Depuis l’antiquité, la figure du lycanthrope n’a eu cesse de fasciner. En 2020, cette idée d’un humain maudit, doué du don de métamorphose, continue d’inspirer les artistes contemporains. Mi-homme, mi-loup, c’est ainsi que Sean se perçoit sur son nouveau projet. La dualité est en effet la clé de voûte de À moitié loup. Les 12 morceaux de cette mixtape ont été dévoilés en deux temps, avec 6 titres parus le 10 avril et les 6 restants mis en ligne vendredi dernier. Aidé par une direction artistique bluffante pour un artiste en développement, ce nouveau projet représente un bel aboutissement pour le rappeur parisien. Au lieu de construire sur les fondations posées par le fascinant EP Mercutio, Sean fait ici le choix du contre-pied, de la métamorphose. Si l’ambiance ténébreuse et déchirante de son premier projet imprègne toujours quelques tracks de À moitié loup, Sean prouve qu’il a bien plus à offrir que des lamentations nocturnes.
Il n’y a pas si longtemps de cela, à l’époque où l’extérieur était encore d’actualité, nous avions passé plusieurs après-midi en compagnie de Sean. Le rappeur nous avait accueilli dans son quartier, entre la rue de Bagnolet et le cimetière du Père Lachaise, afin de filmer sa tout première interview vidéo. Entre deux cigarettes grillées au soleil, le jeune artiste expliquait alors la genèse de son projet : “L’idée c’était vraiment de créer des ballades nouvelles. Essayer d’aller chercher des sonorités qui peuvent te rappeler des endroits, des moments vécus. Et rapporter toujours ça à la mélancolie.” Influencé par la figure du loup-garou et ce que le lycanthrope pourrait représenter dans les sociétés contemporaines, Sean a alors conçu un projet ambivalent “inspiré par plein d’images, de sensations, d’émotions.” Si Mercutio se prêtait plus à l’introspection solitaire, À moitié loup offre de son côté une multitude de fulgurances joyeuses et entraînantes. “On voulait faire de la musique pour faire danser les gens, les rendre heureux, pour qu’ils aient des souvenirs sur nos chansons” nous glissera Sean lors de notre entretien filmé sur les toits de Paris.
“On a recréé ce qu’on avait en tête. C’est vraiment une palette de sonorités différentes” nous explique désormais Sean par téléphone, confinement oblige. Mais aussi dansants et entraînants que soient des morceaux comme “hiver” ou “santa muerte”, la mélancolie rode toujours, telle une ombre par une nuit de pleine lune. L’univers de Sean est bel et bien doux-amer. C’est ce qui fait sa force. “On trouvait ça intéressant le principe de la métamorphose du lycanthrope, de l’humain qui devient animal à cause de son vice et de ses connaissances. C’est le moment où tu perds ton innocence” confie Sean.
Cette fin des illusions est magnifiquement soulignée par des morceaux comme “30 ans”, “temps d’un été” ou “à moitié loup”, qui viennent tempérer les accents festifs d’une partie de la tracklist. “La cohérence est là dans le traitement de voix, dans la recherche, dans le temps qu’on a passé pour créer un projet qui se tient alors qu’on va dans tous les sens” confesse-t-il. Qu’il évoque le suicide, l’auto-mutilation ou l’inexorable perte d’un amour de vacances, Sean sonne juste. Et de cette dualité sonore et lyrique ressort une très belle harmonie sonore. Les 12 tracks de À moitié loup fonctionnent en effet comme un tout, qui plus est très convainquant.
“Ce projet ne dit pas grand chose de moi, il me présente sous plusieurs aspects” tempère le rappeur confiné. “Il y a un Sean méfiant, un Sean serein… Plein de facettes d’un même individu. C’est un personnage assez détaché de ce qui lui arrive, qui raconte les histoires qu’il a vues, entendues ou faites subir.” À l’inverse d’autres artistes, émergents ou non, qui ont la fâcheuse tendance de rester cloitrés dans une recette musicale établie, Sean réussit donc à surprendre dès son deuxième projet.
Si le chemin s’annonce encore long pour le jeune parisien, il ne fait peu de doutes qu’il sera l’un des talents francophones à surveiller lors des années à venir. Et si À moitié loup confirme un goût pour le storytelling élaboré, Sean place néanmoins l’honnêteté au centre de sa démarche artistique : “Avant, on était vraiment dans le sad. Ce projet, c’est par rapport à nos vies, à mes gars et moi, à comment on a évolué. Aujourd’hui on peut dire qu’on est heureux. Je suis bien dans ma vie.” Cette métamorphose n’est en tout cas pas la dernière : “Je vais raconter beaucoup d’histoires, faire danser un maximum les gens, les faire penser, les faire gamberger. Amener du bonheur, mais aussi raconter la peine. Parler de l’amour de façon différente. Innover, faire de la recherche. On a déjà commencé à se préparer.” Vivement la suite.
Photo : Alexandre Mouchet (@alex_mouchet) pour Views