F430 est prêt à passer à la vitesse supérieure

Entretien.

F430
Photo : Alex Mouchet

Plus que n’importe quel autre genre musical, le rap est un art profondément ancré dans son environnement. La West Coast a donné naissance au G-Funk, Atlanta a fait exploser la trap, tandis que la moiteur de Houston a enfanté le Cloud rap. Ce constat peut également s’appliquer à la France, où un quartier en particulier a contribué à l’essor des sonorités vaporeuses du dernier courant cité. Une enclave du 91, qui vit selon un mantra connu de tous : QLF. C’est en effet depuis la cité des Tarterêts que le rap nébuleux et planant a pris d’assaut la France en milieu de décennie. Bien évidemment, le fer de lance de ce mouvement n’est autre que le duo emmené par Ademo et N.O.S, PNL. Les deux frères ne sont toutefois pas les seuls acteurs de la scène musicale de Corbeil-Essonnes. Le succès phénoménal du tandem francilien a en effet mis en lumière toute une galaxie d’artistes des Tarterêts, la “Galaxie QLF.” De MMZ à S-Pion, en passant par TDA ou encore Béné, la cité du 91 possède un vivier conséquent de voix auto-tunées. Parmi ceux-là, on retrouve un autre duo, en pleine ascension depuis plusieurs mois : F430.

Loin des Tarterêts, c’est dans le cadre cozy et branché de la célèbre Brasserie Barbès que nous donnent rendez-vous Jet et Sensei, les piliers de F430. Les deux hommes s’apprêtent alors à dévoiler leur nouvel EP Street Quality, un second projet en seulement un an. Le 11 janvier dernier, F430 publiait en effet Thank You God, un premier album composé de 22 morceaux. Très actif ces deux dernières années, le duo a toutefois mis du temps avant de se lancer dans le grand bain. “Historiquement, on est les derniers de la galaxie QLF à avoir mis un pied dans l’industrie” confie Sensei, ajoutant que F430 est avant tout précurseur du style “full auto-tune.” Le groupe voit le jour en 2014, non sous la forme de duo, mais en tant que collectif. “On avait un home studio au quartier, on venais souvent kicker entre potes. Tout a commencé comme ça. C’était vraiment un lieu pour déconner avec ses gars, mais on s’est vite aperçu qu’il y avait du talent à droite à gauche” se remémore Sensei.

Jet prend le relai : “Au départ, F430 n’avait même pas de membres fixes. Si tu traînais avec nous, tu venais au studio, tu posais sur une prod’ et tu faisais partie de notre groupe. Il n’y avait aucune structure.” Venus au rap en écoutant des classiques hexagonaux comme Booba, Rohff ou encore Doc Gynéco, les deux hommes sont surtout imprégnés par la scène rap américaine contemporaine. “Le rap US old-school nous parle bien sûr, mais ce qui nous a poussé à nous lancer c’est des artistes comme Chief Keef ou Migos. Globalement, ce sont tous les artistes américains qui ont émergé entre 2012 et 2013, avec cet auto-tune partout, ces prod’ planantes” confie Jet. Les balbutiements collectifs laissent finalement place à un projet musical structuré, porté par le duo Sensei-Jet. “On est parfaitement complémentaire” glisse le premier cité. “Au premier regard, on pourrait pourtant croire que tout nous oppose. Jet a un côté très spontané, moi je suis plus cérébral. Si l’un et l’autre sont trop poussés, ce n’est pas bon pour ta musique. Mais nous deux ? On se complète totalement.”

Photo : Alex Mouchet

Si Jet assume son goût pour le kickage et Sensei avoue sa passion pour l’écriture, le duo confie ne pas avoir de schéma de travail rigide, préférant laisser place à l’inspiration qui découle d’un morceau. Dès sa formation définitive, le duo se met à enchaîner les sorties singles et à développer son style planant et éthéré, dans la plus pure tradition des Tarterêts. “Les premiers à avoir ramené ces sonorités en France ont gagné. Ces gars là, c’est PNL” déclare Sensei. La relation entre les deux groupes remonte à l’époque du studio partagé à Corbeil. C’est là-bas que Sensei rencontre Ademo, un “bousillé de travail” comme il l’expliquera quelques années plus tard. En 2015, F430 apparaît alors sur “Que La Mif”, extrait du premier album de Le Monde Chico, puis assure la première partie d’un des Bercy de PNL en 2017. Une expérience marquante pour les deux artistes : “On était un peu déconnecté quand on est monté sur scène, on a vécu le truc à fond. C’est une fois, quand tu descends et que tu retournes backstage, que tu te dis ‘Wow c’est ça de jouer devant 20 000 personnes ?'” se rappelle Sensei.

