Le hitmaker français DST nous raconte les dessous de sa collaboration avec Kid Cudi sur “Man on the Moon III”

"C'était un choc total"

dst prod the danger kid cudi man on the moon 3
Photo : @osainvichi

S’exporter aux États-Unis afin de produire pour les rappeurs les plus populaires au monde est le rêve de n’importe quel compositeur. Cet accomplissement énorme, c’est ce qu’a réussi à toucher du doigt le hitmaker français DST The Danger (une référence à son tagline “I’m the danger”, réplique culte dans Breaking Bad). En effet, ce producteur, qui a déjà eu l’occasion de travailler avec la crème du rap français, a cette fois collaboré avec Kid Cudi, à l’occasion de la sortie de son album évènement Man on the Moon III: The Chosen. À l’origine du septième morceau de la tracklist, l’énergique “Heaven On Earth”, DST est revenu pour nous sur cette collaboration majeure, tout en faisant le point sur sa carrière déjà bien riche. Entretien.

Choses rare et impressionnante, ton premier placement c’est le morceau “Caracas” de Booba sur l’album D.U.C. Ça s’est fait comment ?

La connexion avec Booba s’est faite via mon manageur @dnymcc, que j’ai d’ailleurs rencontré par hasard chez le coiffeur. On est entré en contact avec Hi Stakes, l’ingénieur du son de Booba à l’époque à Miami. À ce moment, Booba était en pleine restructuration et il avait envie de s’ouvrir. À partir de là, Hi Stakes a fait écouter mes productions à Booba, il a kiffé et la suite s’est faite naturellement. On est entré en contact milieu 2014 et fin 2014 “Caracas” est sorti.

Donc à la mi-2014 tu commences à bosser avec Booba. À ce moment-là ça fait combien de temps que tu composes ?

Ça fait exactement un an et demi seulement.

Est-ce que c’est pas difficile de commencer si fort, dans le sens où c’est pratiquement impossible de faire mieux après ça ?

Si forcément, parce que c’est tout de suite tout en haut. Commencer par Booba ça a été un accomplissement au-delà des espérances… Mes grands frères écoutent Booba, je l’écoute, mes parents n’écoutent pas de rap mais ils le connaissent… Passer de faire des prods dans sa chambre pour le kiff à composer pour Booba c’est complètement fou, d’autant que “Caracas” c’est vraiment mes premières prods. Ça avait été un choc. Après ce placement, sans te mentir, j’ai été malade plusieurs semaines tellement mon organisme a été bouleversé (rires).

À partir de là, tu places pour tout le rap français (SCH, Lacrim, Ninho, Shay, Gradur…), est-ce qu’à ce moment tu commences à bosser avec les artistes en studio ou tu continues d’envoyer des packs par mail ?

Le fait de bosser avec Booba ça m’a tout de suite donné du crédit, donc les gens m’ont ouvert des portes auquel je n’aurais pas eu accès normalement. Des rappeurs m’ont ouvert leur studio, c’est clairement parce que mes collaborations avec Booba étaient des gages de qualité et de réussite. Ça m’a permis d’être plus vite confronté à des artistes en studio et de sauter des étapes en quelque sorte. C’est aussi l’occasion de plus facilement affirmer sa patte artistique, ainsi que de porter la casquette de réal’ auprès de certains artistes.

Que ce soit d’un point de vue perso ou via l’attente des gens, est-ce qu’il y a eu un contre-coup au niveau de la pression dans ta vie ou dans ton processus de création du fait d’avoir l’étiquette du mec qui a bossé avec Booba dès ses débuts ?

D’un point de vue perso, je me suis instinctivement dit : “Là tu as fait fort mais il y a a des gens qui t’attendent au tournant.” Je voulais montrer aux gens que c’était pas un coup de chance.

Et même le risque de s’installer dans une zone de confort du type “Ça y est, j’ai bossé avec Booba, je suis arrivé…”

Ouais, tout à fait. Moi clairement ça m’a mis une pression. Ça m’a poussé à vouloir faire des choses différentes, à m’affirmer dans mon style… Je me suis dit qu’il fallait augmenter le niveau, pas forcément en cherchant des plus gros artistes, d’autant qu’en France c’est dur de faire mieux que Booba, mais en passant un cap musicalement.

Et justement cette évolution musicale, depuis 2014 tu la juges comment ? Qu’est-ce qui a changé, où est-ce que t’essayes d’aller ?

Le premier point c’est qu’aujourd’hui, contrairement à avant, je suis en pleine maitrise de ma formule, de mes skills. À un point où parfois j’ai presque l’impression de trop l’avoir pour être honnête. Parfois, j’aimerais retomber dans les premiers instants, où j’étais plus dans la folie. C’est bien de perfectionner une formule, parce que déjà quand t’es avec un artiste en studio tu peux facilement le guider, être efficace en fonction de ses demandes. Mais c’est vrai que des fois la spontanéité des débuts peut manquer. Pour ce qui est de la musique en elle-même, aujourd’hui je m’attarde beaucoup plus sur des textures, des ambiances musicales, je passe plus de temps à traiter les mélodies. Aujourd’hui, je travaille plus vraiment tout seul : je m’entoure d’instrumentalistes avec qui je vais travailler une mélodie et donc je vais m’attarder sur le fait de créer une ambiance vintage, sample, cinématographique… Des choses qui sont beaucoup plus recherchées.

