Chaque année, le même phénomène se produit sur les réseaux sociaux suite aux NRJ Music Awards : les fans de rap se plaignent des résultats de l’émission. Une émission qu’ils ne regardent pas, dont ils ne sont pas la cible et dont tout le monde, ou presque, se fiche dans la sphère rap. Il est donc peut-être temps de changer de disque.
Hélène Ségara, Tina Arena, David Hallyday, Mylène Farmer ou encore Whitney Houston, si cette liste d’artistes ressemblent à la playlist de vos parents, ce sont surtout les vainqueurs des premiers NRJ Music Awards en 2000. Cette première édition donne le ton de ce qu’est et ce qu’a toujours été le programme diffusé sur TF1 : une célébration de la chanson et de la pop françaises et internationales. Si ces dernières années, on pourrait croire que l’émission a fait un pas en avant pour se rapprocher du rap, c’est une grosse illusion. Ce sont surtout les artistes récompensés (Gims, Black M, Big Flo & Oli…) qui ont fait en sorte de convenir aux standards lisses et édulcorés du programme qui se doit coûte que coûte de plaire aux enfants comme aux parents.
Hier soir, on pouvait donc lire quelques tweets du type : “Ahahahah et PNL c’est un groupe turque ?” ou encore “Booba, Sch, Ninho, Vald, PNL et j’en passe mdrrr on doit pas écouter ni être sur la mm planète que ces awards di mierda“. Si le fond de ces tweets est vrai, on est obligé de rire en imaginant à quoi ressemblerait la cérémonie si ces artistes étaient récompensés et que NRJ jouait à fond la carte du rap. Ademo et N.O.S. enverraient leur singe Mowgli chercher la récompense, Vald viendrait en claquettes et montrerait sans doute qu’il se fout prodigieusement de la cérémonie et enfin, Ninho viendrait chanter en live un morceau où il parle probablement du bendo. Non franchement, si on concentre deux minutes, on comprend bien pourquoi les NRJ Music Awards font de l’entre soi. Et même si ça n’empêche pas l’émission d’être très peu intéressante, il est difficile de leur en vouloir. D’autant que si on regarde le nom des récompenses de plus près, les mentions “rap” ou “musique urbaine” n’apparaissent pas. L’émission n’essaye donc même pas de vendre une quelconque légitimité sur le sujet.
Aussi longtemps que le programme sera organisé par NRJ, il récompensera les artistes “amis” de la radio qui rentrent dans un moule facilement vendable et inoffensif dans le propos. Et s’en indigner ne changera pas grand chose si ce n’est illustrer le complexe d’infériorité de certains fans de rap face à la pop ou la chanson française. Mais au moins, ces critiques inlassables révèlent d’un problème plus profond, propre au rap français et sa structure : Quand aux Grammy Awards 2014, Macklemore & Ryan Lewis battent très injustement Kendrick Lamar pour le prix de l’album rap de l’année, les BET Hip Hop Awards sont là pour corriger le tir, ou au moins faire un peu contrepoids, et récompenser le rappeur de Compton dans une cérémonie légitime. C’est bien là le fond du problème, aucune cérémonie française légitime n’existe pour récompenser le genre musical le plus populaire du pays. Et ça, ce n’est clairement pas de la faute des NRJ Music Awards mais bien du rap et de ses puissants, eux qui n’ont jamais assumé (ou souhaité assumer) cette responsabilité.
Il y a plus de deux décennies déjà, Ill disait sur le légendaire “Retour aux pyramides” : “Faut qu’on s’organise, qu’on crée nos propres trucs” C’est sans doute, aujourd’hui encore, la direction dans laquelle il faut regarder. Cracher sur une cérémonie qui n’a jamais eu la légitimité pour parler rap, et qui ne l’a jamais revendiqué, n’y changera rien. Aux mots les actions ?