24 octobre 1997, Los Angeles. Ce jour-là, la scène underground hip-hop est réunie pour l’évènement Rap Olympics, un concours de freestyle qui verra le vainqueur repartir avec 500 dollars et une Rolex. Ce concours sera finalement remporté par Otherwize, tandis qu’un MC méconnu venant de Détroit termine avec les honneurs à la seconde place. À cette époque, ce rappeur est loin de vivre de sa musique. Son premier album Infinite, sortie en totale indépendance, s’est en effet vendu à moins de 1000 exemplaires. Il survit en faisant la plonge dans un restaurant de sa ville et loge dans une caravane. Pas franchement de quoi faire rêver. Pourtant, sa vie est sur le point de changer pour toujours. Ce 24 octobre, un stagiaire de 19 ans chez Interscope Records, Dean Geistlinger, est présent dans la foule et s’avère particulièrement impressionné par ses talents de rimeurs, malgré sa défaite en finale. Il décide alors de récupérer une copie de son dernier EP et de la ramener à son patron Jimmy Iovine, tandis que ce dernier la transmet ensuite à son collaborateur Dr. Dre. Cet EP, c’est The Slim Shady EP, ce rappeur c’est évidemment Eminem. Et la suite appartient à l’histoire.
S’il est donc naturel de penser qu’Eminem doit en partie sa carrière à Dr. Dre, il est important de se replonger dans le contexte de cette découverte et donc de noter à quel point cette rencontre était vitale pour le compositeur californien. Épuisé par le conflit permanent et la violence inhérente à sa collaboration avec Suge Knight, Dre quitte le mythique label Death Row en 1996. Il fonde dès lors Aftermath Entertainment, sa propre structure, le tout sous l’égide d’Interscope, un label beaucoup plus conséquent fondé par son ami Iovine en 1990. Dre possède alors son propre label, se débarrasse du chaotique Suge Knight et sort en l’espace d’un an les deux premiers projets du label : Dr. Dre Presents Aftermath et The Firm. Malheureusement, l’un comme l’autre sont des échecs. Le premier est une compilation pour présenter Aftermath et ses artistes, mais n’est clairement pas le succès attendu, tandis que le second, un “super groupe” formé autour de Nas, ne rencontrera jamais véritablement son public et souffrira de critiques très mitigées.
Et voilà qu’en deux albums seulement, le super producteur du hip-hop subit un coup d’arrêt. Pire encore, des rumeurs vont bon train sur l’état de santé financier fragile d’Aftermath. Il y a urgence pour Dr. Dre : il doit regoûter au succès commercial et critique qu’il avait connu sur The Chronic et Doggystyle pour pérenniser son label et réaffirmer son statut de monstre sacré du rap américain.
J’étais juste un petit blanc de Détroit. Je n’avais jamais vu de stars, encore moins une de l’ampleur de Dr. Dre.
Eminem
C’est ainsi que lorsque la cassette de Slim Shady EP atterrie sur son bureau, et que Jimmy Iovine lui conseille vivement d’y prêter attention, ce n’est pas seulement la vie d’Eminem qui va changer. C’est toute la deuxième partie de la carrière de Dr. Dre ainsi que la trajectoire d’Aftermath et donc d’Interscope. Tout comme Dean Geistlinger et Jimmy Iovine, Dre prend une claque en découvrant l’EP du rappeur de Détroit. Ni une ni deux, il lui demande de sauter dans le premier avion pour Los Angeles. Il est alors bien conscient d’avoir trouvé un phénomène. Et lorsqu’il découvre que ce prodige en question est blanc, c’est Dre le businessman qui se réjouit : le potentiel marketing d’un tel talent devient alors fascinant.