S’ils savent ce qu’ils doivent à PNL, le duo F430 veut avant tout exister par lui-même. “C’est une vraie problématique” concède Sensei, qui se montre toutefois optimiste pour la suite : “Cette proximité avec eux, ça nous rend plus difficilement identifiable auprès du public. Mais on a notre singularité musicale, avec le temps le public va la voir et la comprendre.” Pour lui, il est également important que l’environnement proche ne les voit pas comme un simple héritage de PNL. “Aux Tarterêts, les gens savent qu’on était là en même temps qu’Ademo et qu’on a quasiment début ensemblé. Ceux qui sont là depuis le début savent” glisse-t-il non sans fierté. Jet rajoute que si la musique a toujours été leur passion première, son compère et lui ont tardé à franchir le pas, à être sérieux et à envisager ça comme un métier à part entière. Les deux artistes ont toutefois grandi, et leur musique avec. Après un premier album réussi en début d’année, F430 conclue donc 2019 avec un EP de 6 titres.

“On a commencé l’année, on la finit !” s’enthousiasme Jet. “On a essayé de bien identifié ce qui n’avait pas fonctionné sur l’album, pour ne plus commettre les mêmes erreurs.” Pourtant, malgré ses bonnes résolutions, le groupe explique être retombé dans certain travers bien connus. “Vouloir clipper seulement 2 ou 3 semaines avant la sortie d’un projet, c’est une connerie, on le sait. Mais on l’a encore fait pour ce projet” confie Jet en rigolant. Sur l’album précédent, le single “American Dream” avait par exemple été composé, écrit et enregistré en quelques heures. “On a fait le beat la veille pour le lendemain” se rappelle Jet, avant que Sensei ne prenne le relai : “Moi j’étais au taff, je bossais de nuit en plus. Il m’a envoyé la prod’ et je me suis mis à écrire.” S’ils apprécient ces rush “d’adrénaline créative”, les deux rappeurs ne sont pas toutefois pas des adeptes du travail dans l’urgence.

Photo : Alex Mouchet

Si ce nouvel EP confirme les belles promesses entrevues sur Thank You God, F430 veut avant tout faire plaisir à une fanbase déjà conséquente. “On veut ramener quelque chose de frais onze mois après la sortie du projet. À la base on partait sur un single et on s’est finalement retrouvé avec un projet complet. On a décidé de se lancer dessus il y a 6 semaines max” révèle ainsi Jet. Néanmoins Street Quality doit aussi être vu pour ce qu’il est : un projet de transition, qui doit amener F430 vers un second album prévu pour 2020. “Ça ne montre pas encore totalement ce sur quoi on va arriver notre prochain album” nuance Jet, avant que Sensei n’ajoute que le duo est déjà pleinement concentré sur ce deuxième long-format.

Outre ce nouvel album, l’autre grand axe de développement identifié par Jet et Sensei concerne les clips du duo. F430 confie ainsi vouloir s’éloigner de leurs vidéos narratives habituelles, pour s’orienter vers quelque chose de nouveau. “J’ai eu la chance de bosser sur les clips de ‘Naha’ et ‘Onizuka’, ça m’a appris énormément sur la production, sur les obligations d’un tournage… On adore l’univers des films, des séries, des mangas. On veut amener ce côté visuel à notre musique” explique Sensei, avant de dévoiler les nouvelles aspirations du duo : “Le clip de ‘Réel’ donne un petit avant-goût de notre nouvelle direction artistique. On se dirige vers quelque chose comme ça avec notre nouvel album.” Déterminés à poursuivre leur belle ascension, les deux hommes se montrent confiants quant à la suite de leur carrière. Porté par deux projets de qualité, dans la pure tradition des sonorités aériennes du rap des Tarterêts, F430 n’a que trois souhaits pour 2020 : “Santé, prospérité et famille.” QLF, une fois de plus.

L’EP Street Quality est à écouter ci-dessous.

Le clip de “Réel” est à découvrir ci-dessous.