L’attente fut longue. Lancée aux États-Unis et dans une poignée d’autres pays à l’automne, Disney+ a enfin fait ses grands débuts en France cette semaine. La plateforme rejoint l’univers déjà compétitif de la SVoD hexagonale, sur laquelle Netflix règne en maître. Néanmoins, l’arrivée de Disney+ dans nos contrées, qui plus est en période de confinement, a suscité un véritable engouement sur les réseaux sociaux. Il faut dire que le service de streaming débarque précédé d’une réputation pour la moins flatteuse. Outre tout l’imaginaire entourant l’empire Disney et ses succursales, sur lequel nous reviendrons, la plateforme a su séduire les États-Unis dès sa création en novembre dernier. Le premier groupe de divertissement au monde se targuait en effet d’avoir conquis 26, 5 millions d’abonnés en une soixantaine de jours. Une superbe performance, d’autant plus au sein d’un marché américain de la SVoD encore plus saturé que le notre. Si Disney+ a su s’imposer de l’autre côté de l’Atlantique, en sera-t-il de même chez nous ? La plateforme dispose en tout cas d’arguments solides pour concurrencer Netflix. Et à l’inverse, elle risque d’être plombée par quelques défauts majeurs. État des lieux.
La création de Disney+ a marqué une nouvelle étape dans la conquête de l’entertainment mondial par The Walt Disney Company. Pour beaucoup d’observateurs, c’est même la conclusion d’une stratégie d’expansion entamée dès 2004 avec le rachat de Pixar. En 2009, c’est au tour de Marvel et de son MCU (que Disney a littéralement fait exploser commercialement) pour seulement 2,5 milliards de dollars. Puis en 2012, c’est LucasArts, soit la saga Star Wars et tout univers étendu, qui passe sous le giron Disney. Autre acte fondateur, l’acquisition du titan 21st Century Fox en 2017 pour 71 milliards de dollars. Un véritable séisme au sein de l’industrie du divertissement, une démonstration de force pour Disney. Trois ans plus tard, l’entreprise américaine lance donc une plateforme de streaming dont le catalogue se base sur trois grands axes : la famille, le grand spectacle et la nostalgie.
Du divertissement popcorn
Depuis sa création en 1923, Disney est synonyme de divertissement familial. Disney+ ne dérogera pas à la règle, en proposant un catalogue de contenus grand public, convenant aussi bien aux enfants qu’aux adultes. La plateforme réunit ainsi de nombreux dessins animés cultes, l’intégralité des productions Pixar, les franchises Marvel et Star Wars, tout comme de nombreuses séries pour ados qui ont fait l’âge d’or de Disney Channel dans les années 2000. Les fans de l’univers Disney seront donc servis. Hasard du calendrier, le lancement de cette plateforme visant en priorité la famille intervient dans un contexte de confinement, où la recherche d’occupations pour les plus jeunes se transforment parfois en véritable casse-tête pour les parents. Si Disney+ régalera donc un public familial, il possède également l’avantage de parler à un public extrêmement large grâce à l’aura phénoménal de sa marque et des ses franchises. Gilles Pezet, en charge du pôle économie des réseaux et des usages numériques au sein du cabinet NPA Conseil, explique : “Disney va profiter de la puissance de sa marque. Au box office mondial l’année dernière, 7 films du groupe se sont hissés dans le top 10 des films les plus vus au cinéma. Le groupe n’a donc pas besoin d’investir massivement en marketing pour se faire connaître.”