Dès lors, tout va aller très vite. Leur première session studio révèle une alchimie évidente entre les deux artistes, puisqu’Eminem écrit et enregistre en moins d’une heure le morceau qui deviendra son premier hit “My Name Is.” Ce même jour, trois autres morceaux, dont “Role Model” seront enregistrés. Ce duo semble alors être né pour travailler ensemble. Toutefois, Eminem révèlera avoir été un peu stressé par cette première session: “Je ne voulais pas être perturbé par le fait que ce soit une star ou être trop complaisant avec lui… J’étais juste un petit blanc de Détroit. Je n’avais jamais vu de stars, encore moins une de l’ampleur de Dr. Dre.“
Finalement, l’album The Slim Shady LP sort le 23 février 1999 et coche toutes les cases. Il est un succès commercial pour un jeune artiste comme Eminem, puisqu’il vend 283 000 copies en première semaine. Il est un succès critique assez unanime, puisqu’il reçoit notamment le Grammy du meilleur album rap. Mais surtout, The Slim Shady LP coïncide avec la naissance d’une icône de l’Amérique white trash, d’un rappeur subversif mais fascinant, qui rappe avec la rage au ventre et l’envie de piétiner le monde entier. Eminem dira plus tard qu’il ne fait pas de la musique de noir, ni de blanc, mais de la musique sur laquelle les lycéens peuvent se battre. Et on comprend aisément pourquoi. Si les tauliers du hip-hop qui l’ont précédé ont été importants pour se façonner en tant qu’artiste, les véritables influences d’Eminem sont la haine qu’il a accumulé, le manque de chance dans sa vie et les critiques qu’il a reçu. Il s’en nourrit jusqu’à l’ébullition et des morceaux comme “Role Model” ou “Still Don’t Give a F**k” résument totalement le propos revanchard et enragé de ce premier album d’Eminem sous l’égide d’une maison de disque. Et cette dernière n’aura pas franchement adoucit la formule, si ce n’est exigé un single radio dans la tracklist. Rôle que “My Name Is” a parfaitement rempli.
Le dernier point essentiel qui nous amène à la sortie de ce fameux The Marshall Mathers LP en mai 2000, c’est l’arrivée de l’album culte 2001 de Dr. Dre le 16 novembre 1999. À la manière de ce qu’il avait fait avec Snoop Dogg sur The Chronic en 1992, Dr. Dre offre à son protégé du moment une exposition exceptionnelle avant la sortie de son prochain projet. Et Eminem ne rate pas l’occasion de faire très forte impression. Il est présent sur deux morceaux de l’album “What’s the Difference” et “Forgot About Dre” et éclabousse l’auditeur de son talent. Sur le dernier morceau cité, Marshall Mathers signe l’un des couplets les plus brillants de sa carrière et en profite pour rappeler, si nécessaire, que le succès de The Slim Shady LP ne l’avait pas franchement calmé : “And I’m still loco enough / To choke you to death with a Charleston Chew / Slim Shady hotter than a set of twin babies / In a Mercedes Benz with the windows up / When the temp goes up to the mid-80s.” Eminem profite donc de l’exposition de l’album de son mentor pour confirmer ce qui se murmurait déjà largement à la sortie de son précédent projet, il est à ce moment là le meilleur rappeur au monde. Et la suite ne va pas franchement contredire cette idée.
Lorsqu’Eminem et Dre bouclent “The Real Slim Shady” et le font écouter à Interscope, il n’y a cette fois plus aucun doute pour personne : le hit de l’album est tout trouvé.
Mais Eminem avait beau être alors devenu une immense star, sa vie n’avait pourtant rien d’idyllique. Excepté le fait qu’il soit sorti de la misère et qu’il pouvait donc enfin offrir à sa fille une vie digne de ce nom, les problèmes s’accumulaient. Son mariage avec Kim était sur le point de voler en éclats (ils ont divorcé 3 mois après la sortie de l’album) et il voyait de ce fait assez peu sa fille Hailie pendant l’enregistrement de l’album. À coté de ça, sa mère lui intentait alors un procès à hauteur de 10 millions de dollars pour diffamation, à la suite d’une phrase bien connue sur le single “My Name Is” : “I just found out my mom does more dope than I do.” Dans le même temps, de nombreuses associations font de lui leur ennemi juré, pour sa musique jugée homophobe, misogyne et globalement néfaste pour la jeunesse. Dans le même temps, Lynne Cheney, la femme du vice-président américain de l’époque Dick Cheney (interprété par Christian Bale dans le biopic Vice), déclare que sa musique va être à l’origine de davantage de fusillades dans les écoles. Le congrès va jusqu’à s’en mêler aussi et des lectures des textes d’Eminem auront lieu quelques mois plus tard pour illustrer la dérive de l’industrie du divertissement. Le parti politique qui ne jure que par le second amendement, permettant la libre obtention d’une arme à feu pour chaque américain, voit donc en Eminem un danger immense pour la société.
