Personne ne prendra de risque en avançant que la ligne Air Max est la plus importante de l’histoire des sneakers. De la révolution Air Max 1 à la récente Air Max 720, Nike a su séduire le public tout au long des trente dernières années. Devenues des objets culturels à part entière, les paires de la gamme qui met l’air à l’honneur possèdent des milliers d’histoires à raconter. L’une des plus fascinantes est assurément celle de la Air Max 90, l’une des Air Max les plus populaires de tous les temps, tout en ayant été l’un des marqueurs stylistiques des nineties. La paire, qui s’appelait Air Max 3 jusqu’à l’an 2000, est en effet celle qui a assis la domination de Nike sur le secteur du footwear lifestyle. Ayant désormais atteint le statut de paire culte, la Air Max 90 marque un tournant important dans l’histoire de Nike. Retour sur une fascination qui dure depuis bientôt 30 ans.
Quelques années avant la sortie de la Air Max 1990, la marque au swoosh n’est encore qu’un outsider. Nike veut combler son retard sur ses concurrents dans le secteur du running. La firme de Beaverton va alors recruter l’homme qui s’apprête à changer son destin : Tinker Hatfield. Ce diplômé en architecture est également un grand amateur de running, qui a même été coaché à l’université par Bill Bowerman, le co-fondateur de Nike. Comme quoi, certaines unions semblent inévitables. En 1985, Hatfield commence à réfléchir à un modèle de running qui pourrait faire passer la marque au swoosh dans une autre dimension. En visite à Paris, le designer passe devant le Centre Pompidou. Le côté “tout apparent” de la structure du célèbre musée parisien va alors donner à Hatfield l’idée de faire de la bulle d’air permettant d’assurer un bon amorti la pièce centrale de sa running. L’élément fondamental sur lequel elle repose. La nouvelle technologie Air-Sole se voit ainsi exposée au grand jour via une ouverture dans le talon. La gamme Air Max est née.
En 1987, la Nike Air Max 1 voit le jour et rencontre un succès phénoménal. Le concept de la ligne Air est alors à la fois audacieux, clivant et inspirant pour la jeune génération. Le carton de la première sneaker mettant en avant sa bulle d’air convainc Nike de réitérer l’expérience trois ans plus tard, en 1990. Cette fois, Tinker Hatfield souhaite pousser ses expérimentations encore plus loin. L’objectif est clair : développer cette jeune ligne sneaker à succès, en la faisant évoluer sur les plans techniques et stylistiques. Le créatif américain implante davantage d’unités d’air dans la semelle de sa nouvelle paire, affirmant un peu plus le caractère innovant de son idée. La sortie de la Air Max 90 doit ainsi être vue comme l’affirmation de la suprématie nouvelle de Nike. En d’autres termes, maintenant que la marque est au sommet, c’est elle qui doit dicter les règles.
Sur le plan visuel, on retrouve donc une bulle d’air bien plus volumineuse sous le talon. L’amorti n’en est que meilleur pour les runners. Pour les sneakerheads, la Air Max 90 brille de par son aspect élancé, son look agressif et sa ligne de fuite soulignant la notion de vitesse et de mouvement. La nouvelle silhouette du swoosh va plus loin que la Air Max première du nom, en mettant encore plus en avant sa technologie Air-Sole. Si la Air Max 1 avait ouvert une porte, la Air Max 90 l’enfonce carrément. Pour beaucoup de sneakerheads de l’époque, la nouvelle silhouette de Nike rassemble les éléments très sobres qui avaient contribué au succès de la AM1, tout en modernisant et en dynamisant ce shape dans un équilibre réfléchi et parfaitement exécuté. D’abord pensée comme une célébration de la réussite de la Air Max 1, la 90 en profite pour repousser les limites de son design.
