adidas organisait la semaine dernière à Brooklyn le lancement de son programme FUTURECRAFT.LOOP, afin de présenter sa première chaussure de running entièrement recyclable. Grâce à un processus novateur, cette chaussure est composée d’une seule matière, de la semelle BOOST aux lacets : le TPU. Ce composant 100% recyclable est transformé de manière à former le BOOST, tandis que les fils de différentes épaisseurs sont ensuite tissés pour composer la chaussure, ou même chauffés et compressés afin de renforcer le talon. Une fois la chaussure utilisée et usée, adidas la récupère et la recycle à 100%, sans perte de matière et donc sans pollution. Avec une chaussure, on peut ainsi recréer une autre chaussure, avec théoriquement 0 apport de nouveau TPU. La marque aux trois bandes nous avait convié à ce lancement new-yorkais, en compagnie de 200 innovateurs triés sur le volet. Reportage sur place.
Un évènement engagé
“Nous avons un problème avec les déchets plastiques. 91% du plastique n’est jamais recyclé. 100% du plastique fabriqué existe encore. 8,3 milliards de tonnes de plastique ont été produites depuis le début des années 1950. 50% de tout ce plastique a été produit durant les 13 dernières années.” Dès notre entrée à la Duggal Greenhouse, le hangar géant dans lequel adidas nous a invité, le ton est donné : aujourd’hui, on parlera de plastique et plus précisément de la pollution qu’il engendre.
De nombreux messages de ce type sont projetés aux murs du couloir menant à la salle où se tiendra dans quelques minutes l’évènement de lancement du programme FUTURECRAFT.LOOP par adidas. Le ton est grave, la musique diffusée sur les enceintes du lieu angoissante, la foule concentrée : la rumeur s’est répandue assez rapidement ici, la marque allemande s’apprêterait à dévoiler une technologie qui se veut révolutionnaire et compte bien le faire savoir — d’où notre présence sur place. Le coeur de cet évènement est un immense espace organisé au centre de plusieurs cercles géants, délimités par des écrans blancs de 15 mètres de haut. Même le lieu reprend donc à son compte l’idée de « LOOP », littéralement « boucle » sur lequel se base FUTURECRAFT. Les vidéos d’athlètes de la marque projetées sur ces écrans nous donnent un autre indice sur le thème de la journée : on parlera également de performance.
Une fois les 200 invités installés autour de la scène — circulaire, forcément — placée au centre de l’espace, une première guest de marque fait son apparition pour introduire l’évènement, ainsi que commencer à préciser le thème qui rythmera ce keynote : Willow Smith. La jeune femme, particulièrement engagée, a en plus l’avantage d’être prise pour role model par de nombreux jeunes à travers le monde. “J’ai toujours aimé la nature et la planète, j’ai une vraie connexion et je ressens une vraie responsabilité envers la Terre. Je suis très heureuse de faire partie du programme FUTURECRAFT et je pense que c’est un premier pas très important vers le futur” a ainsi déclaré l’actrice et chanteuse. Elle a ensuite laissé sa place à Eric Liedtke, numéro 2 du groupe adidas, qui a présenté la vision de la marque pour son combat contre le plastique et, surtout, l’impact espéré de son nouveau processus FUTURECRAFT.
Une technologie complexe et contraignante
Paul Gaudio, SVP Creative Direction & Future de la marque aux trois bandes, a également pris la parole, expliquant le lien très fort unissant ici le matériau et le design du produit, pensé pour que les débats portent sur la technologie et non pas sur l’apparence du produit. Mais qui dit chaussure de running dit aussi que l’on obtient un produit estampillé “performance”, ce qui implique la confection d’un design prenant en compte les contraintes d’un produit qui sera soumis à rude épreuve, tout en ne maîtrisant pas encore complètement le matériau utilisé pour réaliser la FUTURECRAFT.LOOP. Une véritable prouesse jusque dans les moindres aspects puisque, pour ne rien faciliter et être effectivement recyclable, la chaussure devait également n’utiliser… aucune colle. Le designer de la paire, Ulisse Tanzini, nous explique ainsi qu’il s’agissait là “d’un grand défi, quand on sait qu’une chaussure UltraBoost, par exemple, est composée d’environ 70 pièces collées ensemble.”