Et comme si la pression n’était pas assez intense pour le rappeur le plus célèbre du moment, lorsqu’au début de l’année 2000 il soumet la première version de l’album à Interscope et son patron Jimmy Iovine, ce dernier n’est pas franchement convaincu. D’une part l’album, enregistré en deux mois, est d’un nihilisme brutal, d’une introspection malsaine et d’un violence rare, qui en font un produit très dur à vendre selon lui. D’une autre, le projet ne possède pas de premier single fort d’après Iovine. Et il raison. L’avis est d’ailleurs partagé par le manageur du rappeur, Paul Roseberg, dont un message vocal désabusé laissé à Eminem servira d’interlude à l’album.
Vexé par ce rendez-vous, Eminem répondra directement à Iovine mais surtout aux médias, aux critiques, aux associations en écrivant sur le chemin du retour l’enflammé “The Way I Am”, un énorme doigt d’honneur à ses détracteurs et véritable manifeste de ce qu’il est au fond de lui. Eminem en profite aussi pour confesser l’une de ses plus grandes peurs de l’époque, n’être qu’un hit one wonder qui ne réussira jamais à égaler le succès de “My Name Is” : “I’m so sick and tired of bein’ admired / That I wish that I would just die or get fired / And dropped from my label, let’s stop with the fables / I’m not gonna be able to top a “My Name Is”” Jimmy Iovine se montre nettement plus convaincu par ce morceau, mais n’y voit qu’un second single. Pour lui, il manque encore un morceau signature qui portera le succès d’un disque encore très macabre. Ce à quoi Eminem lui demande d’attendre quelques jours pour qu’il puisse finir un morceau qui devrait coller à ses attentes : “The Real Slim Shady”. Quand Eminem et Dre bouclent ce titre et le font écouter à Interscope, il n’y a cette fois plus aucun doute pour personne : le hit de l’album est tout trouvé.
Le 18 avril 2000, “The Real Slim Shady” voit donc le jour, accompagné d’un clip loufoque complètement ancré dans la caricature de la pop-culture de son époque. L’artiste profite de ce single pour résumer une idée très simple : il ne suffit pas d’être blanc et de bien rapper pour devenir le prochain Eminem. La recette marketing peut paraître simple, d’autant plus avec le recul que l’on a aujourd’hui, pour autant personne ne réussira dans les années qui suivirent à reproduire le phénomène populaire qu’était le Slim Shady à cet instant précis. Lorsque le rappeur de Détroit s’exclame : “And there’s a million of us just like me / Who cuss like me, who just don’t give a fuck like me / Who dress like me; walk, talk and act like me / And just might be the next best thing, but not quite me” il ne se contente pas d’éteindre les coypcats du moment, il prophétise l’avenir : il n’y aura jamais un second Eminem dans le rap. Et 20 ans après, difficile de lui donner tort.
Un mois plus tard, le 23 mai pour être précis, le moment tant attendu a enfin lieu : Eminem dévoile son troisième album solo, le deuxième chez Aftermath : le cultissime The Marshall Matters LP. Et l’album ne traine pas pour écrire l’histoire. Il lui suffit d’une petite semaine en fait, puisqu’il s’écoule à pratiquement 1,7 million de copies lors de ses 7 premiers jours d’exploitation sur le sol américain. Le projet explose ainsi le précédent record de ventes dans le rap qui était détenu par Doggystyle de Snoop Dogg. Au bout de 4 semaines seulement, l’album s’est déjà écoulé à 3,6 millions d’exemplaires, avant de rapidement devenir l’un des disques les plus vendus de tous les temps. Aujourd’hui, il a dépassé les 35 millions de copies vendues dans le monde. The Marshall Matters LP est d’ailleurs toujours l’album rap le plus vendu dans l’histoire. Aftermath et Interscope avaient beau se montrer très optimistes pour ce projet, aucun scénario ne prédisait un tel succès. Pour Eminem au contraire, il était avant tout question d’être respecté artistiquement et le succès critique immense de l’album était alors forcément beaucoup plus important à ses yeux.
Intrinsèquement, The Marshall Mathers LP ne présente pas une révolution ni dans le fond ni dans la forme du Eminem découvert sur The Slim Shady LP, son prédécesseur. Ce que ce nouvel album réalise de très marquant par contre, c’est qu’il pousse tous les curseurs à leur niveau maximal. Plus violent, plus vulgaire, plus technique, plus iconique, tout est fait pour qu’il soit une version plus impactante et plus réussie que son prédécesseur. Dr. Dre est beaucoup plus présent à la production, contrairement aux 3 seules compositions du précédent projet, pendant que techniquement le rappeur de Détroit atteint le sommet de sa carrière. Il est tout simplement intouchable lorsqu’il s’agit de jouer avec les mots, multiplier les flows et globalement d’éteindre tout débat sur qui est le meilleur rappeur au monde à l’aube du nouveau millénaire.
