Il y a quelques jours, l’Organisation Mondiale de la Santé redéfinissait le Covid-19 en pandémie. Dans la foulée, Donald Trump décide de fermer les frontières des États-Unis à toute personne en provenance d’Europe, tandis que la NBA suspend son activité indéfiniment. Le lendemain, Emmanuel Macron annonce la fermeture de tous les établissements scolaires en France. Des décisions qui viennent confirmer la gravité de la situation actuelle, tandis que les grandes bourses mondiales continuent de s’effondrer. Avec plus de 126 000 cas d’infection recensés, pour plus de 4600 morts, le coronavirus modifie profondément la vie de millions de personnes à travers le globe. Au delà de l’impact humain de la pandémie, de nombreuses industries se retrouvent actuellement en grande souffrance. C’est notamment le cas des milieux de l’événementiel, du spectacle et du sport, les annulations de concerts s’enchaînant, au même titre que les matchs à huit-clos et des reports de compétitions. Autre industrie particulièrement touchée par cette crise sanitaire : la mode.
Ce secteur est ainsi fortement impacté par le coronavirus, et ce, sur trois points. Le retail tout d’abord, suite à la fermeture de milliers de boutiques en Chine il y a quelques semaines. Une situation exceptionnelle que connaît dorénavant un pays comme l’Italie, dont la population a été intégralement placée en quarantaine. Sur le plan événementiel, toute l’Asie a du renoncer à ses Fashion Weeks. Enfin, l’aspect de la mode le plus impacté par la pandémie de Covid19 est certainement la production, la Chine étant encore et toujours l’atelier textile du monde. Mais si elle fait certes souffrir une industrie entière, la crise du coronavirus peut pousser la mode à devenir plus éthique et surtout plus durable. Cette pandémie doit ainsi agir comme le déclencheur d’une prise de conscience générale, faire comprendre que le système en vigueur n’est plus tenable, que ce soit sur les plans environnementaux et humains.
On distingue deux catégories de marques impactées par cette crise sanitaire mondiale. La première englobe les marques de luxe produisant majoritairement en Europe. Ces grandes maisons, si elles ne sont pas trop impactées par les problèmes de production en Asie, le sont par contre au niveau de leurs ventes, du fait de l’effondrement du tourisme chinois sur le vieux continent. La seconde, celle qui nous intéresse davantage ici, ce sont toutes les enseignes de fast fashion et de prêt-à-porter dont les pièces sont majoritairement fabriquées en Asie. Selon les données officielles, plus d’un quart de l’importation annuelle de vêtements en France provient de Chine. Une importation massive qui représente pas moins de 5,68 milliards de pièces par an. La France, comme de nombreux autres pays occidentaux, est donc complètement dépendante de la production textile asiatique, notamment celle basée en Chine. Une dépendance mise en évidence par la crise du coronavirus.
Interrogé par le média américain Jing Daily début février, l’expert en investissement avec la Chine Xi Yang s’était montré très inquiet pour les groupes disposant de la majorité de leurs usines dans ce pays : “Si les marques n’ont pas diversifié leur production en dehors de Chine, il n’y a pas grand chose qu’elles puissent faire pour réduire les pertes financières à venir. Les usines sont fermées en ce moment et elles ne sont pas prêtes de réouvrir. Et même en cas de réouverture, il n’y a aucune garantie qu’il y ait une main d’oeuvre suffisante pour assurer les commandes ou pour fabriquer les produits selon les standards habituels.” Et si l’épidémie semble désormais sous contrôle en Chine, le mal est déjà fait. Comme l’explique Fashion Network, les marques possédant une clientèle à dominante chinoise et une production basée dans ce pays sont les plus touchées par la propagation du Covid-19.
Cette situation préoccupante devrait pourtant être évitable. La crise actuelle le démontre, les marques européennes auraient tout intérêt à opter pour un sourcing local, au détriment d’une production basée quasi-exclusivement en Asie. Sur le plan financier, produire localement permet par exemple de réduire les frais de port de ses marchandises, mais aussi, de ne pas se retrouver bloqué dans une situation similaire à celle que nous vivons actuellement. Le sourcing de proximité permet par ailleurs aux marques de mieux s’adapter à la demande des consommateurs, de s’éviter des tonnes d’invendus et de réduire son empreinte écologique. Si la Chine, et plus généralement l’Asie, sont imbattables en matière de frais de production réduits, une question se pose : le profit financier peut-il encore passer avant toutes autres considérations ? La réponse est non.
