Fixpen Sill, l’heure de la libération

“Notre seule certitude, c’est d’avoir fait le truc au max” préviennent d’entrée de jeu les membres de Fixpen Sill. Lorsque nous les retrouvons en centre-ville de Montreuil par un bel après-midi de fin d’été, Vidji et Kéroué nous accueillent comme il se doit. C’est ici, à la limite de Paris, que le tandem a enregistré la majeure partie de son nouvel album FLAG, qui sort en ce début de mois d’octobre. Quasiment deux ans après la parution de leur dernier projet A4637, le duo français est bien décidé à sortir de son mutisme. Plus motivé que jamais, le tandem breton n’a plus de temps à perdre. C’est en tout cas ce que nous confie d’emblée Kéroué : “On ne veut plus refuser de faire des choses qui nous plaisent artistiquement. Quitte à ce que ça ne plaise pas aux gens avec qui on avait commencé, qui ont des fois un regard un peu trop critiques sur notre évolution.” Dix ans après son début dans le rap, Fixpen Sill est déterminé à franchir un véritable palier.

Anciens membres du 5 Majeur, aux côtés de Nekfeu et Hors II Portée, porteur du projet Fixpen Singe avec Lomepal et Caballero, Vidji et Kéroué peuvent être considérés comme des OG du rap hexagonal. Comment, alors, expliquer un silence aussi long malgré cette carte de visite plus que flatteuse ? “On a bossé cet album avec la volonté de ne pas sortir un énième projet” explique Vidji, “l’objectif était de faire quelque chose de bien plus affirmé que par le passé.” Kéroué abonde dans le même sens : “On s’est fait discret sur ce qu’on préparait, sur ce qu’on couvait, afin de surprendre les gens. Quand on a sorti le premier extrait, le single ‘Le Piège’, le but était d’arriver avec une image nouvelle, qui laisserait présager d’un album plus couillu. On a volontairement caché notre évolution pour avoir plus d’impact au moment de la sortie du projet.” Pendant vingt-quatre mois, Fixpen Sill a ainsi bossé sans relâche sur FLAG, enchaînant les maquettes et les démos. “On a gardé que la crème” confie Kéroué en décrochant un grand sourire.

Pour se montrer à la hauteur de ses ambitions, le duo originaire du Finistère a revu sa façon de créer et de travailler, avec un seul mot d’ordre : ne rien s’interdire. “Notre style est bien plus musical, on a beaucoup évolué par rapport à notre dernier projet” déclare Vidji, avant de poursuivre ses explications : “On a voulu être plus généreux dans ce qu’on donnait, en voix, en musique, en texte. Sur le plan personnel, je me suis rendu compte que j’avais toujours voulu faire ce que j’ai fait sur cet album.” Même son de cloche du côté de Kéroué : “On a trouvé une formule qui nous correspond mieux. C’est quelque chose qui est venu assez naturellement. On a essayé de faire des trucs qu’on a jamais fait avant.” Le rappeur parle même de “bouton qui s’est subitement enclenché” pour expliquer cette transition d’un rap boom-bap axé sur le kickage à un style bien plus musical et aérien, en accord avec les aspirations de son époque. Une évolution artistique nécessaire pour Fixpen Sill, qui a enfin réussi à s’affranchir du regard des grands noms de “l’ancienne école.” Vidji développe sa réflexion dans ce sens : “J’ai toujours rappé avec la sensation de devoir faire mes preuves, de montrer ma légitimité. Je devais arrêter d’être quelqu’un que je ne suis pas.” Ces résolutions nouvelles prennent ainsi tout leur sens sur FLAG.

