Il y a 7 ans, le 21 octobre 2013, Kaaris sortait Or Noir, son premier album. Aujourd’hui, le 21 octobre 2020, ce disque est tout simplement perçu dans le rap français comme l’un des deux ou trois projets les plus importants d’une décennie qui vient de toucher à sa fin.
Pour sortir un album aussi fort, il faut savoir surfer sur son propre momentum. C’est exactement ce qu’a fait l’artiste de Sevran. La carrière de Kaaris entre 2011 et 2013 est un modèle de montée en puissance. Il est poussé par Booba sur la mixtape Autopsie 4, confirmé par sa mixtape Z.E.R.O puis révélé aux yeux du grand public par sa prestation le couteau entre les dents sur le single “Kalash” où il prend nettement le meilleur sur son mentor devenu ennemi. La consécration arrive ainsi à la fin de l’année 2013 où il dévoile à 33 ans son fameux premier disque. Arrivé à maturité artistique et au sommet de sa hargne, Kaaris lâche 17 titres qui ont l’effet d’une rafale à l’arme lourde pour les oreilles du public. L’album est un manifeste de ce que doit être et de ce que va devenir la trap française : brutale, sanguine, sombre et résolument hardcore. Fort notamment de l’influence de Finally Rich de Chief Keef sorti un an auparavant, Kaaris s’inspire de la patte musicale de la drill de Chicago mais, pour la première fois, impose ses propres codes à la trap française et en fait un genre musical à part. Le phrasé transpire l’argo francilien le plus cru, les références sont souvent franco-françaises, les gimmicks sont propres à Kaaris… Le rappeur du 93 ne s’est pas contenté de copier ce qui se faisait aux États-Unis, il se l’est approprié et l’a bonifié comme personne auparavant dans l’hexagone.
Un an avant, Booba avait déjà largement mis le rap français à l’heure du nouveau son du sud des États-Unis avec Futur, sans toutefois réussir à faire ce que Kaaris a fait avec Or Noir. Moins maitrisé, moins hardcore, moins choquant dans son propos, Futur est une étape importante mais n’a rien de l’ogive musicale qu’est Or Noir. Cela est aussi dû à l’alchimie prodigieuse entre Kaaris et le quatuor de producteurs Therapy qui ont totalement façonné la colonne vertébrale du disque, en le composant dans son intégralité. Excepté l’ambiance vaporeuse et mélancolique du morceau éponyme à l’album, chaque production est gonflée aux stéroides et pensée pour être de parfaits alliés aux punchlines abrasives de K double A. Car il faut le dire, le sens de la formule sur chaque morceau du projet est sans doute ce qui frappe le plus avec le recul. Souvent violentes : « J’lève mon glaive : t’ouvres ta gueule, j’te fais un bec de lièvre. », sans pitié : « J’m’en bats les couilles de qui rend l’âme, j’trempe mes cookies dans tes larmes » voire même loufoques : « J’te bouffe la schneck comme une viennoise, en même temps j’fume ma O.G. Kush, en même temps j’attrape une grosse mouche avec une paire de baguettes chinoises ». Les punchlines de Kaaris sont référencées, imagées, vulgaires, violentes et diablement efficaces. Personne n’en ressort indemne.
Le recul que l’on possède aujourd’hui permet de tirer un bilan sans équivoque d’Or Noir. Outre ses bangers à foison et son énergie contagieuse, il est l’album à l’origine de beaucoup de choses dans le rap français. Il y a tout d’abord la démocratisation de la trap, il est vrai via une formule parfois générique et répétitive aujourd’hui, mais qui tire clairement son inspiration de cet album de Kaaris. Vient ensuite l’influence et l’impact très positif dans sa propre ville : Sevran. Sous la dynamique de cet album notamment, la ville du 93 est devenue ces dernières années l’une des places fortes du rap français. Maes, 13 Block, Da Uzi, Kalash Criminel ou encore Dabs, tous ont émergé sous l’impulsion d’Or Noir. Aujourd’hui, difficile de trouver meilleure bande-originale à la ville du 93 que cet album de celui qui répond au nom d’Okou Gnakouri.
Au final, ce qui rend d’autant plus nostalgique et conscient de l’importance d’Or Noir, c’est la trajectoire de carrière de son auteur. Si Or Noir Pt II sorti un an après était une réussite lui aussi, la suite n’a été qu’une longue et pénible pente descendante pour Kaaris. Bien qu’il faudrait sans doute réévaluer à la hausse Le bruit de mon âme, les projets Double Fuck, O.G, DOZO et plus récemment Or Noir Pt III sont loin d’être à la hauteur du début de carrière du sevranais. On peut sans doute parler de la “malédiction” du premier album classique, à l’image de Nas aux États-Unis, toute proportion gardée. Un premier album tellement fort et singulier que son auteur finit par courir après toute sa carrière. Ici, le pire étant que cela finit par accoucher d’un radical changement musical à l’origine de la plus grande frustration de son public de la première heure. Le tube “Tchoin” en est sans doute le symbole. Malheureusement, Kaaris n’est pas resté “hardcore jusqu’à la mort“.
Il est clair que plus le temps passe, plus la carrière de l’interprète de “Zoo” ne ressemble pas à celle que l’on attendait de lui après les deux premiers Or Noir. Mais cela ne doit pas faire oublier qu’un certain 21 octobre 2013, il a sorti un album aujourd’hui certifié platine, qui a marqué au fer rouge le rap français et l’a profondément chamboulé. À part peut-être un fameux duo des Tarterêts, très peu de rappeurs peuvent se vanter d’avoir autant apporté au rap français que Or Noir ces 10 dernières années. Et ça, on ne pourra jamais l’enlever à Kaaris.