Alors que les fans attendent toujours ce qui doit être l’ultime album de Childish Gambino, le rappeur se mure dans le silence. Comme s’il avait déjà fait ses adieux à l’alter-ego musical qu’il s’est construit il y a de cela 10 ans. Sa dernière tournée mondiale, en forme de triomphe, l’a pourtant consacré comme l’un des artistes hip-hop les plus populaires des dernières années. Un statut qui l’a fui pendant longtemps. Désormais reconnu par la profession et admiré par des millions de fans à travers le monde, Glover n’a en effet pas toujours connu une telle réussite. Il suffit de se rappeler des critiques assassines de la part de la presse spécialisée suite à la sortie de Camp, le premier album de Childish Gambino en 2009. Le très réputé Pitchfork avait notamment décerné la note de 1.6/10 au disque, critiquant vivement le flow, la voix et les textes de Gambino. À l’époque en pleine lumière grâce à son rôle dans l’excellente série Community, Donald Glover n’est pas pris au sérieux par une grande partie de la critique. Considéré comme un sous-Kanye West, il souffre également de la comparaison avec Drake, les deux hommes s’étant fait connaître par un rôle à la télévision avant de se lancer dans le rap. Cette mauvaise réputation, Because the Internet va vite la changer.
Deux ans après la sortie du mitigé Camp, sorte de cri du coeur d’un artiste turbulent et encore immature, Childish Gambino se sait attendu au tournant. En 2013, il officialise sa collaboration avec la chaîne de télé FX, pour écrire, produire et jouer dans une série sur le milieu du rap dans le berceau de la trap. L’acte de naissance de la géniale Atlanta. Autre décision cruciale, Donald Glover quitte Community, la série qui l’a révélé au grand public. Le but de la manoeuvre qui brise le coeur des milliers de fans de la série créé par Dan Harmon ? Se concentrer sur la carrière musicale de Childish Gambino. Comme s’il avait quelque chose à se prouver, après avoir séduit le monde de la comédie. En 2012, le natif d’Atlanta passe donc en album mode et il disparaît subitement des réseaux sociaux. Un choix paradoxal pour un artiste préparant un projet sur la culture Internet. Childish Gambino loue le manoir de Chris Bosh, l’ancienne gloire du Heat de Miami et convoque plusieurs collaborateurs, son producteur de toujours Ludwig Göransson en tête. Inspiré par les règles établies par Kanye West lors de l’enregistrement de My Beautiful Dark Twisted Fantasy à Hawaï, Childish Gambino crée lui aussi sa charte de bonne conduite : Réseaux sociaux bannis, début du travail avant 10 heures du matin, chaussures interdites…
Le 4 octobre 2013, Childish Gambino fait son retour public en annonçant que l’enregistrement de son nouvel album était terminé. La sortie de ce second projet est prévu pour le mois de décembre, mais cette date ne convient pas à son label de l’époque Glassnote Records. Un avis qui ne plaît pas à l’aspirant rappeur : “Ils m’ont dit que ce n’était pas un album pour la période des fêtes et que je n’étais pas un gros artiste. S’ils n’avaient pas accepté de le sortir à ce moment là, je l’aurai sorti moi-même en indépendant. À quoi bon attendre ? J’avais l’impression que c’était le seul moment où les gens pouvaient l’écouter. Le mois de décembre est parfait. Les albums qui ont eu un grand impact sur moi, je les ai écouté quand j’étais tout seul et que tout était calme autour. À cette période de l’année, les étudiants rentrent dans leur famille, tout est fermé, donc c’est le moment idéal pour écouter un projet et être en phase avec soi-même.”
Le 10 décembre 2013, Because the Internet voit donc le jour. L’album intègre le top 10 du Billboard 200 à la septième place et se retrouve nommé aux Grammy Awards dans la catégorie meilleur album rap. La presse spécialisée accueille également Because the Internet avec beaucoup plus d’enthousiasme que son prédécesseur. Du côté des fans, le son de cloche est identique. Les 19 titres de Because the Internet permettent à Childish Gambino de passer un cap en terme de notoriété, mais surtout, d’être désormais pris au sérieux. Le “baby Kanye” s’est fait un nom dans le rap. Dense, complexe, ambivalent, le second album de Childish Gambino est un voyage dans la psyché contrariée d’un enfant d’internet, gavé à la pop culture et dépendant des réseaux sociaux. Accompagné par des invités de choix, comme Chance the Rapper et Jhené Aiko, Childish Gambino livre ici un projet abouti et surtout bien plus cohérent artistiquement que Camp. S’il ne révolutionne pas le rap américain, allant puiser des inspirations chez Kanye West, Drake ou encore Frank Ocean, Because the Internet est une vraie réussite.
Profond et souvent sombre, le deuxième long-format de Donald Glover réussit à proposer des tubes extrêmement efficaces à l’image de “I. The Worst Guys” ou “III. Telegraph Avenue”, tout comme des titres où la mélancolie prédomine, comme sur les sublimes “Flight of The Navigator” , “3005” et “II. Shadows”. Contrairement à beaucoup d’autres, Donald Glover ne s’est pas fait collé une étiquette “génie” dès son premier instant de gloire. Ses choix artistiques ont prouvé sa capacité hors-norme à évoluer et à grandir, sans jamais se renier. Cette instabilité pourrait néanmoins être vaine si elle n’existait que pour cacher un manque de profondeur dans l’oeuvre de Glover. Il suffit de se repencher sur l’univers et l’histoire contée sur Because the Internet pour se rendre compte du contraire. Conçu pour être la bande-originale d’un scénario de 72 pages (disponible gratuitement ici) et transposé à l’écran avec le moyen-métrage Clapping for the Wrong Reasons, Because the Internet est assurément l’album rap le plus abouti de la carrière de rappeur de Donald Glover.
Ce projet est à (re)découvrir ci-dessous.
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