Le confinement dans lequel est actuellement plongé la France représente l’occasion de (re)découvrir des films et des séries qui ont marqué les esprits dans un passé récent. Des oeuvres à côté desquelles on est peut-être passé, qui sont désormais rattrapables grâce au temps libre offert par l’obligation de rester chez soi. Ces oeuvres d’exception, la série Westworld en fait assurément partie. Lancée en 2016 sur HBO et vendue comme “la série la plus chère au monde”, la création de Jonathan Nolan et Lisa Joy a entamé sa troisième saison il y a pile une semaine. En seulement 22 épisodes, Westworld a su s’imposer comme l’une des pépites télévisuelles de la dernière décennie, prouvant une fois de plus qu’une série pouvait très largement dépasser le cadre du divertissement. Dense, complexe et profonde, cette création HBO est tout simplement incontournable.
S’il n’est bien évidemment pas question de spoiler l’intrigue des deux premières saisons de Westworld, les personnes souhaitant débuter la série sans rien connaître de son fond ou de sa forme sont fortement invitées à passer leur chemin quant à la suite de la lecture. Pour le reste, ça se passe ici. Avant d’entrer dans le vif sujet, il est toujours bon de repositionner une série dans son contexte. En 2013, HBO commande le pilote d’une série qui sera l’adaptation d’un film de science-fiction sorti en 1973, Westworld. La chaîne américaine confie ainsi ce projet à Jonathan Nolan (frère de) et à sa femme Lisa Joy, tandis que le patron de la pop culture J.J. Abrams (Lost, Star Wars, Star Trek) débarque à la production. Alors au début de la frénésie Game of Thrones, HBO anticipe et planche déjà sur le futur succès de la chaîne en terme de super-production. Si la série ne voit finalement le jour qu’en octobre 2016, ses données chiffrées donnent le tournis : Le seul premier épisode aurait coûté 25 millions de dollars, tandis que la saison 1 dans son ensemble aurait nécessité 100 millions. Westworld se dote ensuite d’un casting ahurissant, dans lequel on retrouve de nombreuses stars hollywoodiennes comme Anthony Hopkins, Ed Harris, Thandie Newton, Evan Rachel Wood ou encore Tessa Thompson. L’attente à l’égard de la série est donc maximale.
Le pari semblait osé. Une série mêlant des univers aussi différents que le western et la science-fiction, sur fond de réflexion philosophique sur la conscience et le déterminisme, peut-elle être un succès ? Le pitch de départ de la série est néanmoins assez simple : Westworld est un parc d’attraction qui recrée le Far West américain à très grande échelle. Les grandes fortunes du monde s’y rendent afin d’asservir leurs pulsions et leur soif d’aventure, en compagnie de robots humanoïdes appelés “hôtes.” Ces derniers, impossibles à distinguer des humains à première vue, sont cantonnés dans des boucles narratives, qui les forcent à effectuer les mêmes actions à l’infini, dans le seul besoin de satisfaire les visiteurs du parc avant que leur mémoire ne soit effacée. Jonathan Nolan explique alors le point de départ de sa série en ces termes : “Les hôtes découvrent qu’ils ont été créés à notre image, mais commencent à se demander si l’humanité est vraiment ce à quoi ils veulent aspirer.” Peu à peu, certains hôtes se rendent en effet compte de leur condition et du traitement monstrueux qui leur est infligé par leurs créateurs.
La série cumule ainsi trois points de vue, qui correspondent à ses trois grands arcs narratifs : les visiteurs, les hôtes et les gestionnaires du parc. Si le propos de Westworld est tout simplement impossible à résumer, on peut toutefois affirmer que le sujet principal de cette série n’est autre que l’Humanité et ce qu’elle représente. Tout au long de ses deux premières saisons, la série s’interroge en effet sur ce que signifie réellement être humain, à travers le cheminement des hôtes robotiques vers leur conscience. À l’instar de Lost en son temps, Westworld propose une réflexion méticuleuse sur des concepts philosophiques tel que le déterminisme, la liberté, le libre-arbitre et l’intelligence artificielle. L’intrigue palpitante de la série, qui enchaine à une vitesse folle les twists et les révélations, embrasse ainsi pleinement la dimension philosophique inhérente au grandes oeuvres.
Si elle se veut exigeante sur le plan intellectuel, Westworld n’en demeure pas moins un divertissement exceptionnel. Porté par une production et des scènes d’action dignes d’un blockbuster hollywoodien, le bébé de HBO parvient à se montrer aussi convaincant dans le registre western que dans le registre SF. Westworld brille de mille feux sur le plan visuel, en offrant une infinité de plans époustouflants. De la froideur technologique des bureaux du parc au gigantisme des paysages de l’Ouest américain, chaque plan est pensé et maîtrisé. Rares sont les séries qui proposent une direction artistique aussi léché. La bande-originale n’est pas en reste, rien d’illogique avec le virtuose Ramin Djawadi aux commandes. Si son nom ne vous dit rien, on parle là du compositeur de la musique de Game of Thrones. Comme la série, la B.O de Westworld mêle des influences sci-fi à des thèmes plus classiques, pour un résultat éblouissant, qui épouse parfaitement l’univers ambivalent du parc et les personnalités de ses protagonistes.
Ces derniers sont tous magnifiquement interprétés par les acteurs et actrices cités précédemment. Parmi les plus convaincants, difficile de ne pas citer la légende Anthony Hopkins, qui incarne à la perfection le glaçant Dr. Ford, le co-fondateur de Westworld habité par des motivations aussi sinistres que mystérieuses. Du côté des hôtes, Evan Rachel Wood impressionne dans le rôle de Dolores, stéréotype de la demoiselle en détresse, qui est pourtant l’une des clés du scénario à tiroirs de la série. Il faut en tout cas saluer le travail des scénaristes de la série, qui offrent un traitement exceptionnel à tous les personnages de Westworld et notamment à des seconds rôles extrêmement développés. Là encore, la série se distingue par un travail d’écriture phénoménal.
Bien sûr, Westworld n’est pas exempt de tout reproche. La série met en effet quelques épisodes à démarrer, un délai toutefois nécessaire pour saisir les bases complexes de son intrigue. On pourra également tiquer sur la complexité parfois extrême de la série, notamment lors de la saison 2, qui a tendance à se perdre dans des errements à même de faire décrocher le spectateur. À l’inverse, certains se raviront de faire face à un objet télévisuel aussi bien construit, qui autorise les spéculations les plus folles. Là encore, la série HBO fait écho à Lost et aux nombreuses théories qui découlaient de la série lors de sa diffusion. C’est bien là l’une des forces majeures de Westworld, la série n’encourageant jamais le visionnage passif. Bien au contraire, l’oeuvre de Nolan et Joy nous engage, nous questionne et prend très souvent aux tripes.
À la fois démesurée dans son ambition et intimiste dans son traitement, Westworld est une oeuvre exigeante, qui a le mérite de proposer un divertissement haut de gamme, habité par une richesse intellectuelle certaine. Un pilier de la télévision des années 2010.
La saison 3 de Westworld est actuellement diffusée en France par OCS.