En début de mois, des images saisissantes de la NASA montraient une réduction drastique de la pollution en Chine, les usines fermant les unes après les autres suite à la propagation du coronavirus. Un pays à l’agonie sur le plan environnemental où, il faut le rappeler, 70% des cours d’eau sont pollués par les multiples agents toxiques échappés des teintures et lavages de masse utilisés dans les usines textile. Des usines qui, en plus de dégrader l’éco-système, ne garantissent pas forcément des conditions de travail décentes à leurs employés. Pour Yuki Lo, membre de l’ONG Freedom Fund, de nombreuses grandes marques occidentales ont une attitude complètement irresponsable en termes d’achat et de production, ce qui entraîne souvent des cas d’esclavage moderne afin de satisfaire une demande toujours plus grande chez le consommateur. Selon Lo, c’est tout le système de la mode en tant qu’industrie qui se retrouve vicié :“Il ne devrait pas y avoir de disctinction entre la mode éthique et la mode normale… L’industrie de la mode doit comprendre que des gens sont actuellement exploités pour la faire tourner. De leur côte, les consommateurs doivent aussi s’interroger sur leurs habitudes de consommation, afin de faire des choix d’achats plus réfléchis et surtout, d’acheter moins souvent.”
La crise sanitaire qui frappe actuellement la planète doit donc encourager les marques occidentales à favoriser des circuits courts, des solutions vertes et à suivre une doctrine simple : ne produire que ce qui sera consommé. Produire à l’autre bout du monde, dans des conditions de travail souvent inhumaines et avec des conséquences désastreuses pour l’environnement n’est tout simplement plus viable. La pandémie de Covid-19 a en tout cas déjà obligé l’industrie de la mode à s’adapter et à se réinventer, sur certains points que nous évoquions plus haut. Les Fashion Weeks récemment perturbées ont par exemple poussé Giorgio Armani à organiser un défilé 100% numérique le 23 février dernier. La maison italienne expliquait sa décision en ces termes : “Notre défilé Fall/Winter 2020-2021 sera présenté à huis clos, dans un Teatro vide, en raison des récents développements du Coronavirus en Italie (…) La décision a été prise afin de préserver le bien-être de tous les invités, en évitant qu’ils ne fréquentent des lieux bondés.” Une décision sage, qui pourrait tout à fait inspirer d’autres marques dans un contexte différent de la pandémie actuelle.
En effet, si la mode éthique et durable se développe de plus en plus sur les podiums, le concept même d’un défilé qui nécessite souvent des centaines de déplacements d’individus à travers le globe, des tonnes de matériaux et des composants polluants, pourrait être remis en question dans les années à venir. De leur côté, les acheteurs asiatiques ne pouvant plus se déplacer dans les Fashion Weeks européennes découvrent qu’il est possible de commander les nouvelles pièces en ligne, sans avoir à se rendre sur place. Un pas de plus vers une évolution des mentalités dans l’industrie de la mode, contrainte de s’adapter à la situation sanitaire actuelle. Enfin, pourquoi ne pas embrasser pleinement la tendance de l’upcycling et en faire une norme de la mode internationale ? L’histoire l’a montré, les grandes crises mondiales ont souvent débouché sur des changements radicaux sur les plans sociaux et économiques. Celle que nous traversons actuellement pourrait donc inciter les grands acteurs de la mode à remettre en cause leurs habitudes.
Des pires épreuves peuvent ainsi naître des changements fondateurs, pour l’avenir de la planète comme pour celui de millions de personnes à travers le monde. Les marques textile ont maintenant l’occasion de revoir en profondeur leurs méthodes d’approvisionnement et de production, en s’orientant vers un modèle plus respectueux et surtout plus vertueux. La mode s’est pour l’instant contenté de réagir à la crise du coronavirus. Elle doit désormais passer à la vitesse supérieure et prendre les décisions qui s’imposent pour changer, cette fois-ci pour de bon.