Pour construire ce projet qui sonne comme une renaissance, les deux hommes ont par exemple réalisé de nombreuses sessions studio en solo, l’un répondant alors à l’autre avec ses créations. Cette union par l’isolation a porté ses fruits et permis au duo de se renouveler comme jamais auparavant, tout en conservant les éléments qui ont fait la force du duo, à l’image des refrains planants de Vidji et des couplets plus agressifs de Kéroué. À les entendre revenir sur la genèse de leur projet, on se rend compte que le duo est plus huilé que jamais. Conscient de s’être longtemps fermé à un certain public, Fixpen Sill veut aujourd’hui toucher un public plus large et définitivement s’éloigner de l’époque 5 Majeur. Une expérience que Vidji et Kéroué regardent avec une certaine tendresse, mais sans toutefois ressentir aucune nostalgie : “C’est un projet dont les gens nous parlent encore cinq ans après. C’est flatteur, mais on a tourné la page. C’est une fierté de savoir que ce projet reste une pierre angulaire d’un certain courant.” Depuis, le duo se satisfait d’avoir assisté à un véritable “lâcher prise” dans le rap français. Une émulation artistique collective, qui a poussé Fixpen Sill dans son entreprise de réinvention.

“Même si on est globalement tous potes, il y a forcément un aspect de compétition” lâche Vidji, attendant que Kéroué prenne le relais de la réflexion, “le sol est complètement mouvant, plus rien n’est figé“, renvoyant une nouvelle fois la balle à son camarade. “J’écoute vraiment tout ce qu’il se fait actuellement” confie Vidji. “Je suis super curieux de voir les centaines de sous-genres qui se sont développés dans le rap français depuis quelques années. Prends un gars comme Koba LaD. En première écoute, je n’étais pas du tout dedans car c’était quelque chose de radicalement différent, qui ne me parlait pas. Ça ne m’a pas empêché de me prendre des claques plus tard, en le redécouvrant sur d’autres titres.” L’émergence de cette nouvelle vague a également fait comprendre à Fixpen Sill que les règles n’étaient plus les mêmes, tant sur le plan artistique que commercial. “Maintenant, faire disque de platine c’est la référence, c’est la base. Quand on a commencé, des platines, il n’y en avait quasiment pas dans le rap” se remémore Kéroué. Le groupe breton a ainsi du recalculé son positionnement, afin de s’inscrire durablement dans le temps.

Conscient d’avoir raté certains tournants importants dans une carrière, le tandem est désormais prêt à conquérir de nouveaux territoires. Leur récente signature en label va dans ce sens. Outre les avantages qu’offrent une telle opportunité, le duo a enfin trouvé un cadre de travail qui lui correspond. Et qui lui a parfois fait défaut. Fixpen Sill se réjouit en tout cas d’évoluer dans de nouvelles sphères, qui leur permettent de pousser leur univers artistique à son paroxysme. Dernière exemple en date ? Le sublime clip de “Bye Bye” en featuring avec Lomepal, la pochette de FLAG réalisée par l’incontournable Raegular ou encore le mélancolique visuel de ‘Le Piège.’ “On a décidé d’être plus intransigeant et de faire moins de concession avec notre image” tranche Vidji. “Par exemple, ‘Le Piège’ est un clip quasiment autobiographique qui représente la vie qu’on pouvait mener dans le Finistère. On a enfin assumé notre différence et on s’est convaincu qu’on était pas des ploucs.”

Toujours aussi souriants et ouverts alors que notre entretien se rapproche inexorablement de son terme, les deux compères partagent un dernier instant de recul sur le chemin parcouru depuis leur début. “On a fait ce qu’on avait à faire” glisse doucement Vidji, tandis que, comme à l’accoutumée, Kéroué appuie les propos de son binôme : “Ce projet arrive à un moment décisif et crucial pour nous. Il fallu être patient, c’est vrai. Mais rien pour ça, pour pouvoir proposer une oeuvre comme FLAG, je suis content qu’on ait traversé tout ça à deux.” Cohérent, maîtrisé et profond, ce nouvel album est en tout cas un beau manifeste de la maturité artistique nouvelle de Fixpen Sill. Ces deux années de travail ayant atteint leur conclusion en ce vendredi 4 octobre, la question de l’après se pose déjà. “On va défendre notre projet sur la route. On ne l’a jamais caché, on a toujours voulu jouer devant plus de monde et FLAG peut peut-être nous le permettre” confie Vidji. Silencieux, Kéroué rajoute, les yeux habités par une confiance certaine : “On ne s’interdit rien.” Les deux hommes et leur musique sont libérés. Enfin.

L’album FLAG de Fixpen Sill est à (re)découvrir ci-dessous.

Photo : @charlyfrt pour Views

Propos recueillis par Julien Perocheau et Mathias Vivier