Pour en venir à ta collaboration avec Kid Cudi, est-ce que tu peux nous expliquer d’où est-ce que ça part, quelles sont les origines ?

L’origine de tout ça ce sont mes premiers voyages aux États-Unis. Il y a de ça deux/trois ans, j’allais beaucoup là-bas, notamment à Atlanta et Los Angeles. Il s’avère qu’un jour, un membre de l’équipe de Kanye West (ndlr : GOOD Music) a entendu certains de mes morceaux et a contacté un ami en commun (@elaps) qu’on avait en France. Il leur a expliqué qu’il voulait me rencontrer et qu’il sentait qu’il pouvait bosser avec moi sur certains projets. On a donc pu organiser la rencontre directement à Los Angeles. C’est pour ça que je fais le lien avec mes voyages, j’ai gagné du temps grâce au fait d’être déjà sur place. J’étais à Atlanta quand j’ai appris que ce mec de GOOD Music voulait me rencontrer, je suis directement allé à Los Angeles pour le voir.

Il s’est passé quoi à partir de là ?

On s’est rencontrés, on a discuté, on a fait de la musique, je lui ai fait écouter des trucs. Je lui ai laissé un pack de 100 prods. Et ensuite on a gardé le contact, on a échangé régulièrement. Paradoxalement, ça faisait un petit moment où on était pas rentré en contact, quelque chose comme un an, quand j’ai eu la nouvelle. Un peu par surprise, il me contacte l’été dernier en me disant : ‘Il y a une des compositions de ton pack qu’un de mes artistes a kiffé, il a posé dessus. Est-ce que tu peux m’envoyer les pistes ?‘ Je le fais sans me poser plus de questions que ça, mais à ce moment je ne savais pas encore que c’était Kid Cudi.

Photo : @jeremie_masuka

Tu l’as su quand que c’était Kid Cudi ?

Quelques mois après, et comme pour Booba c’était un choc total. Ce qui est fou, c’est que la prod en question fait partie du pack que je lui avais laissé 2 ou 3 ans en arrière. Ce qu’il faut savoir, c’est que les rappeurs américains cherchent de plus en plus à s’ouvrir à d’autres types de musique, à d’autres registres. Et si cette prod peut sonner comme une composition trap lambda de rap français pour toi ou moi, dans l’oreille de Kid Cudi elle sonne différente de ce qu’il a l’habitude d’entendre aux États-Unis. Donc pour lui, c’est différent voire même nouveau. Pour moi c’est une prod qui a 3 ans, pour lui c’est nouveau. J’étais dans le futur en quelque sorte (rires). Mais vraiment c’est un honneur.

Tu as eu l’occasion d’échanger avec Kid Cudi ?

Non, j’avais seulement des retours indirects, via mon contact chez GOOD Music. Ça a été nécessaire notamment pour des modifications sur la prod à sa demande, par exemple au niveau de la structure et surtout du BPM.

Désormais, tu vas te servir de cette expérience et cette ligne sur ton CV pour tenter de faire carrière aux États-Unis ?

Ouais clairement, j’espère que ça va intriguer d’autres rappeurs américains. Mais j’espère que surtout, qu’à mon échelle, ça va aider les gens à croire en ce qu’ils font, à continuer de tenter de s’exporter et pour emmener notre musique le plus loin possible. C’est aussi ça la force dans notre génération, on a le potentiel de casser des barrières. D’un point de vue perso, le COVID c’est forcément frustrant parce que sans ça je serais déjà là-bas. Mais bon, ça n’est que partie remise. En 2021 je serai là-bas pour continuer l’aventure.

On parle souvent de l’évolution du statut des producteurs, de leur reconnaissance et de leur nouveau statut de star pour certains. L’exemple concret dans notre génération c’est Metro Boomin. Est-ce que pour toi ça c’est une fin en soi, l’objectif ultime d’être un producteur star ?

Je suis quelqu’un de très pudique. Du coup je me vois pas à terme être un producteur star. Enfin si, dans les chiffres, dans l’impact de la musique, mais j’aime garder un coté mystérieux. Sortir de l’ombre quand il faut. Par exemple quand PNL apparaît, c’est pour tout casser. Soit ils bossent, soit ils se ressourcent, mais ils apparaissent pas pour rien. Et moi c’est un mode de fonctionnement qui me plait. J’ai mes périodes où j’ai pas envie de faire de la musique, où j’ai envie de me ressourcer et être une star ça bouleverserait cet équilibre. Du coup j’aimerais une carrière énorme, mais une visibilité limitée, pour résumer. Après c’est super que certains veuillent être des énormes stars parmi les producteurs, mais je pense qu’au final c’est une question de personnalité, d’éducation, de ressenti. Par exemple, Noah ’40’ Shebib, c’est l’un des plus grands génies de la production dans le rap, il a produit des hits énormes, c’est le DA musical de Drake… Et pourtant il entretient un vrai mystère, ça a créé un vrai mythe. Si je devais me calquer sur quelqu’un, ce serait lui.

Vous pouvez suivre toute l’actualité de DST sur son compte Instagram et découvrir sa collaboration avec Kid Cudi intitulée “Heaven On Earth” sur toutes les plateformes des streaming. À noter enfin que le clip de ce morceau sortira vendredi prochain.