Il est temps que les artistes arrêtent de se moquer de leur public avec les rééditions

Ce n’est pas compliqué de prendre une mauvaise habitude. C’est à l’inverse plus dur de la perdre. Cette vérité générale, le rap français la confirme chaque semaine depuis quelques temps déjà. Chaque vendredi pour être précis. Depuis plusieurs années, une véritable frénésie semble s’être en effet emparée du courant musical le plus populaire de l’Hexagone. Une idée en apparence bonne, mais qui, au fil du temps, se révèle être un véritable fléau : la réédition d’album à l’ère du streaming. Il ne se passe quasiment plus une semaine sans qu’un artiste ne vienne dévoiler une version “updatée” de son dernier projet en date, sous des appellations qui terminent souvent par “2.0” “Deluxe.” Les objectifs de cette manoeuvre sont multiples et peuvent être classés en deux catégories. Sur le plan artistique, une réédition d’album permet d’étoffer une oeuvre, de la complexifier ou encore de la diversifier. Par dessus tout, elle permet aux fans de découvrir de nouvelles créations, des morceaux qui auraient certainement fini à la poubelle dans un passé pas si lointain. Soit.

Sur le plan commercial, une réédition est la garantie d’une relance des ventes de son album et donc de prolonger sa durée de vie. L’essoufflement habituel survenant après les deux premières semaines d’exploitation d’un projet n’est ainsi parfois plus qu’un lointain souvenir, comme un certain Nekfeu l’a récemment prouvé avec son Expansion de Les Étoiles Vagabondes, bien que ce ne soit pas réellement une réédition mais d’avantage “deux albums en un”. Outre l’attrait purement financier d’une réédition, qui constitue assurément son but premier, ce procédé permet également de replacer un artiste sous les projecteurs médiatiques pendant quelques jours. Comme un virus, la réédition s’est propagé à vitesse grand V dans le rap français. Ces dernières semaines, on pensera par exemple au 5 morceaux inédits rajoutés sur BLO par 13 Block, L’Affranchi Deluxe de Koba LaD et ses 4 nouveautés, la surenchère de Lomepal avec Amina, sa poignée d’inédits, de versions live et d’instrumentales. Le dernier cité joue par ailleurs à fond la carte de la surenchère, en ayant dévoilé son Jeannine updaté quelques jours seulement après la parution du live acoustique 3 Jours à Motorbass.

Découlant de la toute puissance du rap dans les charts, la pop urbaine n’échappe pas au phénomène, Aya Nakamura ayant publié vendredi dernier Nakamura Deluxe. Cette semaine, c’est la reine des charts Angèle qui aura le droit à la réédition de son BROL, BRO La suite, agrémentée de 6 nouveaux titres. Plus ambitieux encore, OrelSan avait quasiment doublé son album La fête est finie l’an dernier, grâce à Épilogue et ses 11 titres (contre 14 pour la première version). C’est un fait, la majorité des mastodontes des artistes français ont désormais recours aux rééditions. Connus de tous, les objectifs artistiques et économiques de cette pratique n’en donnent toutefois pas la cause. Elle tient en un mot : streaming. En juillet 2016, la SNEP (Syndical National de l’Édition Phonographique) redistribue les cartes des charts, en officialisant la comptabilisation des chiffres de streaming pour calculer le volume de ventes d’un album. Pour aller chercher des certifications, un artiste se doit désormais d’être puissant sur les diverses plateformes et d’accumuler les millions d’écoutes.

Les projets s’allongent, souvent au détriment de la qualité globale, mais au bénéfice des chiffres de ventes. Plus un projet est étoffé, plus il comporte de titres, plus son nombre d’écoutes sera élevé. Et c’est là que la réédition intervient. Elle peut ainsi venir raviver l’engouement autour d’un projet des mois après sa sortie ou à l’inverse, surfer sur son succès immédiat pour rajouter de nouveaux titres, et donc de nouveaux streams. Plus que l’intérêt artistique souvent très limité de ce procédé, sa relative malhonnêteté est particulièrement dérangeante. De nombreuses rééditions sont par exemple trop longues, proposant parfois plus de 10 nouveaux titres et s’apparentent ainsi à des nouveaux projets déguisés. Nous faisons alors face à du gonflage de statistiques dans les règles de l’art, sans avoir à craindre les résultats d’une première semaine, étant donné qu’on parle ici d’un projet déjà sorti. Parallèlement à ces “faux nouveaux projets”, certains artistes font le choix de l’économie, comme PNL avec les 4 nouveaux titres de Deux Frères rapidement tombés dans l’oubli (par rapport à leurs standards habituels), Lomepal sur Flip Deluxe (seulement 3 morceaux inédits) ou encore Nekfeu sur Feu Réédition et ses 8 tracks pour… 8 instrumentales. La légitimité de ces rééditions est ainsi pour le moins questionnable.

Même si quelques contre-exemples existent, comme les excellents Futur 2.0 de Booba, sorti pile un après Futur, et Or Noir (Part II) de Kaaris, les rééditions sont trop souvent de pures et dures stratégies commerciales, uniquement destinées à générer encore plus d’argent sous couvert de générosité artistique. Les États-Unis ne sont pas épargnés par cette pratique, en atteste la récente réédition scandaleuse de l’album ? de XXXTENTACION. Présenté en trois volumes, ce projet contient d’innombrables remixes, instrus et même des notes vocales de l’artiste décédé en 2018. Tout est bon pour augmenter le nombre de pistes et donc, le nombre de streams. L’hyper-productivité ambiante et la toute puissance du streaming amènent les artistes et leurs labels à enchaîner les sorties de projet. De par sa nature, la réédition s’impose donc comme un entre-deux parfait entre un silence musical pouvant causer du tort à une carrière et l’aventure que représente la conception d’un nouveau projet. Ce n’est toutefois pas une raison pour proposer des nouveaux tracks médiocres et insipides à son public, dans le seul but de regonfler les streams d’un projet ainsi que de faire la chasse aux certifications. Cette mauvaise habitude a assez duré.