Pourtant, et c’est Eminem qui est le premier à le dire, de nombreux critiques avaient de sérieux doutes sur ce qu’il allait raconter sur cet album. Il n’est plus fauché, il n’est plus misérable, il ne souffre plus, que va-t-il nous dire d’autres ? Il balaye cette question dès les premières mesures, non sans auto-dérision : “They said I can’t rap about being broke no more, they ain’t say I can’t rap about coke no more” Il en profite ici pour rappeler quelque chose d’essentiel pour lui, la célébrité ne rendra pas sa musique moins abrasive. C’est finalement bien des années plus tard et sa sobriété totale qui feront cet effet à sa musique. Ce n’est en tout cas pas un hasard si cet album porte le vrai nom du rappeur, tant il est plus sincère, honnête et introspectif que son prédécesseur. Sa gestion de la célébrité, son esprit torturé, son impudeur, c’est une véritable mise à nue que réalise Eminem derrière les bouffonneries de ses clips ou les polémiques qu’il peut déclencher en une punchline.
Au-delà de ses deux singles déjà évoqués, l’album s’offre le luxe de posséder plusieurs morceaux devenus cultes. Son introduction brutale “Kill You”. Sa dénonciation du fanatisme avec “Stan”, contraction de stalker et fan, qui a tout simplement créé une expression qui est rentrée dans le dictionnaire. Sa confession d’addict puissante, qu’il a écrit en 20 minutes avec “Drug Balad”. Et bien sûr “Kim”, ce qui est sans doute le morceau le plus difficile à réécouter tant il est malsain et violent.
Si The Marshall Mathers LP est un tel succès, c’est aussi car il met le doigt sur des sujets rarement évoqués, qui font d’Eminem quelqu’un en qui il est facile de se reconnaitre pour une frange de son public, jusqu’ici complètement délaissée par les thèmes du rap. Presque caricatural, le tableau est explicite : on parle ici d’un jeune homme de la classe ouvrière, né dans la pauvreté et sans son père, qui raconte avoir été harcelé et qui ne s’entend pas avec sa mère. D’autant que lorsqu’il évoque le thème de la drogue, central dans sa musique à cette époque, ce n’est jamais en tant que vendeur qui écoule des kilos, mais bien comme un addict qui se noie dans sa consommation. Les drogues sont tellement récurrentes dans l’album qu’il devait initialement s’appeler Amsterdam, en référence à un voyage de tous les excès dans la capitale hollandaise qui avait inspiré le début de l’album à Eminem.
Il est donc assez évident qu’un blanc redneck, qui n’a jamais vendu de drogue ni trempé dans la criminalité, et qui vient d’une ville qui compte très peu dans le rap à l’époque, n’était pas censé devenir le plus gros phénomène du genre depuis Tupac. C’est une anomalie profonde qui est devenue possible car Eminem a su capter une frange du public qui n’était pas dans le hip-hop jusqu’à présent. Eminem a beau être un condensé total du rap des nineties (l’horror-core de Détroit, l’état d’esprit d’outsider de Tupac, la technique de The Notorious BIG, l’humour de Redman…) il est porté au sommet, en majorité, par des adolescents blancs qui étaient sur le moment beaucoup plus fans de Blink-182 que de JAY-Z.
Dans le même temps, Eminem s’affirme vraiment comme un produit parfait à vendre, puisqu’il est totalement accepté par le coeur de la fan-base hip-hop. Au-delà de ses talents au micro, cette frange du public l’aime pour son honnêteté sans filtre et son envie de ne rentrer dans aucun formatage. Dans une industrie souvent définie par la fausseté de ses personnages, Eminem était aussi vrai que nature. En clair, autant il n’y avait pas besoin d’être fan de rap pour être fan d’Eminem, autant il était aimé et respecté de la niche hip-hop. Le Slim Shady est alors une pop-star chaotique qui colle parfaitement à son ère et qui réunit des publics qui n’avaient jusqu’ici pas grand chose en commun. Sans doute sa plus grande force sur le plan commercial.
