“On a suivi des mauvais surfeurs sur le long et difficile chemin qui fera d’eux des surfeurs moyens.” C’est en ces termes que le designer américain Tom Sachs décrit son nouvel objet cinématographique, intitulé How To Learn How To Surf. Sous ce nom qui peut évoquer un tutoriel YouTube se cache pourtant un film d’une trentaine de minutes qui aborde bien plus que le simple apprentissage du surf. Produit en collaboration avec la marque Hurley, ce projet est le témoignage d’un artiste ayant appris à apprécier un sport magnifié sur papier glacé, mais terriblement décourageant et frustrant dans la vie réelle.
De passage dans la capitale à l’occasion de la présentation de son film, Tom Sachs a accepté de répondre à nos questions. Nous le retrouvons sur le toit du cinéma L’Entrepôt, à quelques minutes du début de la projection de How To Learn How To Surf. Blazer bleu délavé sur les épaules et NikeCraft Mars Yard 2.0 designée par ses soins aux pieds, Tom Sachs a beau revenir d’un séjour surf sur la côte basque, il semble plus en forme que jamais. Entretien avec un designer unique en son genre.
Comment résumeriez-vous ce film à quelqu’un qui ne l’a pas vu ?
Je pense qu’ils devraient aller voir ce p*tin de film ! (rires) Plus sérieusement, je dirai que c’est un film sur l’apprentissage. Ce n’est pas un film de surf, ça n’a rien à voir avec le surf. Le surf est le support qui nous permet de parler des problèmes universels de l’apprentissage. Les coûts, les récompenses, les difficultés. Que ce soit votre premier jour sur une planche ou votre millième, vous êtes toujours en train d’apprendre quelque chose. C’est un voyage sans fin.
Et vous, qu’avez-vous appris au travers de cette expérience ?
J’ai appris que si vous souhaitez vraiment apprendre comment surfer, vous allez à Waikiki ou à San Onofre. Par contre, si vous voulez faire un film How To Learn How To Surf, vous allez dans l’endroit le plus reculé, le plus dur, le plus cher, le plus difficile où apprendre à surfer : Bali. En allant chercher l’épreuve ultime, on s’aperçoit qu’une certaine magie en ressort.
Qu’est-ce qui vous plaît dans le surf ?
Je n’aime pas le surf. C’est comme le thé. Les gens me parlent souvent de thé parce que je suis intéressé par tout le cérémonial qui l’accompagne. Ils me demandent si j’aime le matcha, car tout le monde boit du matcha à New York. Ils m’apportent ça en disant “oh tu adores le thé, tu dois adorer le matcha” alors que je déteste le p*tin de matcha. C’est comme le surf, je n’aime pas ça, mais je suis fasciné par tous les rituels qui l’entourent. Pour le surf, bien sûr que glisser parfaitement sur la surface d’une vague est quelque chose de magnifique. Mais c’est difficile, c’est du travail. Je pense que ce qui me plaît dans le surf vient du fait que je n’aime pas les vacances. C’est l’activité parfaite pour les gens qui n’aiment pas prendre de vacances. Aller surfer, vous aurez l’impression d’en ch*er encore plus qu’au bureau.
Donc, vous êtes plus intéressés par la culture surf et tout ce qui va avec que par l’activité en elle-même ?
La seule chose que je déteste plus que le surf, c’est la culture surf et les surfeurs. C’est le pire ramassis de dégénérés égoïstes que je n’ai jamais rencontré. Pour revenir au sujet en toute honnêteté, je ne pense pas qu’il y ait de meilleur sport pour se connecter à la nature que le surf. Les surfeurs sont en première ligne pour mesurer les effets de l’homme sur la nature, pour se pencher sur l’anthropocène, l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu une incidence globale significative sur l’écosystème. On le voit depuis l’espace jusqu’à ici sur terre, on est en train de totalement massacrer notre planète. Les surfeurs sont aux premières loges et doivent être écoutés sur le sujet, car ils sont les témoins des changements environnementaux. Malgré ce constat atroce, c’est magnifique de se connecter à ce qu’on appelle la soupe primitive (ndlr : En science, la soupe primitive est un mélange physico-chimique étudié par les chercheurs qui souhaitent comprendre, modéliser ou reproduire les origines de la vie sur la planète Terre).
La soupe primitive ?
C’est assurément l’océan, c’est de là où nous venons tous. C’est la source de toute forme de vie.
Vous avez travaillé avec la marque Hurley sur ce film. Selon vous, que faut-il pour créer une bonne collaboration entre une marque et un artiste ?
Toute collaboration ne vaut la peine d’exister que si c’est pour créer quelque chose que ni l’un ni l’autre ne pouvait faire par lui-même. Cette collaboration en est l’exemple parfait car je ne pense pas qu’on puisse trouver un groupe composé de plus de cinglés que mon équipe, associée à l’équipe d’Hurley qui est dévoué à chanter les louanges du surf et du lifestyle qui accompagne cette pratique. Ensemble, on a formé une équipe unique en son genre.
Tout au long de votre carrière, vous avez travaillé sur l’exploration spatiale. Avez-vous vu un lien entre l’espace et l’océan, dans la façon d’appréhender un environnement ?
C’est une excellente question. Un séjour de surf s’apparente à du camping. Un voyage dans l’espace est aussi une forme de camping. Vous devez emmener tout ce dont vous avez besoin avec vous, si vous trouvez des choses utiles sur la route c’est encore mieux. Bon, dans l’espace c’est moins possible, même si il y a un protocole de la NASA intitulée In-Situ Resource Utilization (ISRU) qui permet aux astronautes de travailler et de vivre dans l’espace pendant plusieurs mois ou plusieurs années. Ils génèrent leurs propres produits avec les matériaux qu’ils trouvent dans le vide spatial et sur certaines planètes. C’est le Saint Graal de l’exploration spatiale. Dans le surf, on pêche des poissons, on les cuit sur la plage, c’est une expérience géniale. On mange des produits locaux, on explore les cultures locales, on s’enfile les “brevages locaux.”
C’est une expérience que vous souhaiteriez renouveler ?
Je pense que How To Learn How To Surf est un excellent template pour créer des “how to learn how to do anything.” Le prochain pourrait très bien être “How to learn how to love” ou “How to learn how to leave Detroit” (rires). Si vous parlez à un surfeur débutant, amateur ou confirmé, ils vous diront tous la même chose. Les leçons que l’on apprend via cette discipline sont universelles.
On peut s’en servir dans la vie de tous les jours ?
Bien sûr ! Par exemple, le surf apprend à être au bon endroit au bon moment. Le réalisateur allemand Werner Herzog a un jour expliqué que quand il jouait au football à haut-niveau, il était loin d’être le meilleur joueur sur le terrain, mais qu’il était toujours au bon endroit, au bon moment. C’est quelque chose qui l’a aidé à devenir un excellent réalisateur, car il savait toujours où il fallait être et quand.
Vous avez beaucoup parlé de la difficulté d’apprendre à maîtriser un environnement comme l’océan. Est-ce que la leçon la plus importante qu’on apprend dans le surf ne serait pas l’échec ?
La chose la plus dure, selon moi, c’est le fait d’apprendre à profiter du moment présent malgré les réussites ou les échecs. L’échec est inhérent à n’importe quelle aventure, sans le connaître vous ne réussirez jamais rien.
Le trailer de How To Learn How To Surf est à découvrir ci-dessous.
Photos : Clément Chouleur (@el_choubi) et Selim Moundy pour Views