il en a ch*é comme jamais.” Résultat de cette préparation cataclysmique : une course conclue dans la douleur, en plus de 5 heures.
Un calvaire personnel, qui aura néanmoins régalé l’audience de Jolie Foulée, comme le raconte Lionel : “On a raconté son expérience sur le site et c’est encore l’un de nos articles les plus lus. On a tourné le papier de façon a bien se foutre de sa gueule, mais beaucoup de gens se sont reconnus dans sa galère.” Deux ans plus tard, le groupe d’amis se réunit et décide de se lancer un défi, à Cédric et à eux-même. Inspirés par l’opération Under2 de Nike, qui avait pour ambition de faire passer Eliud Kipchoge sous la mythique barre des deux heures de course, les membres de Jolie Foulée dévoilent, non sans ironie, le programme Under5. “Nike avait pris le pire meilleur marathonien du monde. Nous, on a pris le pire” résume le fondateur du site.
L’objectif est clair : faire courir le marathon de Paris à leur pote, en moins de 5 heures. On attribue alors un coach à Cédric, qui le suit au quotidien dans sa préparation. Néanmoins, tout le monde met la main à la pâte. “On partait de loin” se souvient Lionel, “c’est un footeux qui est très fêtard. Autant sur un terrain de foot, tu peux arriver à faire semblant, autant en courses à pied, tu ne peux pas te planquer.” Les entraînements s’enchaînent, en groupe, en solo, en suivant un plan clairement défini, largement documenté sur les réseaux sociaux : “La différence par rapport à il y a deux ans, c’est qu’il avait vraiment conscience de ce qu’il allait affronter.” Néanmoins, le doute subsiste encore dans l’esprit des camarades de Cédric. “On avait peur qu’il ne s’entraîne pas, donc on lui a offert une montre GPS pour pouvoir mieux le pister” apprendra-t-on quelques jours avant la course. À J-2, le runner le moins doué de Jolie Foulée se montrait confiant : pas de pépin physique à déclarer, une préparation bien gérée et une motivation infallible.
En franchissant la ligne d’arrivée du marathon de Paris en 4 heures et 7 minutes dimanche dernier, Cédric et Jolie Foulée ont relevé leur pari avec brio. Le Breaking5 devient ainsi un Breaking4, le groupe clamant à qui veut l’entendre que 4h07 peut équivaloir à 3h67. Cela s’entend. Aidé tout au long de la course par les membres du collectif, le marathonien Cédric boucle ainsi sa course dans les temps. Une réussite qui satisfera certainement les nombreux sponsors du runner le moins talentueux de France, tels que Nike, Oakley, Polar, Maurten ou encore Strava. Cet exploit sera massivement partagé par le crew sur Instagram, de la souffrance des derniers kilomètres à la délivrance de l’arrivée finale sur les Champs-Élysées. “Ce week-end historique pour le sport paralympique français”, selon les dires de Jolie Foulée, restera assurément dans la tête et les coeurs de ce groupe de potes pas comme les autres.