« Si Kanye West vend plus de disques que moi le 11 septembre, j’arrête la musique. » Si cette phrase a fait l’effet d’une bombe lorsqu’elle sortit de la bouche de 50 Cent en 2007, elle marque 13 ans après, le début d’une nouvelle ère dans le rap américain.
Les rivalités musicales et humaines ne sont pas nouvelles dans le rap. Mais lorsque l’on évoque un face à face qui a eu un énorme impact sur le cours de la musique de son époque, 50 Cent et son album Curtis face à Kanye West et son album Graduation, tous deux sortis le 11 septembre 2007, est sans doute le plus important de tous. Bien avant le 4 décembre 2015 dans le rap français, deux des plus grandes stars du rap US se faisaient face, chacun se nourrissant d’un égo sur-dimensionné et de l’envie brûlante de se mesurer l’un à l’autre.
En cette fin d’été 2007, et après avoir sorti les cartons que sont Get Rich or Die Tryin’ et The Massacre, 50 Cent est une superstar et un businessman hors pair, à l’image de ses produits dérivés G-Unit qui lui permettent alors de récolter près de 100 millions de dollars de revenus. Véritable porte drapeau du gangsta rap, 50 Cent n’a pas particulièrement fait évoluer sa recette des dernières années tant elle fonctionne : des bangers pensés pour les clubs et la rue, accompagnés de morceaux beaucoup plus ouverts et construits pour les radios, où l’on retrouve des invités parfois assez éloignés du rap : Justin Timberlake, Nicole Scherzinger, Robin Thicke, Akon ou encore Mary J. Blige.
Face à lui, c’est un rappeur aux caractéristiques bien différentes à l’époque. Kanye West a longtemps fait office d’ovni dans son ascension en tant que rappeur : initialement identifié comme “simplement” producteur, ne revendiquant pas la rue ou la violence dans son passif et n’hésitant pas à embrasser un rôle de “gentil garçon” capable d’évoquer son amour pour sa mère et pour Jésus plus que que quiconque, sa musique diffère totalement de celle du rappeur du Queens. Si tout semble les séparer sur le papier, il faut toutefois noter qu’un point commun les rassemble indiscutablement : leur ego immense qui va driver ce face à face particulièrement médiatisé à l’époque. Initialement, Graduation devait sortir une semaine après Curtis. Kanye West fait finalement le choix d’avancer de 7 jours sa date de sortie, coïncidant avec celle de 50 Cent. Ce que ce dernier prend évidemment comme un défi qu’il compte bien relever haut la main. Le poussant à déclarer la fameuse phrase citée plus haut : « Si Kanye West vend plus de disques que moi le 11 septembre, j’arrête la musique. »
L’un des tournants de ce face à face interviendra lors de la sortie des singles, censés porter le succès futur du disque. Et à ce petit jeu, Kanye West a su frapper plus fort que 50 Cent avec le hit planétaire “Stronger”, samplant le mythique “Harder, Better, Faster, Stronger” des Daft Punk, qui a dominé de la tête et des épaules les charts. Même si le fondateur de G-Unit a connu le succès avec “Ayo Technology” notamment, l’impact du morceau n’avait rien de semblable à celui de “Stronger”. Déjà poussé par le succès massif de son précédent album Late Registration et désireux de faire passer un cap plus pop à sa musique, Kanye West s’installe peu à peu comme une nouvelle superstar. Ce que “Stronger” va totalement confirmer. Un statut nouveau pour Kanye West qu’avait sans doute sous-estimé 50 Cent, lui qui courait toujours après l’unanimité de son premier album.
La semaine de la sortie des deux albums passée, les chiffre finissent par tomber : d’un côté Kanye West triomphait avec Graduation se vendant à 957 000 exemplaires, le plus gros succès de sa carrière, pendant que Curtis devait se contenter de 691 000 copies vendues, un chiffre toutefois énorme malgré la défaite. Pour beaucoup, derrière ce “clash musical” nourrit par les égos des deux protagonistes et par les médias, se cache surtout la transition vers un nouveau rap et surtout l’arrivée d’un nouveau public, n’ayant pas grandi avec JAY-Z, le Wu-Tang Clan ou Tupac, et qui se montre séduit par les sonorités plus accessibles de Graduation. Mais plus que tout, ce troisième album de Yeezy a su préparer le terrain pour l’arrivée d’un nouveau genre de rappeurs, renforcé ensuite par la sortie de 808 & Heatbreaks. Kid Cudi, Drake, Big Sean, Mac Miller et bien d’autres : dans le sillon de Kanye West et son rap vulnérable, ce sont de nombreux artistes à qui il a su ouvrir la voie et montrer qu’il existait une place pour des rappeurs plus sensibles et dont le style, la personnalité et le vécu n’avaient rien à voir avec ceux ayant longtemps été les visages de l’industrie.
Par la suite, si Kanye West ne va jamais réussir à égaler le succès commercial de Graduation, son influence, son impact et son succès resteront indiscutés et n’en seront que renforcés par la suite de sa discographie. Aujourd’hui considéré comme l’album le plus pop de son catalogue, Graduation lui aura permis de briser le plafond de verre d’un genre pour devenir une star dans le monde entier, ambition qu’il avait déjà clamé par le passé. Dans le même temps, si la carrière musicale de 50 Cent a peu à peu connu une pente descendante, il a su se réinventer à travers son sens des affaires, à l’image aujourd’hui de sa série à succès qu’est Power.
Derrière ce 11 septembre 2007 se cache finalement un véritable tournant dans l’histoire du rap, qui, même s’il aurait sans doute eu lieu si Kanye West avait sorti Graduation une semaine après Curtis, peut aujourd’hui être considéré comme le début de la transition vers le rap tel que nous le connaissons aujourd’hui : plus que jamais à la croisée des genres et ouverts à des personnalités n’ayant plus rien à voir avec le gangsta rap.
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