Il est enfin là. Tenet, le blockbuster qui s’est pratiquement auto-imposé la mission de “sauver” l’industrie cinématographique, est sorti hier en France. De quoi permettre au public de retrouver communément une habitude chère à n’importe quel cinéphile, celle de découvrir un long-métrage dans la torpeur d’une salle fascinée par un spectacle à couper le souffle. Après de longs mois de disette en matières de grosses sorties, c’est exactement ce que l’on attendait. Et c’est aussi ce qu’a cherché à donner Christopher Nolan, en signant un thriller d’espionnage bourré d’action, souvent spectaculaire et qui va très vite, quitte à perdre du monde en route. Avec Tenet, Christopher Nolan crée un paradoxe plus qu’un palindrome, celui de signer un divertissement agréable et calibré pour le retour du grand public au cinéma, mais qui dans le même temps illustre ses lacunes de scénariste (beaucoup plus que celles de réalisateur) et qui pose peut-être la question de l’essoufflement de sa formule actuelle.
La globalité de l’expérience Tenet pourrait se résumer à travers sa scène d’introduction. Une longue séquence d’action rythmée et très bien filmée, possédant des enjeux pas forcément très clairs, un déroulé qui crée un peu de confusion, où l’on découvre des personnages qui n’existent finalement qu’à travers leur fonction. Dès lors, on suit le Protagoniste (c’est littéralement comme ça qu’il est nommé plusieurs fois), un agent de terrain retenu pour une mission visiblement aussi secrète qu’importante. Sur le papier, le topo est assez simple : un super agent doit sauver le monde. Dans les faits, c’est beaucoup plus compliqué. Ça l’est non seulement parce que Tenet tente de mettre en place et de justifier un concept pas forcément évident à digérer, celui de l’inversion temporelle. Mais également parce que le film semble se complaire dans le fait de trop souvent nous laisser dans le brouillard la majeure partie du temps. Les explications sont souvent brèves et très cryptiques, et il sera alors sans doute bien difficile pour la majorité des spectateurs de raccrocher les wagons à la découverte du film.
Visiblement conscient de sa complexité, Tenet mise gros sur les scènes de grand spectacle pour maintenir le spectateur dans le bain. Quitte à ce qu’il ne comprenne pas grand chose au déroulé du script, il en prendra au moins plein les yeux, à l’image des scènes se déroulant à l’envers qui sont franchement spectaculaires. Au jeu de l’entertainment, il est évident que ce onzième long-métrage de Nolan fait fort tant l’action y est très bien filmée. Une satisfaction largement renforcée par la photographie magnifique d’une oeuvre intégralement tournée en pellicule 70mm, ce qui n’est plus du tout la norme d’une industrie dominée par le numérique. Quand on sait que la captation de l’action est l’un des défauts les plus récurrents du cinéma de Nolan, il y a de quoi se réjouir des progrès constatés ici. Autre point de satisfaction, le casting remplit bien son rôle. Sans être incroyable, le duo Washington/Pattinson joue bien et n’a aucun mal à convaincre, tout comme le reste du casting : Elizabeth Debicki et l’antagoniste Kenneth Branagh en tête. Ce quatuor d’acteurs a d’autant plus de mérite que leurs personnages ne brillent pas vraiment par une personnalité profonde et nuancée, en tout cas encore moins que dans les autres films du réalisateur, tant les protagonistes ne sont ici ni attachants ni intéressants. Et pourtant, Dunkerque ne brillait déjà pas grâce à la profondeur de ses personnages, bien que le contexte pouvait beaucoup plus facilement le justifier.
Au final, derrière ses effets réalistes grandiloquents et son concept temporel audacieux, l’impression générale est que Tenet laisse un arrière-goût d’inachevé. Il ne regardera probablement jamais dans les yeux les meilleurs films de son réalisateur et pourrait bien être avec Insomnia et The Dark Knight Rises l’un des rares films de Nolan que même ses fans les plus dévoués ne qualifieraient pas de chef-d’oeuvre. Son intrigue complexifiée à l’extrême, ses personnages manquants de relief, son montage abrupte, sa bande-originale peu marquante, et surtout son incroyable manque d’émotion en font une déception. Non pas parce que Tenet est un mauvais film, assez loin de là même puisqu’il réussit à divertir et à nous décrocher parfois la mâchoire, mais bien parce qu’on se doit d’attendre beaucoup mieux sur le fond, de la part de celui qui est considéré comme le meilleur réalisateur de sa génération.
Il est évident que Tenet est un film qui mérite d’être vu en salles et dont l’ambition va logiquement être récompensée par un succès populaire, d’autant plus au vu du contexte particulier pour les cinémas en 2020. Mais quand l’euphorie du retour en salles sera retombée et qu’il faudra parler la tête froide de Tenet, il est fort probable qu’un sentiment de déception dominera. Un sentiment bien singulier lorsque l’on évoque un film qui s’offre le nom de Christopher Nolan à son générique.
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