Dans le cas de la FUTURECRAFT, tout a été optimisé et pensé pour réduire le nombre de pièces et ne pas utiliser de colle. On compte ainsi seulement 12 pièces, assemblées sans colle, et ce grâce au procédé de fabrication de la SpeedFactory qui permet la fusion des éléments grâce à la chaleur. Cette technologie d’assemblage était pour l’instant réservée aux campus adidas des sièges allemand et américain, mais Graham Williamson, directeur des programmes “Future” de la marque, nous a confié que les machines permettant ce procédé d’assemblage étaient en cours d’acheminement depuis déjà deux mois dans les usines de la marque, afin de pouvoir enclencher une production à grande échelle. “On utilisait surtout la SpeedFactory pour de la recherche & développement, c’est la première fois que nous allons les déployer à l’échelle industrielle” a-t-il complété. La dernière étape de production en date d’un projet engagé depuis de nombreuses années.
“Nous avons travaillé sur la FUTURECRAFT.LOOP pendant 6 ans avant d’obtenir ce produit” nous explique Tanyaradzwa Sahanga, qui s’occupe du développement de la technologie depuis le début du projet. “À partir du moment où on a découvert, il y a 2 ou 3 ans, tout ce qu’on pouvait faire avec le TPU, notamment les différents tissages et les renforcements qu’on peut y appliquer grâce aux compressions à haute température, le projet a pris une toute autre dimension,” complète-t-elle.
Les billes de TPU permettent ainsi à adidas de réaliser ce grand pas en avant vers une industrie de la mode et du sport plus éco-responsable, consciente des dangers qu’elle peut faire courir à la planète. Si elles sont ensuite transformées, chauffées, tissées, gonflées, afin de créer l’ensemble des 12 pièces composant la chaussure, l’inverse est également vrai pour ces billes et le procédé de recyclage permet, une fois la chaussure lavée et déchirée, de la transformer de nouveau en billes de TPU, ce qui permet théoriquement de créer la même chaussure sans aucune perte ni déchet — aucune marge d’erreur dans ce processus ne nous a été communiqué.
Quel avenir pour la FUTURECRAFT.LOOP ?
Plusieurs interrogations subsistent autour de ce produit, qui ne devrait pas être disponible commercialement avant la collection Printemps / Été 2021 d’adidas. Toute la communication de la marque repose pour l’instant sur le principe de la « boucle » que permet la FUTURECRAFT : acheter la chaussure, la porter et l’user, la rendre afin qu’elle soit recyclée et en obtenir une neuve créée grâce au recyclage de la précédente. Seulement, quel business model adopter pour que ce projet soit économiquement viable ? David Quass, en charge du développement du business model de la FUTURECRAFT, admet que la marque n’a pas encore trouvé la solution miracle et planche actuellement sur plusieurs solutions. “Nous réfléchissons à toutes les options possibles, que ce soit celle de l’abonnement ou celle du ‘buy-back’ qui serait une vraie incitation pour le consommateur à rendre ses chaussures,” nous explique-t-il ainsi. La marque allemande devrait prendre sa décision concernant la stratégie à adopter d’ici à cet été.
Dans le même temps, le déploiement de ce processus en vase-clos à d’autres produits et gammes d’adidas est un enjeu majeur — si ce n’est le plus important. Si une chaussure de running entièrement recyclable est une innovation d’une envergure rarement (jamais ?) atteinte dans le domaine de l’écologie pour une marque aussi importante, l’application de ces procédés à un maximum de produits (des produits performances aux gammes Originals, sneakers ou apparel) est sans doute le point qui fera du processus FUTURECRAFT un « game changer » pour l’industrie de la mode et du sport ou seulement une initiative ouvrant la voie à d’autres. D’après les informations que les responsables Future d’adidas ont bien voulu nous confier, la marque ambitionne beaucoup plus d’appliquer la première option et de produire dès que possible un maximum de ses gammes de sorte à ce qu’elles soient entièrement recyclables.
Un premier produit d’apparel recyclable devrait d’ailleurs sortir en juin. Tous les voyant indiquent d’ailleurs qu’adidas ambitionne d’utiliser au maximum ce procédé et d’en inventer d’autres, selon les produits, afin de créer un maximum de produits recyclables. C’est d’ailleurs pour ça que la marque aux trois bandes s’est d’abord penchée sur une chaussure de running recyclable, soit le produit le plus technique et complexe à réaliser, afin de résoudre la quasi totalité des problématiques posées par le TPU en amont. La difficulté que rencontreront les ingénieurs et designers de la marque pour réaliser des Stan Smith ou des shorts recyclables par la suite ne devrait en être que moindre.
C’est en tous cas un pas immense qu’adidas a franchi la semaine dernière à New York. Les prochaines années nous diront quelle sera l’ampleur et l’impact réel de FUTURECRAFT.LOOP sur l’industrie et les consommateurs, mais l’avenir de ce procédé s’annonce radieux. Et celui de la marque allemande s’annonce très vert.