C’est une affaire qui n’en finit plus. Une affaire qui dure depuis 1977, année à laquelle Roman Polanski a été condamné par la justice américaine pour viol sur une mineure de 13 ans. Depuis ce crime odieux qu’il a publiquement admis, ce sont dix femmes qui accusent d’abus sexuels le réalisateur franco-polonais, toujours inscrit sur la liste des fugitifs d’Interpol. Pas plus tard qu’à l’automne dernier, c’est la photographe française Valentine Monnier qui révélait dans les colonnes du Parisien que Roman Polanski l’avait violée et battu en 1975. Elle était alors âgée de 18 ans. Quelques semaines après ces nouvelles accusations d’agression, le réalisateur ne s’est pourtant jamais aussi bien porté sur le plan artistique. Son dernier long-métrage J’accuse a enregistré plus de 1,5 millions d’entrées dans l’Hexagone et a reçu des critiques dithyrambiques de la part de la presse spécialisée. Cerise sur le gâteau, le dernier projet de Polanski vient d’être nommé dans 12 catégories aux Césars 2020, dont celle du meilleur film et du meilleur réalisateur. Un choix qui a du mal à passer auprès de beaucoup, mais qui symbolise toute l’hypocrisie d’un milieu profondément sclérosé.
Quand toute la grande famille du cinéma français s’est unie pour soutenir Adèle Hanael lorsqu’elle a déposé plainte contre le réalisateur Christophe Ruggia, il était facile de penser que le septième art hexagonal vivait son #MeToo. Une prise de conscience collective que les violences sexuelles faites aux femmes dans le cinéma n’arrivent pas qu’aux États-Unis, dans ce pays où Roman Polanski est banni à vie. Alors qu’il ne peut aujourd’hui circuler librement qu’en Pologne, en Suisse et en France donc, le réalisateur continue d’être allègrement protégé par les cercles de gouvernance de notre cinéma. En 2017 déjà, l’académie des Césars l’avait nommé président de cérémonie. Polanski avait finalement renoncé devant le tollé populaire qu’avait provoqué cette décision. Mais trois ans plus tard, le voilà donc en tête des nominations pour J’accuse.
Du côté de l’académie, on ne voit pas où est le problème, comme l’a expliqué ce matin son président Alain Terzian : “Les Césars ne sont pas une instance qui doit avoir des positions morales. (…) Sauf erreur de ma part, 1,5 million de Français sont allés voir son film. Interrogez-les.” Une déclaration qui prouve bien la déconnexion totale des têtes de gondole d’un cinéma français qui n’a définitivement honte de rien. Pas même de porter aux nues un pédophile déjà condamné pour viol et reclus en France uniquement pour ne pas être extradé. La récente affaire Metzneff l’a montré, à l’instar de celle de Weinstein avant elle, des criminels sexuels continuent de bénéficier d’une impunité totale dans les milieux intellectuels et artistiques. Même en 2019. Sous couvert de talent créatif et de présomption d’innocence, Roman Polanski peut donc s’avancer en grand favori de la prochaine cérémonie des Césars.
Le cinéma français se trouve désormais à un tournant. Il ne peut pas à la fois voler au secours d’Adèle Hanael et soutenir un personnage comme Polanski. Il ne peut pas continuer d’accorder des aides de plusieurs millions d’euros à J’accuse et refuser la moindre subvention aux Misérables de Ladj Ly. Membre important de l’Association pour la Promotion du Cinéma (l’organisme qui dirige les Césars), le réalisateur franco-polonais est donc plus que jamais protégé par ses pairs. Mais si le copinage a toujours fait partie du grand jeu des cérémonies de remises de prix, le copinage avec un pédophile avéré est une toute autre histoire. Que l’on soit clair, Roman Polanski ne sera très certainement jamais jugé pour ses actes. De leurs côtés, ses victimes présumées seront condamnées à vivre avec ce poids toute leur vie. La moindre des choses serait donc de ne pas ériger en génie un pédocriminel reconnu. Mais à l’image des nominations des Césars 2020, le chemin semble encore long.