Rien qu’avec le Marvel Cinematic Universe et l’empire Star Wars, Disney+ dispose de l’exclusivité sur les deux plus gros monuments de la pop culture audiovisuelle. Un avantage de choix face à ses rivaux. En mettant en avant sa riche histoire, ses créations mythiques et ses productions à succès, la plateforme américaine ambitionne de s’imposer comme le pourvoyeur numéro 1 de pop culture. Pourtant, ce positionnement devrait rapidement afficher ses limites. La première, c’est que Disney+ ne proposera que des contenus faits maison. En clair, seuls les contenus estampillés Disney seront disponibles. Si Netflix et Amazon Prime multiplient les créations originales, elles peuvent également compter sur des milliers d’autres titres dont elles possèdent les droits. Et si Disney a enchaîné les acquisitions de structures pour diversifier son contenu, son offre est encore trop restreinte. Surtout, elle paraît trop peu mature pour satisfaire les cinéphiles. Du fait de son cloisonnement éditorial, la plateforme laisse pour l’instant de côté de nombreux genres cinématographiques, comme les thrillers, les drames, les productions indépendantes. Rien d’étonnant de la part de Disney, mais un véritable frein pour convaincre le public de s’abonner.
Si Netflix est loin d’être garant d’une qualité irréprochable en terme de contenus, la plateforme peut se targuer d’avoir attiré dans ses filets des réalisateurs salués, comme David Fincher (House of Cards, Mindhunter), Alfonso Cuaron (Roma), Martin Scorsese (The Irishman) ou encore Bong Joon Ho (Okja). Autant de grands noms du septième art qui font défaut à Disney+. À l’heure où nous écrivons ces lignes, Disney+ souffre également d’un manque flagrant de contenus originaux. Dans l’attente des premières séries Marvel, l’excellent The Mandalorian fait pour l’instant (presque) cavalier seul. Enfin, même si Disney+ n’y est pour rien, on ne pourra que déplorer l’absence actuelle de ses productions les plus récentes, du fait de la chronologie des médias en vigueur en France. Il faut en effet patienter 36 mois pour qu’un film sorti en salle puisse sortir en SVoD. Pour toutes ces raisons, Disney+ paraît accuser plusieurs longueurs de retard sur Netflix.
Le prix et la technique, en attendant l’avenir
Avec moins de 1000 titres actuellement disponibles, Disney+ est encore loin des plus de 3500 programmes de Netflix. Ce n’est donc pas illogique que la plateforme propose un prix alléchant de 6,99€ par mois ou de 69,99€ par an. Le partenariat passé avec Canal+, qui offre le service à de nombreux abonnés, est également un choix très intelligent. Outre son prix, Disney+ se distingue réellement de son concurrent grâce à son offre multi-écrans, qui permet de créer 7 profils d’utilisateur différents et de visionner des contenus en simultané sur 4 appareils. Netflix est ici battu à plate couture. Autre aspect pratique, Disney+ permet de télécharger tous ses contenus sur des appareils mobile, afin de les visionner hors-ligne, ce que ne permet pas Netflix. Sur le plan technique, Disney+ affiche plusieurs programmes compatibles 4K et Dolby Atmos. Une image et un son inégalés dans l’univers de la SVoD jusqu’ici, sans avoir à débourser un seul centime de plus. Ces différentes features, qui peuvent paraitre secondaire, permettent à Disney+ d’offrir une très bonne expérience à ses abonnés, et ce, dès son lancement.
La question de l’avenir se pose toutefois dès à présent. Si Disney+ veut devenir un rival crédible pour Netflix et ses millions d’abonnés français, la plateforme va devoir rapidement développer ses contenus originaux. Si elle ne parviendra pas (elle ne le veut d’ailleurs surement pas) à se défaire de son carcan familial, la plateforme de Disney devra consentir à de gros investissements pour diversifier un minimum son contenu bienveillant, positif et surtout, très lisse. Il sera sinon difficile de séduire de nouveaux publics, malgré la force de Disney et de ses univers magiques dans l’imaginaire collectif. Investir massivement ne devrait toutefois pas être un problème pour une entreprise qui a enregistré 70 milliards de dollars de chiffre d’affaire en 2019. Quelques jours après son lancement, Disney+ s’impose davantage comme un complément intéressant, que comme un véritable concurrent de Netflix. La question est de savoir pour combien de temps.