Au niveau du coloris, Nike fait mouche d’entrée de jeu. Si la Air Max 1 était restée relativement sobre à ses débuts, sa petite soeur opte pour un colorway “Infrared” en adéquation totale avec l’esthétique flashy du début des années 90. Les couleurs sont criardes, tape à l’oeil. En clair, elles se marient parfaitement à l’identité agressive de la paire. Le public est conquis et la marque au swoosh tient son nouveau best-seller. Pour de nombreux spécialistes de l’époque, la sortie de la Air Max 90 permet à Nike de réunir l’aspect performance et l’aspect culturel d’une sneaker pour la première fois de son histoire.
Car si elle brille sur les plans techniques et esthétiques, c’est bien de par son impact culturel que l’on continue de parler de la Air Max 90 trente ans après sa sortie. Dès sa commercialisation, la silhouette de Nike séduit aussi bien la rue que les milieux de cols blancs, le président américain George Bush Sr en tête. La marque ira même jusqu’à créer une édition unique de la Air Max 90 pour le chef d’état américain, qui la portera régulièrement lors de ses sorties running. Néanmoins, c’est le monde de la musique qui offrira ses lettres de noblesse à la Air Max 90. Loin de l’univers lisse du running, la nouvelle silhouette du swoosh devient extrêmement populaire au sein des cultures alternatives de l’époque. Il se murmure alors que la Air Max 90 est un allié de choix pour aller en rave party, pour se déchaîner en boîte de nuit.
Elle se retrouve successivement adoptée par les mouvements Grime, Gabber, Dubstep, Drum n Bass… La Air Max 90 n’est toutefois pas une paire associée à un courant musical. Son impact sur les contre-cultures de l’époque est tel qu’on associe davantage un courant donné à la paire. Tout comme la musique, la sneaker de Nike est un symbole de diversité et propose des déclinaisons à même de satisfaire tous les goûts. N’importe qui peut y trouver son compte. Les artistes, les fans et les influenceurs de l’époque succombent tous au shape agressif de la Air Max 90, une paire qui s’ancrera d’ailleurs dans l’ADN de la youth culture de certaines villes européennes, Berlin, Londres et Amsterdam en tête. En France, la Air Max 90 séduit rapidement la youth, avant de s’imposer comme une pièce de choix pour de nombreux rappeurs franciliens de l’époque. Elle accompagne ainsi très bien les artistes émergents, souvent issus des sous-genres du rap, mais aussi des cultures alternatives. Surtout, la Air Max 90 pose les bases pour le futur succès de la TN dans l’Hexagone, qui poussera encore plus loin l’identité agressive et nerveuse de la paire.
Souvent associée à un style urbain, sombre, parfois punk, elle se marie parfaitement avec des tracksuits, des baggy, des hoodies amples ou encore des grosses vestes en cuir. Là encore, les possibilités d’associations semblent sans limite. Afin de toucher un public encore plus vaste, la Air Max 90 se voit déclinée dans de nombreuses versions hybrides, retravaillées dans des collaborations (notamment avec KAWS, Patta ou atmos) et rééditées en édition spéciales. Trente après sa sortie, c’est toutefois le mythique colorway Infrared et les autre versions OG de la paire qui ont les faveurs des sneakerheads. À jamais associée au style des nineties, la Air Max 90 possède un héritage qui dépasse largement le cadre de cette décennie. C’est en effet la paire imaginée par Tinker Hatfield qui va enclencher le mouvement vers l’augmentation progressive de la bulle d’air, qui aboutira des dizaines d’années plus tard sur la conception de la VaporMax ou de la Air Max 720.
Depuis trois décennies, Nike prouve qu’elle est une marque capable de pousser ses esprits créatifs dans leurs retranchements. De son côté, la Air Max 90 a affirmé que les idées pré-conçues et les normes n’avaient pas nécessairement leur place dans le domaine du design. En 2020, Nike célèbrera les 30 ans de sa paire culte. Et malgré son âge, elle n’a peut-être jamais été autant d’actualité. Ce n’est pas les nombreuses éditions inédites qui sortiront au cours des prochains mois qui diront le contraire. La trentaine, ça se fête.