C’est un fait que personne n’ignore, l’industrie de la mode est l’une des plus polluantes au monde. Mais dans un contexte d’urgence climatique, nombreuses sont les marques à avoir pris position en faveur de la protection de l’environnement. On pense notamment à la Fur Free Alliance, cette charte signée par des maisons comme Gucci, Versace, Burberry, Ralph Lauren ou encore Calvin Klein, visant à bannir l’usage de fourrure animale. Pourtant, cette décision ressemble désormais à un simple coup de com’. Ou à un véritable foutage de gueule. Car si la mode mondiale se décide à bannir la fourrure de ses collections, elle n’a jamais semblé autant éprise du cuir. Une matière également de provenance animale.
Le cuir est en effet LA matière en vogue dans la mode actuelle, comme l’ont confirmé les présentations des collections Spring/Summer 20 en septembre dernier, ainsi que les récents défilés Fall/Winter 20. Plébiscité par de nombreux créateurs, le cuir effectue un retour logique du fait de l’émergence des tendances punk et western des derniers mois. Sur le plan purement stylistique, le cuir est un allié de choix pour “casualiser” les silhouettes formelles qui cartonnent depuis quelques mois, comme les costumes, les chemises ou encore les longs manteaux. Ces considérations laissées de côté, il paraît assez dingue qu’en 2020, dans un contexte de prise de conscience écologique, avec autant de moyens technologiques à disposition et de bons matériaux synthétiques, les plus grandes marques continuent de produire du cuir en masse.
Si les militants anti-fourrure ont bénéficié du fait de l’aspect extrêmement graphique de leur lutte (rappelez-vous ces clichés de renards gavés à mort), la lutte anti-cuir animal est nettement moins mise en avant. Pourtant, il s’agit bien d’un désastre écologique. Les premières victimes logiques ? Les animaux. Le cuir que l’on utilise pour produire des vêtements, des chaussures ou de la maroquinerie provient de bêtes diverses et variées, de la vache au porc, en passant par le serpent, le chèvre ou encore l’alligator. Plusieurs ONG ont néanmoins prouvé que certaines tanneries asiatiques se servaient de peaux de chien et de chat pour confectionner des pièces ensuite vendues en Occident. Chaque année, ce sont ainsi 1,4 milliards de peaux animales qui sont utilisées pour fabriquer du cuir.
Les tanneries déversent par ailleurs des milliards de litres d’eau polluée dans les fleuves et les rivières voisines, aggravant encore plus une situation déjà très préoccupante. Outre son impact sur le monde animal et sur l’éco-système dans son ensemble, le travail du cuir représente également un véritable danger pour l’homme. De nombreux produits toxiques sont en effet utilisés dans les tanneries, notamment du chrome, des colorants composé de cyanures ou encore des formes de goudrons. Là encore, des chiffres dramatiques viennent appuyer ce propos. La division allemande de la PETA a par exemple révélé que dans certaines régions d’Asie, seulement 10% des employés de tanneries vivent au delà de 50 ans du fait d’une exposition quotidienne à ces produits chimiques. Le constat est pour le moins terrible.
Selon la marque éthique Minuit sur Terre, les peaux tannées en Asie vendues aux européens représentent une manne financière de 141 millions d’euros par an. Un secteur juteux donc, qui explose encore plus ces derniers mois grâce à la direction prise par les géants de la mode dans leurs dernières collections. L’hypocrisie est donc totale. Ces entreprises communiquent fièrement sur leur engagement écologique, tout en continuant de dégrader la planète. La tendance passerait donc avant tout le reste ? Évidemment que non. Si cette direction peut paraître “logique” pour certaines marques aussi prestigieuses que conservatrices, il est navrant de constater que des marques jeunes, émergentes ou sur le retour se sont mis au cuir au cours des derniers mois, sans véritable raison, si ce n’est de suivre la tendance globale et de s’offrir une image plus luxe.
Difficile de ne pas panser aux dernières créations d’ALYX, une marque longtemps considérée comme une référence en terme de modernité, ou à Bottega Veneta, en plein renouveau créatif sous l’impulsion de Daniel Lee, qui continue néanmoins d’utiliser massivement du cuir. Un label historique comme Balenciaga, malgré un penchant pour l’alternatif et une vraie influence dans les tendances des dernières années, continue également de produire des produits en cuir. Enfin, que dire des signataires de la Fur Free Alliance qui embrassent allègrement la tendance du cuir ? On peut imaginer que ces marques craignent de perdre leurs “habitués”, qui leur échappent néanmoins de plus en plus. Une peur paradoxal pour des labels qui souhaitent dans le même temps conquérir un public plus jeune, et surtout plus concerné par l’écologie.
Si le tableau n’est donc guère réjouissant, il existe toutefois de bons élèves. La mode vegan est en plein essor, tout comme les labels éco-responsables, favorisant les circuits courts et les matières synthétiques. Andrea Crews et Marine Serre mettent l’upcycling à l’honneur dans leurs récentes collections, tandis que le label parisien Rombaut proposent des gammes footwear 100% vegan. Du côté des gros noms, certaines griffes peuvent également servir d’exemples. Depuis plusieurs décennies, COMME des GARÇONS crée de nombreux produits luxe en cuir synthétique, bien que toute la gamme accessoire et footwear du label japonais soit encore constituée de cuir animal. Défenseuse historique la cause environnementale, Stella McCartney réalise de son côté des collections 100% végétales, en utilisant du néoprène, du simili-cuir et des matériaux recyclés.
La prise de conscience globale sur la situation écologique doit amener les géants de la mode à s’inspirer de ces cas concrets. En 2020, les alternatives au cuir existent et doivent être massivement adoptées par les grandes marques. L’hypocrisie a assez duré.