Inédits dans leur forme, Covid-19 oblige, les Emmy Awards 2020 ont toutefois rendu un verdict attendu. Plus que jamais installé au sommet de l’entertainment haut-de-gamme, HBO a encore une fois dominé de la tête et des épaules la grande messe de la télévision américaine. Après avoir lancé sa plateforme de streaming il y a quelques mois de cela, la chaîne câblée est reparti des Emmy 2020 avec plus de 30 récompenses, notamment grâce aux succès de Watchmen, Euphoria et I Know This Much Is True, mais aussi et surtout grâce au triomphe de Succession. Un show méconnu, voire confidentiel, pour le public français. Pourtant, la série créée par Jesse Armstrong n’en finit plus d’impressionner la critique américaine depuis bientôt deux ans et s’avançait en grand favori de cette cérémonie. Vendue comme un Game of Thrones du milieu des affaires, cette création HBO a réussi à s’imposer comme l’une des meilleures séries du tournant de la décennie. Aussi cynique que brillante, l’oeuvre qu’est Succession mérite assurément qu’on lui donne sa chance. On vous explique pourquoi.
Derrière Succession, on retrouve le showrunner Jesse Armstrong. Scénariste de formation, cet auteur britannique était notamment chargé de l’écriture de l’excellent épisode de Black Mirror Retour sur Image (S1 EP3), dans lequel un couple se déchirait à cause d’une puce permettant de revoir l’intégralité de ses souvenirs. En 2017, Armstrong se met en tête d’écrire une série sur les déboires d’une dynastie de multi-milliardaires, s’inspirant grandement des scandales causés par le magnat des médias Rupert Murdoch. Le projet convainc HBO qui lance la production de Succession, à laquelle prend notamment part Will Ferrell, qui est ici crédité comme producteur exécutif. La première saison de la série voit le jour en 2018 et s’empare de la case horaire stratégique du dimanche soir, un créneau sur lequel on retrouve les séries majeures de HBO comme Game of Thrones en son temps ou encore Westworld. L’histoire se met en marche.
Avec Succession, Jesse Armstrong nous plonge dans les arcanes d’une famille aussi riche que dysfonctionnelle. Ce clan est dirigé par Logan Roy, patriarche vieillissant à la tête d’un gigantesque empire des médias et de l’entertainment : la Waystar Royco. Sentant que le règne du père touche à sa fin, les quatre enfants du chef d’entreprise vont alors se déchirer et multiplier les stratagèmes, alliances et autres trahisons, afin de prendre sa place sur le trône. Le parallèle avec Game of Thrones est ainsi évident, la série ne cachant pas son amour pour les complots et les guerres familiales. Mais là où Succession vise juste, c’est dans sa capacité à immerger le spectateur dans le quotidien des ultra-riches new-yorkais, complètement déconnectés du monde extérieur. La série joue ainsi sur le goût du spectateur pour le voyeurisme, en offrant une galerie de personnages (presque) tous détestables, superficiels… et pourtant ô combien fascinants. La série n’hésite en effet pas à aller très loin, que ce soit dans sa mise en scène du bling-bling de Wall Street et de son luxe dégoulinant, ou encore via des dialogues ciselés et mordants, qui flirtent parfois avec les Rap Contenders. Surtout, elle choisit de ne pas choisir entre drame et comédie, oscillant constamment entre ces deux registres.
Et si Succession convainc sur la forme, c’est bien dans son propos de fond que la série se montre resplendissante. Maniant avec brio humour noir et une tension scénaristique souvent insoutenable, la création de Jesse Armstrong est avant tout un chef d’oeuvre en terme de construction et de développement de ses personnages. Incarnés par une flopée d’acteurs confirmés, Jeremy Strong et Brian Cox en tête, les membres de la famille Roy et leur entourage sont tous magnifiquement interprétés, ce qui contribue évidemment au réalisme froid de la série. Plus globalement, la série offre une réflexion passionnante sur les médias modernes, le rôle de la famille et sur la place de l’argent dans nos sociétés. En deux saisons construites comme une montée en puissance, Succession a su convaincre aussi bien la presse spécialisées que les fans de divertissement premium. Acclamée par la critique depuis ses débuts, la série se paie même le luxe de faire grimper ses audiences entre sa saison 1 et 2, un fait rarissime dans l’industrie télévisuelle.
Côté récompenses, Succession n’est pas en reste. Après avoir remporté l’Emmy Award du Meilleur Scénario Original et de la Meilleure Musique Originale, le show a encore garni son armoire à trophée lors des Emmy de cette année, comme aux derniers Golden Globes où elle avait gagné le prix de la Meilleure Série et du Meilleur Acteur pour Brian Cox (Logan Roy). Hier soir, Succession a poursuivi son impressionnant run en remportant les prix suivants : Meilleur Série Dramatique, Meilleur Scénario Original et Meilleur Réalisation, sans oublier la statuette de Meilleur Acteur dans une Série Dramatique pour le génial Jeremy Strong, bluffant de maîtrise dans son rôle de Kendall Roy, fils prodigue rongé par ses démons et son ambition. À l’image de ses personnages, la série HBO ne semble pas prête à partager le devant de la scène et vampirise ainsi les prix les plus prestigieux depuis de nombreux mois.
Et si la série ne réalise pas des cartons d’audience de l’autre côté de l’Atlantique, cela n’a pas empêché HBO de la renouveler pour une troisième saison, dont le tournage a pour l’instant été repoussé à cause du Covid-19. Solidement installé comme LA référence télévisuelle des deux dernières années, Succession doit désormais rencontrer son public en France, où elle est diffusée sur OCS. Il serait en tout cas dommage de passer à côté d’une telle oeuvre.
À lire aussi : Namesake, la nouvelle marque taïwanaise qui s’apprête à cartonner