Malheureusement, et c’est d’autant plus frappant avec deux décennies de recul, The Marshall Mathers LP reste un album qui possèdera toujours une partie difficile à assumer dans son héritage. Aussi brillant soit-il, le projet est marqué par des propos homophobes et misogynes d’une rare violence pour un album mainstream dans l’histoire du rap. Sous couvert d’ironie, de sarcasme, d’humour noir et bien sûr de son alter-ego démoniaque Slim Shady, il ne se refuse aucun propos douteux. Eminem démarre son album sur “Kill You”, morceau où il chante vouloir tuer des femmes sur le refrain. Il a beau conclure le morceau en disant : “Ha-ha-ha, I’m just playing, ladies / You know I love you“, même caché derrière l’humour (et le morceau n’a rien de drôle) le propos a tout de même de quoi choquer. Il en va de même sur le glaçant “Kim”, la suite de “97′ Bonnie & Clyde”, un morceau sur lequel il met en scène l’assassinat de sa femme, le tout dans un story-telling ultra violent et une interprétation angioxène. Eminem a beau être dans son personnage, le morceau est beaucoup trop réaliste et sérieux pour ne pas être dérangeant.
Ce qui semble d’autant plus fou, c’est qu’Eminem et Kim étaient encore en couple au moment où il a écrit ce morceau et qu’il lui a fait écouter en lui expliquant que c’était une preuve d’amour : “Je sais que c’est un morceau chaotique, mais cela montre combien je tiens à toi. À quel point je pense à toi pour te mettre dans une chanson comme ça.” lui avait-il expliqué. De façon générale, il est impensable qu’un album avec un tel contenu aurait pu devenir culte à une autre période et il est bien dommage qu’il soit autant archaïque par séquence. Eminem a par la suite adoucit son image, quitte à le faire assez grossièrement, comme lorsqu’il jouait sur scène avec Elton John aux Grammy Awards 2001, dans ce qui s’apparente surtout comme une manoeuvre de label pour désamorcer des polémiques supplémentaires. Le mal était de toute façon déjà fait. On pourra évidemment toujours débattre de la sincérité des propos en question et du degré auquel il faut les prendre, cela restera des passages terriblement blessants pour les communautés concernées. Et la musique d’Eminem n’en est pas ressortie meilleure.
Comme de nombreuses autres oeuvres immenses dans l’histoire, The Marshall Mathers LP possèdera donc toujours un astérisque, un “mais” inéluctable à ses éloges et petit arrière-goût difficile lorsque l’on pense à sa place dans l’histoire du rap. Mais c’est bien la seule chose à laquelle il est vulnérable. À côté de ça, les années n’ont cessé d’en faire un album culte, tellement classique qu’un artiste comme Kendrick Lamar considère tout simplement qu’il a changé sa vie. Il est clair que de nombreuses vies ont été changées le 23 mai 2000. Ce jour-là, Eminem est officiellement devenu le super-héros de la jeunesse américaine blanche, tandis que le hip-hop s’est vu chamboulé puisqu’ouvert à un tout nouveau public, ce qui l’aidera peu à peu à devenir le genre musicale le plus populaire aux États-Unis, puis dans le monde. Prouesse qu’il a officiellement accompli en 2017. Et il est clair que la tête blonde de Détroit n’y est pas pour rien.
De son côté, Eminem est rentré au panthéon de la musique avec cet album. Entre le 23 février 1999 où voit le jour The Slim Shady LP, le 16 novembre de cette même année où sort 2001 de Dr. Dre et enfin le 23 mai 2000 où l’on découvre The Marshall Mathers LP, le natif de Détroit réalise l’un des runs les plus fous de l’histoire du rap. Son sommet artistique est atteint au même moment que son pic commercial et pendant de longs mois, il est l’épicentre de la pop-culture américaine. Tout ça en grande partie grâce à un album qui représente le hip-hop dans son interprétation la plus brillante et son contenu le plus provocant. Il y a 20 ans, une icône naissait et emportait alors tout sur son passage, chose que l’on ne reverra probablement jamais dans un telle ampleur. Et si des monstres sacrés du rap peuvent prétendre avoir une meilleure carrière dans leur ensemble qu’Eminem, au vu en tout cas de la déchéance artistique qu’il connaitra suite à The Eminem Show, aucun rappeur ne bouleversera autant la culture populaire que Marshall Mathers a su le faire à cette période. Et comme il le dirait sans doute lui-même : “And just might be the next best thing, but not quite me“
The Marshall Mathers LP est disponible sur toutes les plateformes de streaming.