Le moment est historique. Lorsque Jane Fonda ouvre l’enveloppe et prononce le nom du film réalisé par Bong Joon-Ho, elle offre à Parasite son quatrième Oscar de la soirée. Déjà sacré dans les catégories meilleur film international, meilleur scénario original et meilleur réalisateur, Parasite remporte finalement le Saint Graal, l’Oscar du meilleur film. Une première pour un film non-anglophone, qui vient récompenser une oeuvre pour la moins extraordinaire. Et comme si ça ne suffisait pas, le long-métrage coréen est également devenu le troisième film de l’histoire (seulement) à réaliser le doublé Palme d’Or/Oscar du meilleur film. Bong Joon-Ho et ses équipes ont réalisé, à leur manière, ce que les protagonistes de Parasite cherchent à faire tout au long du film : ils se sont appropriés un milieu, en l’occurence Hollywood, qui leur était initialement fermé.
Car si la satire sociale qu’est Parasite a su conquérir le cinéma mondial, c’est qu’il s’agit là d’une oeuvre à la portée universelle. Lorsque l’on s’attarde sur la domination sans partage de Parasite lors des Oscars 2020, on constate qu’elle n’a absolument rien d’illogique. Il était évident que le film de Bong Joon-Ho allait repartir avec le prix du meilleur film international, malheureusement pour l’excellent Les Misérables. Jusqu’ici, pas de surprises. Le long-métrage coréen a ensuite été sacré pour son scénario original, face à des films comme Once Upon a Time in Hollywood, 1917 ou encore Marriage Story. Un choix fort de la part de l’Académie, qui a choisi de récompenser la folie de la narration de Parasite, sa simplicité apparente et ses twists scénaristiques remarquables. Car si le film coréen débute comme une comédie sociale, il explore par la suite de nombreux registres, du thriller au drame, en passant par l’horreur pure et dure. Sa force ? Se balader de genre en genre avec le plus grand brio.
Outre son incroyable richesse en terme de registre, le scénario de Parasite brille également de par son aspect non manichéen. Ici, il n’y a pas de vrais gentils, ni de vrais méchants. Seulement deux familles, l’une riche, l’une pauvre. Ici, tout le monde est à la fois profondément pourri et terriblement attachant. On comprend cette famille dans la galère, prête à s’en sortir par tous les moyens. On comprend ce clan richissime, qui vit dans le confort rassurant de sa prison dorée. Là où le scénario de Parasite, récompensé ce dimanche donc, se montre brillant, c’est dans sa gestion des dynamiques et des rapports de force entre les différents protagonistes du film. Tout est parfaitement juste et bien senti. Comme dit plus haut, on comprend aussi bien les motivations des uns que les aspirations des autres. La lutte des classes a rarement été traitée avec autant d’ambition, de finesse et d’originalité.
Et pour illustrer ce concept de société pyramidale, Bong Joon-Ho offre à son film une mise en scène extraordinaire. Un Oscar de plus pour Parasite, celui de la réalisation. Tout au long de son oeuvre, le coréen parvient par exemple à transformer des lieux en personnages à part entière. Que ce soit la maison luxueuse et glacée de la famille Park ou le taudis des Kim, chaque habitation devient un protagoniste vital à la narration, bien plus qu’un simple décor. Outre le fait d’être des marqueurs sociaux, elles deviennent l’acteur principal de huit-clos efficaces et prenants, qui réinventent brillamment le genre du film de maison. Le jeu sur la verticalité que propose Joon-Ho tout au long de son oeuvre est également fascinant, le réalisateur insistant sans cesse sur les frontières matérielles et immatérielles qui existent entre les différentes classes sociales. Lorsque les Kim partent travailler chez les Park, ils abandonnent leur habitation semi-souterraine pour s’élever vers les beaux quartiers. Et quand ils rentrent chez eux sous une pluie battante, ils redescendent tout au bas de la pyramide, à la place que le déterminisme social leur a attribué.
Pour toutes ces arguments de fond et de forme, Parasite doit être considéré comme une grande oeuvre de cinéma. Néanmoins, tous les grands long-métrages ne remportent pas l’Oscar du meilleur film. Parasite est reparti du Dolby Theatre de Los Angeles avec cette statuette tant convoitée car il possède quelque chose en plus. Peut-être est-ce le fait qu’il s’agit là d’un film d’auteur extrêmement accessible pour le grand public. Peut-être est-ce la partition magistrale de chacun des acteurs présents. Peut-être est-ce ce jeu de massacre jubilatoire qui se met en place au fur et à mesure que le film progresse. Peut-être est-ce la justesse de l’analyse sociale que propose Bong Joon-Ho. Ou bien tout ça à la fois.
Mais si Parasite a autant parlé aux à l’Académie des Oscars, c’est aussi et surtout parce qu’il a été pensé par un amoureux du cinéma et de sa diversité. Très ému au moment de soulever son prix, le réalisateur coréen a rendu un hommage appuyé à chacun de ses compères : “Martin, j’ai énormément étudié vos films à l’école. Je ne pensais pas remporter cet Oscar. Merci Quentin d’avoir toujours parlé de mes films, même quand personne ne me connaissait ici. Sam et Todd, je vais demander une tronçonneuse pour couper cette statuette et la partager avec vous.” Inspiré par les plus grands et auteur d’un film qui fera date, Bong Joon-Ho vient de prouver que le septième art avait encore beaucoup de belles surprises à nous offrir. Son triomphe est aujourd’hui total.